Toi, suis-moi !

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Elle est venue, tu sais ! Il est venu ! Pourquoi ne sont-ils pas venus ? Ces affirmations et ces questions peuvent être anodines. En ce cas, elles sombrent vite dans l'oubli. Parfois, au contraire, elles marquent notre vie et demeurent alors inscrites dans nos mémoires, telle une déchirure ou une libération !
Un soir, vers neuf heures, à l'heure où l'on n'attend plus de visite, il est venu. À voir son air sombre, on l'a senti tendu. D'une colère contenue, mais intense. Il a parlé, a formulé son reproche, irrévocable. Il est venu, nous dit-il, parce que nous avions fait preuve d'un manque élémentaire de savoir-vivre ! Nous n'avions pas encore remercié ses voisins qui nous avaient dépannés quinze jours plus tôt. Il est venu pour déverser sur nous sa juste colère.

Depuis quelques dimanches, nous écoutons les paroles de Jésus qui contiennent cette expression "Je suis venu". Eh bien, il n'en est pas une qui soit l'expression de son courroux. Jésus n'est pas venu pour exprimer son agacement ou sa réprobation. À ouvrir notre coeur et à sonder le monde, il aurait eu pourtant toutes les raisons de laisser exploser son indignation. Or, ni le feu qu'il est venu allumer sur la terre, ni même l'épée qu'il est venu brandir parmi nous n'ont été des manifestations de son jugement, des marques de son châtiment.

Chacun de nous aspire à la sécurité, désire un réconfort, souhaite la paix et le pardon. Pour être "en ordre", nous préférons ne pas voir le mal à l'oeuvre ! Nous gommons l'insupportable malice humaine en nous et autour de nous. C'est parce qu'elles effacent la douleur, ignorent le péché et bagatellisent la mort que tant de spiritualités modernes nous détruisent. Le succès du Nouvel-Age s'explique en bonne partie par un message de douceur, par un refus du mal et une quête de l'innocence première. Portés par ces courants, enfants de notre temps, nous retenons de Jésus l'image douceâtre du berger protecteur, du guérisseur apitoyé et du conteur de belles paraboles de pardon. Et je dois vous confesse quelque chose : avant de préparer sérieusement ce culte, j'étais si désireux d'y rencontrer un Jésus qui offre un havre de paix, que j'avais déformé le texte biblique en ma mémoire : confondant les passages, j'imaginais que Jésus avait dit aux Pharisiens : "Je suis venu sauver non les justes, mais les pécheurs !" Or ce n'est pas ce qu'il déclare. Non Jésus ne vient pas ici nous délivrer ! Il ne nous épargne ni le malheur, ni la souffrance, ni la mort. Pourquoi est-il alors venu ?

Il y a quelques années, quand l'Église catholique de France manquait terriblement de prêtres, le cardinal Marty, alors archevêque de Paris, lança un cri qui était un appel : J'EMBAUCHE ! Voilà ce que Jésus est venu faire : "Je suis venu appeler", c'est-à-dire engager, embaucher au service de Dieu. Il n'est pas venu pour nous châtier; il n'est pas venu non plus pour nous couver ! Il est venu nous appeler. Il nous aime - oui, il nous aime. Il nous sauve - oui il nous sauve. Mais il le fait en nous appelant. Comme il vient d'interpeller, de secouer, d'appeler ce brave Matthieu, assis à son poste de douane (v.9). Ce ne fut pour le futur disciple ni le choc brutal de la réprimande, ni l'agréable satisfaction de la récompense, mais la surprise de l'appel, de l'invitation, de l'ordre : SUIS-MOI !
"Car je suis venu appeler, non les justes, mais les pécheurs !" Je suis venu vous appeler. C'est beau d'être appelé. Cela fait du bien. J'entends encore la voix de ma mère qui m'appelait de la fenêtre. J'entends encore l'appel affectueux de mon père qui avait besoin de moi. Appeler quelqu'un, c'est lui rappeler qu'il existe ! C'est lui dire qu'il n'est pas seul; c'est l'inviter à découvrir un cercle d'affection autour de soi.
Mais recevoir un appel - et le téléphone est là pour nous le remettre en mémoire - c'est souvent recevoir un ordre, se voir confier une tâche. En envoyant son Fils parmi nous, en nous adressant aujourd'hui la Parole, Dieu nous embauche pour une besogne. Il nous invite à collaborer. À trouver un sens à notre vie, à notre travail, à notre place dans la société.

Toi, tu me suivras, en tenant le coup dans ton infirmité ! Toi, tu me suivras en traversant la tempête économique ! Toi, je t'appelle et je t'engage à veiller cette nuit sur tes enfants malades ! Toi, je suis venu t'appeler à maintenir vivant ce groupe de jeunes. Mille appels, mille tâches confiées, mille rencontres avec ce Christ qui est venu pour notre bonheur. Oui, il est venu autrefois, comme l'Évangile nous le rappelle. Oui, il vient aujourd'hui encore, comme l'Évangile nous l'a promis ! Oui, il viendra dans sa gloire une dernière fois, comme l'Évangile l'espère.

