Dans l'évangile de Matthieu au chapitre 5, Jésus vient de parler du bonheur et ce qu'il en dit renverse nos conceptions et tous nos projets. C'est le bonheur à l'envers ! Un bonheur différent. Une espérance folle pour les personnes qui, sur cette terre, nous paraissent perdantes, utopiques ou malheureuses... Bien plus qu'une espérance, déjà un bonheur réalisé ! Le bonheur pour tant de gens écrasés, démunis qui ne peuvent pas entrer dans les catégories de succès de ce monde où il nous a mis... Où il nous a mis nous aussi, en espérant de nous, sans ironie, que nous soyons le sel de la terre, la lumière du monde.
PHC (Philippe Chèvre) Perdre sa saveur, tourner à l'aigre, garder pour notre consommation interne la lumière reçue, devenir ténèbres revient à s'exposer, selon ce texte sévère, à ne plus rien valoir. Dieu nous en guérisse et qu'en venant ensemble vers lui en ce Jeûne fédéral nous trouvions la réconciliation et une vocation redevenue commune : le bonheur promis à qui tend des mains vides et confiantes. "Heureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux !"
MJG Au moment où l'on dirait que Jésus se met à nier la valeur de la loi, à liquider l'Ancien Testament - "vous avez entendu qu'il a été dit... mais moi je vous dis..." -, voici qu'il précise que la loi demeure valable, vitale jusqu'au jour J, le dernier. Et ces chrétiens qui, toujours à nouveau, ont imaginé qu'ils pouvaient s'en passer, qu'ils n'en avaient plus besoin ! Que de catastrophes, d'actes collectifs graves pour ce mépris de la sainte loi de Dieu, sous de fallacieux raisonnements. Encore quelque chose à partager, frères et sœurs de toute confession, dont il faut demander pardon ensemble, et apprendre de nos frères et sœurs juifs ce qui fut donné dans le premier Testament jusqu'à l'éternité. Il va falloir nous entraider pour le salut de notre terre.
PHC Aimer la loi de Dieu, selon Jésus, cela va au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. "Vous avez entendu qu'il a été dit... mais moi je vous dis"... moi qui, loin d'abolir, viens accomplir !
Et Jésus, en six exemples renversants, appelés antithèses, va nous donner une idée de la vie nouvelle qui nous est proposée. Six domaines de la vie humaine reçoivent dans ce texte une exigence inhabituelle. Heureux, nous dit Jésus, ceux qui accomplissent la loi en allant à l'essentiel, sans se perdre en de multiples considérations juridiques, sans rien omettre, mais en relisant cette loi comme étant parole de vie. La loi dont nous parle Jésus concerne l'épanouissement du cœur de l'humain - chaque fois qu'il évite de tuer de mille manières, d'accaparer l'autre et d'en faire sa chose ; chaque fois qu'il répond à la violence stupide par la force féconde de l'amour, chaque fois qu'il aime l'ennemi concret, celui qui a fait le mal concret, parce qu'il découvre en lui, malgré tout, une vie qui peut repartir.
MJG Dans la première des six antithèses, Jésus nous montre comment la miséricorde agissante de Dieu exige et donne que nous dépassions nos conflits humains et nos mésententes : c'est vrai aussi pour nos Eglises et leur manière d'être ensemble.
Que ce soit dans la vie de tous les jours, avec quiconque, mais aussi entre nous : condamnée, la colère ! Bannie, l'animosité, les images où nous voyons en l'autre un ennemi ! Faire mal, blesser profondément, c'est perdre sa propre vie, c'est s'aliéner soi-même ! Toute l'actualité rejoint ce que Jésus nous dit là. Et il nous rappelle le pouvoir des mots, leur gravité. Dieu demande notre engagement total. C'est la loi nouvelle, c'est la loi ancienne, c'est la loi de Dieu ! Dès les premiers versets traitant des antithèses, nous apprenons quelque chose de fondamental et de renversant pour nous ce matin.
PHC Etrangement, c'est si les autres ont quelque chose contre nous qu'on ne peut arriver en présence de Dieu. On a beau se croire en ordre, cela n'a aucune importance ! Génie de Dieu : il faut aller chercher l'autre, partir à sa rencontre. Pas d'accès à l'autel, vous vous rendez compte, avant de s'être expliqués ! La célébration serait souillée, impossible : c'est ensemble, avec une volonté de réparation, que Dieu nous attend. Et à cause de la parousie, le temps presse ! Dans l'histoire du monde, le temps est compté !
MJG Nous sommes forcés aujourd'hui à un Jeûne eucharistique. Vous avez remarqué : il y a une coupe et du pain, mais nous ne pourrons pas les partager ! Pas de sainte Cène aujourd'hui ! Ecoutons à cœur ouvert ce que Jésus nous veut. Et puisqu'il nous dit que Dieu ne nous accueillera ensemble que lorsque nous nous entendrons : dans l'humilité, expliquons-nous, échangeons des critiques constructives, laissons-nous montrer nos manques, apprenons les uns des autres... Faisons un pas vers la réconciliation qui conduit à la rencontre de Dieu ! Essayons ! Malgré nos craintes, essayons ! Essayons déjà entre nous. Une vraie réconciliation réconcilie le monde. Un coin du monde en paix, c'est déjà la paix dans le monde. Il n'y a pas que le mal qui soit contagieux.
PHC Se réconcilier ? D'une part en dépassant les très nombreux préjugés qui empêchent un vrai rapprochement, d'autre part en acceptant de changer. Tenez, par exemple : nous disons volontiers, "L'Eglise est sainte" Et pourtant, vous vous êtes éloignés, frères et sœurs protestants. Vous êtes partis. L'universalité de l'Eglise en a été comme brisée".
