Écouter le culte :
Jean-Marc Fonjallaz
« L’être humain est plein d’ardeur, mais il est faible aussi », dit le Christ dans le passage que nous venons d’entendre.
Dans ce contexte, et en s’inspirant des versets de Matthieu, une question peut se poser : face à la douleur, face à la mort, lorsque s’inscrivent dans nos vies la tristesse et l’angoisse, est-il encore possible de se mettre en veille et en prière ?
Comment réagir dans de telles situations, qui peuvent être ou sont extrêmes ? Qu’est-ce qui nous attend ? Qu’est-ce qui est attendu de nous ?
Trouverons-nous encore la force de ces temps de veille qui sont au cœur de Gethsémané ; qui sont au cœur de cette nuit du Christ ? Que signifie donc la prière dans ces moments-là ?
« Non pas comme moi je veux mais comme toi tu veux », prie le Christ. La prière ne serait-elle alors que résignation face à la difficulté qui vient ?
Le témoignage du passage du Christ à Gethsémané nous interpelle forcément sur ces temps si particuliers, qu’à un moment ou un autre nous avons traversé, ou que nous aurons à rencontrer. Ce témoignage nous interpelle dans le secret de nos vies, dans ce qui appartient à notre intimité.
Dans ce passage, le Christ nous invite à nous recentrer, à vivre la prière comme un temps d’intériorité. La prière serait donc en lien avec les profondeurs de notre âme…
Estelle Zbinden
Dans cette histoire, nous sommes invités à atteindre ces profondeurs, en suivant Jésus et à explorer notre jardin... comme ce jardin à Gethsémané. Par étapes nous sommes amenés à tester, comme un rite d'initiation, notre approche à la prière et à l'écoute de notre for intérieur.
Avant son arrivée au pied du Mont des Oliviers, Jésus a partagé le dernier repas avec ses disciples, les a salués tout en sachant ce qui l'attend. Sur son chemin vers la croix, qui scellera son existence humaine, il sait effectivement la trahison et le reniement à venir.
Dans un tourbillon d'émotions, il choisit d'entrer dans le jardin avec trois de ses suivants. Le cocon de l'intimité se crée dans ce choix de ne s'ouvrir qu'à une poignée, laissant délibérément les autres dans l'ignorance.
La première chose sur laquelle nous pouvons nous arrêter ce matin, ce sont ces émotions que Jésus laisse d'abord entrevoir avant de les nommer ainsi : « Mon âme est triste jusqu'à la mort ». A ce moment-là précis, lui, le Fils de Dieu est au plus proche de l'humanité, faisant l'expérience la plus difficile que nous sommes tous et toutes appelé.es à vivre au moins une fois dans notre vie : celle de faire face à notre propre finitude. L'angoisse comme disposition affective fondamentale de l'être humain, qui nous rejoint dans notre essence même. Ou en d'autres termes, comment Jésus a pu et peut comprendre ce que nous vivons.
N'est-ce pas une des choses les plus puissantes que nous puissions saisir en tant que chrétien et chrétienne : qu'au-delà des mots, notre résonance la plus existentielle peut trouver un écho en celle de Jésus.
Face à cette résonance puissante, Jésus s'éloigne pour se recueillir, lui permettant à la fois d'y faire face, et à la fois de laisser vivre en lui les émotions tiraillantes et envahissantes. Toutefois, avant de s'éloigner, il s'assure que ses disciples présents veilleront avec lui. Il ne leur demande pas de prier avec lui, cela est bien trop personnel...
Mais veiller, pour qu'il soit sûr que rien ne viendra troubler ce moment d'intériorité recherché, comme nous pouvons le faire avec une personne qui nous est proche et que l'on veut protéger le temps qu'il lui faudra.