Quand nous voulons obtenir quelque chose, nous disons volontiers, il faut frapper à la bonne porte; trouver la bonne adresse; rencontrer la bonne personne. Et le patron, qui tient à embaucher du personnel qui lui convient, se dit à lui-même : il me faut du personnel qualifié.
Or, à écouter la sentence de Jésus, c'est comme s'il avait agi à rebours du bon sens ! Je ne suis pas venu appeler les justes. Je ne suis pas venu frapper à la bonne porte ! Je n'est pas trouvé les bonnes personnes ! Me serais-je trompé d'adresse !

Quand Dieu appelle Moïse, ce dernier répond qu'il ne sait pas parler. Quand il engage Esaïe, le prophète se déclare incompétent. Comme si Dieu frappait à côté ? Comme si ses invitations devaient déboucher constamment sur l'échec.
Mais, voyez-vous, c'est qu'il n'a pas le choix ! Au fond, il n'a, en face de lui, que des gens incompétents, des travailleurs mal qualifiés. Hommes et femmes, tant que nous sommes ! Regardons-nous ! Nous ne sommes pas beaux à voir ! Ce n'est pas glorieux ! Qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse le Bon Dieu avec une équipe pareille, des perdants, des perdus, des gens défaits, découragés, paumés, vaniteux, égocentriques, faux jetons, casse-pieds. C'est à désespérer.

Or Dieu ne s'est pas découragé. Il s'est dit : c'est vrai qu'il n'y a guère d'espoir. Sauf si je les appelle. Et il les a appelés; et il nous appelle. "Je ne suis pas venu appeler les justes ( et pour cause, car il n'y en avait pas) mais les pécheurs (c'est-à-dire chacun de nous).

C'était la seule solution ! Je vous appelle ! Je viens vous embaucher et, par là, je vous guéris. "Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades !" Il nous transforme en nous appelant. Car il nous fait rencontrer le Christ, ce médecin des âmes et des vies, ce médecin du ciel et de la terre.

Et Matthieu, le douanier, il a appris que ça secoue de rencontrer Jésus. Plus moyen de somnoler à son guichet. Toi, suis-moi ! En racontant l'histoire, Matthieu lui-même puis d'autres après lui jusqu'à ce que l'Évangile soit écrit, tous ont dû admettre, hommes et femmes, enfants et adultes que la bonne nouvelle de Dieu, c'est la meilleure école.
À comparer le texte de Matthieu à celui de Marc ou de Luc, les lecteurs modernes notent cette insolence chez Matthieu sur la formation scolaire : au v. 11, Jésus est appelé votre "maître" (au sens de professeur) et au v.13 l'évangéliste fait dire à Jésus : "Apprenez ceci..." Aujourd'hui, Jésus vient à nous, comme un père ou une mère appelle ses enfants, comme un patron appelle l'un ou l'une de ses employés, comme un médecin instruit sa classe. Mais, attention, il agit autrement que les parents autrement que les patrons, autrement que les maîtres et autrement encore que les médecins.
Il vient à nous, nous appelle et nous instruit pour nous transformer. D'abord pour nous donner la santé spirituelle. Ensuite pour nous engager dans une vie exigeante. Mais les deux choses vont de pair : sa recette, c'est que notre santé, notre équilibre et finalement notre raison d'être, nous les trouverons, retrouverons dans l'engagement. Dans cette embauche de Dieu. Engagement non pour n'importe quelle cause, mais engagement d'une foi droite, dirigée vers Lui, notre Père et notre Seigneur. Engagement non seulement en pensées vers Dieu, mais aussi en action vers les autres.
"Je veux la miséricorde et non le sacrifice" ajoute l'évangéliste à l'histoire du douanier, en puisant dans l'Écriture (Osée 6,6). Une foi chrétienne habillée de la miséricorde, c'est-à-dire qui démontre sa valeur dans le partage des ressources, le respect d'autrui, la joie contagieuse de la rencontre.


En préparant ce culte, je songeais avec bonheur à ces phrases de Jésus ce "je suis venu". Je savais qu'il n'était pas venu pour nous condamner. J'espérais qu'il était venu pour nous sauver. J'ai découvert maintenant et j'espère que vous partagerez cette trouvaille, qui est finalement le coeur de l'évangile, vous paroissiennes et paroissiens de Bernex, vous auditrices et auditeurs de près et de loin : il est venu pour nous appeler. Et son appel est signe de vie, invitation à la rencontre, engagement à sa suite. Dans cette voix: "je suis venu", il donne ce qu'il ordonne, mais il ordonne aussi ce qu'il nous donne. Il nous sauve en nous mettant au travail. Il nous guérit en nous faisant marcher. Il nous instruit en nous faisant découvrir la réalité et la vérité par nous-mêmes.
Ô Dieu pédagogue, Ô Christ médecin, viens Esprit de vie et ravive l'élan de ton appel.

Amen.