1er tableau : Pour des raisons économiques, une famille de Bethléem
émigre à l'étranger.
Ruth 1 : 1 - 5
2ème tableau : Deux réfugiées
Ruth 1 : 16- 22
3ème tableau : Une étrangère en quête de travail
Ruth 2 / 1 - 8
4ème tableau : Se marier pour assurer son avenir
Ruth 3 : 1-4,6,8-11
5ème tableau : L'étrangère intégrée
Ruth 4 : 13-17
Peut-être avez-vous pensé, en entendant l'histoire de Ruth : voilà une jolie histoire ! Une histoire pleine de bons sentiments, et surtout une histoire qui finit bien !
Et pourtant, quand nous y regardons de plus près, force nous est de constater que l'histoire de Ruth la Moabite, l'étrangère, se déroule sur un arrière-fond dramatique : famine, guerres, émigration. Il y a la maladie et la mort prématurée d'Elimélek, de Malon et de Kilion. C'est une histoire remplie de cris, de larmes et de sueur, une histoire faite de ruptures et de déchirures. Au fond, une histoire qui ressemble à beaucoup de nos histoires personnelles.
L'histoire de Ruth la Moabite commence et se termine à Bethléem. Bethléem, cela veut dire : "la Maison du pain".
Pour vivre, nous le savons tous, nous avons besoin de pain. Il s'agit bien du pain que le boulanger pétrit et fait cuire, du pain dont la croûte craque sous nos dents. Le pain dont nous avons besoin pour vivre, c'est tout d'abord et très concrètement la table mise et la nourriture nécessaire pour restaurer nos corps.
Mais nous avons aussi besoin d'autres pains, et nous les connaissons bien ces pains : le pain de l'amitié et de nos affections - le pain de l'amour conjugal - le pain de la santé - le pain du travail (qui est précisément notre "gagne-pain") - le pain de la joie de vivre, d'être une créature vivante - le pian de la culture - sans oublier le pain de la liberté.
Bethléem, c'est la maison où Dieu nous donne le pain nécessaire à la vie, et ce pain, c'est encore sa Parole de vie, sa présence, sa paix.
L'histoire de Ruth la Moabite commence d'une manière surprenante, je dirai même scandaleuse : A Bethléem, la "Maison du pain", des gens ont faim, tous n'ont pas à manger !
Notre récit n'incrimine pas la météo ou le climat, il fait allusion "à l'époque des Juges", c'est-à-dire à une époque troublée, marquée par des violences de toutes sortes : guerres, pillages, viols, déportations, récoltes brûlées...
Alors, comme en surimpression, nous pouvons voir défiler devant nos yeux ces images atroces de la Somalie, de la Bosnie-Herzégovine, du Kurdistan et de tant d'autres lieux... tous ces visages et ces corps déformés, mutilés d'hommes, de femmes et d'enfants, et surtout tous ces regards insoutenables...
Et nous voyons aussi défiler devant nous tous ces hommes et ces femmes en quête de travail, ces marginaux mal dans leur peau, ces êtres humains exploités par d'autres êtres humains, ces êtres humains dégradés, humiliés, bafoués, torturés... Et nous pensons encore à tous ceux et à toutes celles qui, dans notre entourage, vivent des séparations difficiles, des échecs sentimentaux ou professionnels, se retrouvent cloués sur un lit par la maladie ou la vieillesse, ou qui, tout simplement, n'arrivent plus à faire face.
On comprend alors, pour Elimélek et sa famille, le besoin, la tentation de fuir Bethléem, de s'en aller ailleurs, là où on espère trouver du pain, de quoi vivre ou tout simplement survivre... même si finalement cette fuite, ce besoin d'évasion, cette recherche de paradis artificiels ne changent rien, n'apportent aucune solution. A Moab, on se retrouve avec ses problèmes. A Moab, il y aussi la solitude, la maladie, la mort.
L'histoire de Ruth la Moabite, c'est l'histoire d'un retour possible. Le retour de Noémi - la seule survivante du quatuor qui avait fui Bethléem. Dans son malheur, Noémi se souvient qu'à Bethléem, Dieu prend soin de son peuple et lui donne du pain. Elle se souvient qu'elle a toujours sa place à Bethléem, la "Maison du pain", qu'elle fait toujours partie du peuple de Dieu. Même si elle veut s'appeler désormais Mara - c'est-à-dire "celle qui est affligée, amère"-, parce qu'elle a tout perdu et que, dans son amertume, elle crie à Dieu sa souffrance, elle reste néanmoins Noémi - c'est-à-dire "l'heureuse", la "gracieuse", celle qui est l'objet de la grâce de Dieu.
Et puis, avec Noémi, il y a encore Ruth, la Moabite, une étrangère. Ruth - c'est-à-dire l'amie -, celle qui, librement, a choisi de suivre sa belle-mère, de s'attacher à elle et qui lui a fait cette promesse : "là où tu iras, j'irai; là où tu t'installeras, je m'installerai; ton peuple sera mon peuple; ton Dieu sera mon Dieu."