MJG Pardon, vous nous avez mis à la porte, déclarés hors communion. Vous n'avez pas été capables de vous convertir avec nous pour chercher ensemble une fidélité nouvelle. Vous nous avez expulsés de notre maison et nous avons dû en construire une autre. Et puis, vous parlez ou laissez parler presque toujours de l'Eglise comme si c'était uniquement vous. Vous nous oubliez.
PHC Le Concile œcuménique Vatican II affirme que "tout ce qui provient du Christ et conduit à Lui, appartient à l'unique Eglise du Christ" (Décret sur l'œcuménisme). Il est révolu, et il faudra bien vous en rendre compte, le temps où nous disions "hors de l'Eglise, pas de salut"! La Communauté catholique, elle aussi, se convertit. Laissez-nous le temps d'évangéliser et nos réflexes et notre mémoire. Oui, vraiment, vous faites partie de l'Eglise universelle. Nous devons le dire de plus en plus avec des mots précis, sans équivoque. Sans les multiples facettes de l'Eglise, il est vraiment vrai que nous nous éloignons de sa catholicité, c'est-à-dire de son universalité. Mais l'Église catholique développe un service de l'autorité de plus en plus collégial. Certes, il y a beaucoup à faire. Et pourtant, vous parlez de notre obéissance au pape et à l'évêque d'une manière peu respectueuse de ce qui se développe chez nous.
MJG Ah ça! il est vrai que nous avons de fameuses difficultés. L'histoire nous sépare et nous avons d'immenses malentendus à dissiper. En ce qui concerne l'épiscopat, le besoin de guides, d'une certaine confiance, moi je crois profondément que nous pourrons faire ensemble des pas dans une direction à la fois plus efficace, plus féconde et plus belle. Mais où se situera alors la liberté, le respect du peuple de Dieu et de chaque ministre; où la liberté de la théologie ? Essayons de faire encore quelques pas. Vous ne reconnaissez pas vraiment notre ministère pastoral réformé. C'est une de nos grandes tristesses.
PHC Pour nous comme pour vous, tous les membres du Peuple de Dieu, par le baptême, ont une vocation sacerdotale afin d'aimer comme le Christ et d'être le sel de la terre. Le diacre, le prêtre et l'évêque, dans une succession historique ininterrompue avec les premiers apôtres, sont malgré leurs faiblesses, totalement au service du sacerdoce le plus grand : celui des baptisés. Nous reconnaissons le ministère des pasteurs, ainsi que leurs compétences humaines et théologiques. Est-ce un ministère ordonné, tel que le comprend notre antique tradition ? Nous le souhaiterions. Vous savez, vous nous semblez manquer de discipline et d'unité.
MJG C'est vrai. Mais vous nous paraissez tenir peu compte du sacerdoce universel des croyants. Ne manquez-vous pas de liberté ?
PHC Vous avez tant de peine à sortir de votre individualisme !
MJG Ne seriez-vous pas formalistes ? Des règlements ne passent-ils pas avant les personnes !
PHC Vous avez laissé tomber une femme, Marie; sa complicité inouïe avec Jésus. Pourquoi ne pas regarder un visage exceptionnel ?
MJG C'est que vous avez mis Marie sur un tel piédestal qu'elle échappe à notre humanité. Marie, notre sœur, nous ne demandons qu'à la retrouver parmi nous, les femmes d'aujourd'hui, appelées aussi à porter Dieu dans le monde. Et sa vie dans nos fragilités! Quant aux femmes, quelle place leur donnez-vous ?
HPC Est-ce vraiment mieux chez vous ?
MJG Vous croyez qu'il n'y a que vous !
PHC Vous aussi !
MJG Que de préjugés! Nous connaissons-nous vraiment ? Et il y aurait, il y aura tant de choses à dire, à se dire.
PHC Mais avec nos disputes et nos divisions, nous dilapidons la force de Dieu. Nous cachons son amour au monde et perdons le temps du Christ, notre Seigneur. Dans cet échange salutaire, c'est un cri de confession qui monte de nos cœurs. Nous avons mal de la séparation. Nous voulons nous retrouver. Nous voulons servir ensemble, vivre ensemble et dire son amour. Et pour cela, nous avons besoin les uns des autres.
MJG "A qui veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau. Si quelqu'un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui". (Mat. 5 : 40 et 41) Va plus loin ! Donne plus que l'on ne te demande ! Ne ménage pas ton temps, ton amour! Va au-devant de l'autre ! Là tu seras comme Dieu. Tu comprendras ce qu'est la grâce dans ton quotidien, comme dans la réalité de l'Eglise.
PHC "On se fait avoir!" Mais non !
Nous devenons nous-mêmes lorsque, fragiles et pécheurs, nous recevons le pardon de Dieu et des hommes; lorsque nous pardonnons, sans faiblesse, mais d'un cœur sincère. Mort aux préjugés faciles! "Tout ce qui conduit au Christ appartient à l'unique Eglise du Christ" (Vatican II). Cette réflexion vaut pour ce que nous vivons personnellement dans nos familles, notre milieu, notre ville, notre patrie, comme dans l'église.
MJG Des murs tombent. Resterons-nous, lugubres, dans notre coin, disant :"on se fait avoir!"
PHC Jeûne fédéral : demanderons-nous pardon à Dieu en paroles et en actes pour nos fautes ?
MJG Fête fédérale d'Action de grâces : saurons-nous vivre notre reconnaissance ?
PHC Oui
MJG
Amen !
Un bonheur différent
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