S'enfonçant dans le jardin à l'écart, Jésus se prosterne et prie, se mettant à nu devant Dieu. Loin d'une posture physique exemplaire qu'il souhaiterait nous montrer, c'est le chemin de la prière en tant que telle, qu'il nous offre : à Dieu, tout est possible d'entendre, il n'y aura pas de jugement, il n'y aura pas de rejet, nous pouvons tout lui confier, même l'angoisse la plus existentielle.
Jean-Marc Fonjallaz
Ainsi, Jésus prie à Gethsémané, avec cette ambiguïté fortement humaine, entre acceptation et révolte. Au terme de ce chemin intérieur, il prie : « Non pas comme moi je veux mais comme toi tu veux ». Il ne s’agit dès lors pas d’une position de résignation mais bien d’un choix, pris en toute responsabilité.
En quelque sorte le Christ entend au fond de lui ce qu’Esaïe, longtemps avant ce moment, annonçait au nom du Dieu tout-puissant : « N'aie pas peur maintenant, car je suis avec toi. Ne lance pas ces regards inquiets, car ton Dieu, c'est moi. Je viens te rendre courage, j'arrive à ton secours et je te protège, ma main droite tient sa promesse. »
Dans ce drame qui se noue cette nuit-là, il y a encore un point d’attention qui mérite d’être abordé maintenant. Que font donc les disciples cette nuit-là ? Eux qui sont choisis pour faire partie de ce cercle restreint et limité, eux qui sont en première ligne. Eux à qui le Christ a demandé de veiller et de prier avec lui… Pourtant, il en va tout autrement.
« Vous dormez encore et vous vous reposez ? », s’étonne le Christ, peut-être avec un brin de déception dans la voix. Il serait possible d’y entendre une forme de remontrance. « Veille et prie et sois fervent ! Combats sans relâche ! », dit d’ailleurs un cantique. Serait-ce dès lors un reproche qui s’exprime à ce moment-là ? Y a-t-il chez le Christ une injonction irréversible, à laquelle il s’agirait juste d’obéir ?
La prière et la veille sont-elles comme un dû des disciples vis-à-vis de Jésus ? Et donc d’un devoir que le Christ nous assigne, à nous toutes et tous ? « Veillez et priez ! » Le Christ serait-il aussi autoritaire que cela ? Le penser ainsi serait ignorer les autres enseignements du Christ. Il est en effet difficile de penser que le Christ, ici, renie ce que lui-même a déclaré et dont nous avons le témoignage dans l’Évangile de Jean (8 : 36) : « Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. »
Ainsi, la foi, la prière qui l’exprime, n’est pas, ou ne devrait pas être, ou ne peut pas être un combat. La prière, la veille entrent dès lors elles aussi dans cette liberté qui nous est donnée. La prière nous est confiée comme un cadeau, libre d’accès. Ainsi, il devient possible de penser, de croire que la prière n’est pas forcément à distinguer des autres temps de la vie.
Dans notre for intérieur, dans cette intimité de la pensée et de nos dispositions profondes, la vie tout entière devient prière. La prière, alors, se développe comme une attitude, comme un espace de profondeur, comme une disposition intérieure de louange, de reconnaissance, d’accueil, dans chaque moment de notre vie. La prière devient pleinement intégrée à ce qui habite notre quotidien, en profondeur, dans nos enracinements et dans ce que certaines, certains appellent l’humus humain. Alors voici que se découvre la profondeur des âmes dans leurs enracinements intimes.
Le passage de Gethsémané, ainsi, vient nous interpeller en nous disant : il y a des temps pour une prière active, formulée (même dans le silence de nos chambres, comme évoqué en Matthieu 6 et que nous avons entendu au début de ce culte). Et il y a aussi des temps pour un autre espace plus intérieur, une forme de disponibilité personnelle et profonde, de chaque instant, en permanence de cœur et d’âme.
La prière et la veille sont multiformes. Dans celles-ci, une certitude nous est acquise : Jésus est présent et Il nous aime. Cette écoute perpétuelle, cette disponibilité intérieure devient alors ma force de vie, calme et sereine.
