"Tenue de service" ! Cette expression est familière à beaucoup d'hommes de ce pays. Elle évoque pour les uns de bons souvenirs - ceux de la Mob, ceux de cours de répétition particulièrement mémorables. Pour les autres, au contraire, la tenue de service est synonyme d'obligation, de discipline, d'obéissance aveugle, de guerre...
Pour ceux-là, on pourrait peut-être remplacer l'expression "tenue de service" par "tenue de travail".
Car, si on le regarde de près, le texte parle de se ceindre les reins, c'est-à-dire de relever les pans de la robe que portaient - et que portent encore dans certains pays - hommes et femmes, et de tenir ces pans de robe dans la ceinture pour pouvoir travailler plus confortablement.
Autres temps, autres moeurs ! On dirait aujourd'hui : "retroussez vos manches!"
En fait, dans l'évangile de ce dimanche, ce n'est pas tellement d'une tenue, d'un habit ou pire encore d'un uniforme qu'il s'agit, mais bien plutôt d'une disposition d'esprit, d'une attitude proposée aux disciples de Jésus-Christ et à ces disciples que nous sommes ou que nous essayons d'être. Restez éveillés, dit le Christ !
Pourquoi cette recommandation ? Pourquoi cette exhortation à se tenir éveillé?
Parce que nous sommes dans une situation assez particulière par rapport au Christ. Depuis presque deux mille ans, nous sommes entre un "déjà" et un "pas encore". Entre le "déjà" de la venue du Christ que nous célébrons chaque année à Noël et le "pas encore" de son retour qui nous est promis pour la fin des temps, ce retour qu'évoque avec tant de subtilité et de finesse le poète Louis Amade, dans la chanson de Gilbert Bécaud "T'es venu de loin".
Ce retour aussi dont Raymond Devos a fait le sujet d'un sketch :"Jésus revient". Un sketch drôle à entendre, bien sûr, mais encore plus intéressant à analyser. Un sketch plein de jeux de mots et qui se termine par cette remarque si judicieuse : "Il vaudrait mieux ne pas raviver la Passion !" - une conclusion qui rejoint le "Qu'est-ce que t'as aux mains ?" de Bécaud.
Les deux poètes ont exprimé merveilleusement bien le fait que celui dont nous attendons le retour, c'est le même que celui qui est déjà venu pour montrer aux hommes comment on aime, comment on pardonne, comment on prie quand on est enfants de Dieu.
Il a donné sa vie par amour pour les hommes. Il est ressuscité au matin de Pâques.
C'est lui qui nous dit ce matin : "Restez en tenue de service, gardez vos lampes allumées".
Retroussons nos manches ! Soyons prêts pour le retour du Christ !
Chers amis, le retour du Christ n'est certainement pas la préoccupation essentielle de nos contemporains. Est-elle même celle des baptisés ? Est-elle même la nôtre ?
Raymond Devos, en bons observateurs des hommes et du monde, dit dans son sketch : "C'était écrit en toutes lettres : "Jésus revient" ! Et les gens passaient à côté.... indifférents : -"Tiens ! Jésus revient ? Il y en a même qui faisaient des réflexions désobligeantes : - Eh bien, il a mis du temps !"
Indifférence, sarcasmes...
L'évangile, lui, déclare "heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller".
Mais qu'est-ce que veiller ?
C'est bien souvent "attendre". Mais l'attente que nous propose l'évangile n'est pas une attente passive.
"Attendre le Maître, dit un auteur contemporain, c'est vivre dans l'Esprit de l'Évangile, se risquer sur les chemins de la Vie, en se laissant inspirer par Jésus de Nazareth, c'est se mettre au service de la terre et des frères, à toute heure, en tout lieu, sans répit, à l'image de Jésus de Nazareth donné pour la joie des siens".
Et cet auteur ajoute : "Vivre dans les traces de Jésus de Nazareth, avec tous les dons qui sont à ma disposition et dont je suis l'intendant, me conduit à sa suite, à travers la mort et jusque dans la demeure où le Père nous accueille en nous disant : "Heureux serviteur ! Viens" (Charles Singer : Saisons, Desclée 1989, p. 214-15).
Malgré les siècles qui nous éloignent du temps où Jésus était parmi les hommes, malgré le temps que le Christ met à revenir - mais ce délai est peut-être notre chance ! -, l'ordre de mission reste valable : "Allez donc : de toutes les nations, faites des disciples" (Mt 28, 19)... "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux" (Mt 9, 37)...
L'Évangile de ce dimanche qualifie les disciples du Christ de "serviteurs". Certes, les problèmes qui se posent actuellement à l'échelon mondial nous dépassent. On éprouve un sentiment d'impuissance devant leur ampleur et leur complexité. Mais chez nous, tout près de nous, les occasions d'agir avec quelques chances d'obtenir des résultats ne manquent pas.
Le chômage est réapparu et son taux est en augmentation, avec tous les problèmes humains que cela pose. Des maladies, dont on croyait qu'elles ne touchaient que les autres, ont été diagnostiquées chez nous et atteignent nos amis, nos connaissances, les membres de nos familles, suscitant beaucoup d'angoisse et de souffrances.
Tout cela nous appelle à être davantage solidaires les uns des autres, à ouvrir les yeux pour déceler les besoins de celles et de ceux qui nous entourent et essayer d'y répondre dans la mesure de nos moyens.
Rester en tenue de service et garder nos lampes allumées, c'est sortir de notre sommeil, qui a pour noms : immobilisme, repli sur soi, égoïsme. C'est aller vers les autres apporter un peu de lumière sur leur route souvent assombrie par les difficultés familiales ou professionnelles qu'ils traversent.
Vers qui irons-nous cette semaine ? Quel chemin notre lampe allumée éclairera-t-elle ?
"Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller. En vérité, je vous le déclare, il prendra la tenue de travail, les fera mettre à table et passera pour les servir".
Oui, celui qui nous demande de nous faire serviteurs les uns des autres prêche d'exemple. De la crèche à la Croix, en passant par le lavement des pieds à ses disciples, le Christ s'est fait Serviteur, pour notre bonheur, pour notre joie, pour notre salut.
Dans l'attente de son retour, ne nous endormons pas, mais suivons-le sur le chemin qu'il a ouvert pour nous : chemin de service, chemin d'amour, chemin du don de soi, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Amen.