Avec Ruth, c'est l'arrivée surprenante de celle qu'on n'attendait pas, de celle qui vient d'ailleurs, de celle qui n'a aucun droit.
Ce retour, cette arrivée - on le comprend facilement - suscitent étonnement, curiosité, excitation. Mais, relisez attentivement toute cette histoire : vous remarquerez qu'à Bethléem, au soleil de la moisson qui mûrit, il n'y a pas trace de jugement, pas trace de condamnation à l'égard de celle qui était partie ou de l'étrangère qui arrive. Le mot "péché" est totalement absent de notre récit. J'aimerais dire à ceux et celles d'entre vous qui ont vu cette semaine à la Télévision romande le film "La confession du pasteur Burg" que nous sommes à Bethléem bien loin des obsessions du pasteur Burg qui voyait partout péché à dénoncer, mal à combattre. Nous sommes invités à nous réchauffer au "soleil levant qui nous a visités du ciel pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort et pour conduire nos pas sur le chemin de la paix" (je reprends ici une image du prêtre Zacharie dont François Subilia nous a parlé dimanche dernier - voir Luc 1 : 78-79). Oui, nous sommes invités à nous réchauffer au soleil de l'accueil, du pardon, de la grâce de Dieu.
Mais je m'emballe ! Ne brûlons pas les étapes ! Revenons à nos deux réfugiées arrivant à Bethléem au moment de la moisson. J'aimerais attirer votre attention sur trois éléments de ce récit :
1. Ces deux femmes arrivent les mains vides : elles n'ont rien ! C'est d'ailleurs le signe d'un échec, d'un manque, d'une souffrance. Leur seule richesse, c'est leur confiance, leur solidarité, leur amitié. Nous retrouvons ici la tendresse de Dieu à l'égard des petits, des faibles, des pauvres. Dieu donne le pain nécessaire pour vivre à ceux et celles qui ont les mains vides. C'est à eux qu'il offre son amitié, qu'il donne courage, force, paix. L'oeuvre de Dieu prend appui, non pas sur les réussites humaines, mais sur les plus déshérités.
2. L'action de Dieu ne se manifeste pas par des événements extraordinaires. Dans ce récit : pas de miracles éclatants, pas de visions sublimes ! Mais une fidélité au ras des pâquerettes - il faudrait dire au ras des coquelicots, puisque nous sommes au temps de la moisson ! L'action de Dieu se manifeste au travers de la fidélité de Ruth, de son travail humble et fatigant dans les champs de Booz, depuis tôt le matin jusqu'à tard le soir.
Ruth, ma soeur en humanité, tu nous entraînes à voir Dieu dans notre quotidien, à le découvrir dans notre travail, dans nos loisirs, dans nos rencontres, dans nos amitiés. Ruth, tu nous aides à comprendre le sens de la demande : "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce pain" : la ration d'aujourd'hui pour aujourd'hui, la ration de demain pour demain, la ration d'après-demain pour après-demain... Ruth, tu nous invites à relire notre vie pour y chercher les traces de Dieu, pour essayer de déchiffrer et de comprendre comment tel événement, même douloureux, a pu devenir pour nous signe, interpellation de Dieu.
3. La foi de Ruth. Elle n'est pas attente passive, résignée. Elle est action, décision, choix, audace, Ruth, ma soeur en humanité, je salue tes initiatives, j'admire ton courage, le fait que tu paies de ta personne; je respecte ton labeur, le fait que tu ne ménages pas ta peine. En allant partager la couche de Booz, tu n'as pas hésité à risquer le tout pour le tout.
Encore un mot à propos de la fin de l'histoire de Ruth la Moabite. La clé de toute cette histoire, c'est la fidélité. Il y a plusieurs fidélités :
- la fidélité de Noémi-la gracieuse, qui revient à Bethléem, là où Dieu donne du pain à son peuple,
- la fidélité de Ruth l'amie qui s'attache à sa belle-mère et partage son existence,
- la fidélité de Booz, l'homme fort de cette histoire (Booz veut dire "force en lui"), qui ne se dérobe pas devant ses responsabilités et qui assure aux deux réfugiées un avenir décent.
- Enfin et surtout, il y a la fidélité de Dieu, qui prend soin de ceux et celles qui mettent leur confiance en lui.
Ce signe de la fidélité de Dieu, c'est la naissance de l'enfant de Ruth, l'étrangère, celui qui s'appellera Obed, c'est-à-dire "serviteur de Dieu". C'est Obed qui prendra soin de Noémi et de Ruth, c'est lui qui sera leur défenseur, leur protecteur, l'instrument de leur délivrance.
Cet Obed nous fait penser à un autre enfant, né lui aussi à Bethléem, mais bien des siècles plus tard : Jésus, celui dont nous nous préparons à célébrer la naissance. Ce Jésus dira un jour de lui-même : "Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim et celui qui croit en moi n'aura jamais soif" (Jean 6:35). Il pourra l'affirmer, parce qu'il est celui qui est venu à notre rencontre, qui a vécu au milieu de nous. Il est celui auprès de qui nous pouvons apaiser nos faims et nos soifs d'amitié, de justice et de paix.
Amen.
Ruth, La Moabite
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