Estelle Zbinden
Dans ce jardin, un peu à l'écart, Jésus a trouvé cette disponibilité intérieure, son lieu de recueillement. Un lieu qui lui a ouvert le possible de se dire, de déposer, de supplier et d'accepter. Étape par étape, il vient au plus près de son intériorité, qui fait face à son angoisse la plus profonde. Sans s'en détourner, il la regarde dans les yeux et cherche à plusieurs reprises à la déposer, pour s'ouvrir à la rencontre.
Ces trois prières sont vives, passant du refus à l'acceptation totale, passant du tâtonnement à la connexion complète avec Dieu. Pour Jésus, ce va-et-vient traduit son angoisse face à la croix et l'acceptation. Pour nous, c'est la dimension globale de la prière qui s'ouvre.
En d'autres mots, la prière accepte tout. Elle accepte toutes les formes, tous les styles et au-delà de ça, elle accepte tous les messages, même ceux qui expriment le doute, le reproche, le rejet ou la colère. Quels que soient les mots et le message, la prière permet l'expression de tout ce que nous sommes, sans limite, sans exception.
Dans ce jardin, Jésus a trouvé sa disponibilité intérieure, son lieu de recueillement, et les disciples l'accompagnant ont fait une autre trouvaille, peut-être étonnante, peut-être révoltante, mais toujours par étapes.
Au premier éloignement de Jésus, ils se sont endormis. Malgré ça, Jésus est revenu vers eux et les a interpellé. A la seconde et dernière disparition de Jésus, l'action se répète : ils se sont endormis, ne pouvant pas lutter, et Jésus est revenu à eux à chaque fois. Le sort de leur ami leur est-il indifférent ?
Cette posture semblant de premier abord nonchalante, pourrait paraitre révoltante... Pourtant si cela est effectivement une interprétation possible, un autre message s'offre à nous ce matin : celui qui nous dit que jamais Dieu ne cessera de frapper à nos portes intérieures. Nous pouvons bien le rejeter, le remettre en question, faire retentir notre colère ou tout simplement le laisser au dehors, il ne cessera de revenir vers nous, de rester disponible pour nous. « Je viens te rendre courage, j'arrive à ton secours », nous dit le livre d'Esaïe.
Dieu ne cessera de frapper à nos portes intérieures. Et plus encore, il frappera sans jugement et sans reproche. Le verset 40 est souvent traduit de cette manière : « Ainsi vous n'avez pas été capables de veiller […] », là où le texte grec nous dit « ainsi vous n'avez pas eu la force de veiller […] ».
Pour combien de personnes « être capable » sous-entend une volonté, une disposition délibérée, qui, si incomplète, dit la responsabilité entière de l'échec ? « Avoir la force de » montre une disposition intellectuelle et physique, qui dans ce passage, nous renvoie à la deuxième partie de ce verset : « L'être humain est plein d'ardeur, mais il est faible aussi. » Il n'y pas de déception ni de reproche dans la bouche de Jésus, mais un constat de souhait et de fragilité, de cette dualité existentielle, dont lui-même fait l'expérience à l'entrée du jardin de Gethsémané.
La prière est plus grande que ce à quoi elle est réduite : un lieu, une posture, une manière d'être adressée... Cette promenade dans ce jardin en compagnie de Jésus nous ouvre un monde encore bien inexploré : celui de notre intériorité, celui qui permet la rencontre détachée de tous carcans.
Dans cette plongée, dans cette promenade, nous pouvons tout dire, tout ressentir, être au plus près de nos résonances ; les exprimer comme bon nous semble, où que l'on soit, quelle que soit notre disposition, sans avoir peur du jugement ou du reproche, car nous avons cette certitude que la rencontre peut se faire, que nous ne cheminons pas seul et que Dieu frappera sans relâche à notre porte intérieure.
Amen.