La foi, une attitude de vie

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Ezéchiel le prophète fait retentir un appel à la conversion. Non seulement au changement de comportement, mais encore à la modification du regard que nous posons sur les êtres, les événements et les choses. Sachons ouvrir les yeux à la nouveauté de Dieu pour l'accueillir ! Elle nous révèle ce qui est nécessaire pour vivre, parfois pour survivre jour après jour !

Paul, l'Apôtre, dans sa lettre aux Philippiens nous invite à être cet homme nouveau, créé par l'Esprit à la ressemblance du Christ. Cet homme nouveau - par-delà les dissensions et les rivalités - renonce à tout sentiment de supériorité et est rendu capable de vivre en communion avec les autres !

L'Evangile selon Matthieu nous propose la parabole des deux fils. Une perle dans le trésor des paraboles. D'une concision extrême, et d'une violence inouïe ! Elle blesse la sensibilité des gens pieux qui n'ont pas l'habitude qu'on les mette en comparaison avec des prostituées.

"Mon enfant, va travailler aujourd'hui à ma vigne". Pour que grandisse le royaume, il faut notre collaboration. Dieu nous confie l'avenir de son projet pour les hommes.

Faut-il donc s'étonner - frères et sœurs - si le désert, l'absence de vie, envahit les hommes et notre société, assèche les consciences, si la désertification des cœurs et des esprits désespère la jeunesse, démobilise les volontés, laisse libre cours à la violence... Alors que nous-mêmes nous relâchons notre vigilance. Nous oublions de nous souvenir, de revenir à la Parole de Dieu reçue pour la garder activement. Il nous arrive en effet de dénoncer des situations dont pourtant nous sommes, pour une part, collectivement responsables. Faut-il donc s'étonner si la société se sécularise, c'est-à-dire met Dieu, rejette Dieu, dans la marge de la vie courante, se déchristianise à un rythme rapide, enlève à la Parole de Dieu tout impact dans la vie quotidienne... Faut-il s'inquiéter, par exemple, de la désaffection de beaucoup alors que nous-mêmes nous ne savons pas prendre le chemin qui nous fera retrouver dans ses profondeurs, la source qui rendra vie à nos racines spirituelles.

L'interrogation porte sur les marques de fidélité qui nous sont demandées aujourd'hui. Pour que l'amitié avec Dieu ne soit pas brisée, mais se maintienne. Pour que le tissu d'une vie chrétienne, d'une présence chrétienne, ne soit pas totalement déchiré, mais se reconstitue. Mon propos concerne le projet de Dieu pour l'homme et pour tous les hommes. Ne nous y trompons pas, notre attitude face à Dieu et à son peuple sur la terre, n'est pas en vérité dans ce que nous pensons ou disons, mais dans ce que nous faisons. L'engagement n'est pas dans une déclaration d'intention, mais dans le choix et les actes concrets de notre vie quotidienne.

La Parole de Dieu aujourd'hui, c'est la parabole des deux fils que Matthieu nous rapporte. Elle est adressée par Jésus aux chefs des prêtres et aux anciens, c'est-à-dire les responsables religieux de l'époque. Car Jésus les sollicite : il fait appel à leur capacité de discernement :"que pensez-vous de ceci !"

"Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier : mon enfant, va travailler aujourd'hui à ma vigne. Ce premier fils répondit : Je ne veux pas. Mais ensuite, s'étant repenti, il y alla. Le père demande la même chose au second fils qui lui répondit : Oui, Seigneur ! Et il n'y alla pas".

Nous sommes dans un vignoble familial palestinien. Au matin on y distribue le travail. Ce ne sont pas des ouvriers qu'un homme envoie travailler à sa vigne. Ce ne sont pas des amis qu'il invite. C'est avec ses deux fils qu'il entre en dialogue. Mis sur le même plan, les deux fils doivent être l'objet d'une même affection. Nous ne savons guère pourquoi le premier des fils passe du NON au OUI et pourquoi le second fait l'inverse. C'est que Jésus ne veut, en premier lieu, qu'attirer l'attention sur un fait et la conséquence qui en découle immédiatement.

Le fait est certain : il y a des gens qui font ce qu'ils avaient d'abord refusé de faire et d'autres qui ne font pas ce qu'ils avaient accepté. Les auditeurs de Jésus ne discutent pas le fait. Ils reconnaissent aussi que le OUI et le NON du début, démentis par la suite, ont perdu toute signification. C'était une parole en l'air ! Seule demeure l'attitude finalement adoptée. Au-delà des déclarations d'intention, au-delà des promesses d'engagement, il y a ceux qui concrètement font et ceux qui ne font pas ! Le raisonnement est simple, il a pour lui la force de l'évidence, les auditeurs de Jésus l'ont compris et accepté. Ces auditeurs, Jésus va les confondre, de manière provocatrice, en proposant l'application qu'il tire de son raisonnement. Avec solennité :"En vérité, en vérité je vous le dis..." il déclare aux chefs des prêtres et aux anciens du peuple qui l'écoutent que les "publicains et les prostituées les précèdent dans le Royaume des cieux". L'expression est terrible et choquante !

Les publicains et les prostituées, ce sont les parias religieux et sociaux de l'époque. Ils incarnent tout ce qu'exècre le juif pieux. Les prostituées sont l'image de l'immoralité. Quant aux publicains, c'était des juifs méprisés parce que comme collecteurs de l'impôt, ils étaient voleurs de leurs concitoyens et collaborateurs de la puissance romaine occupante. Leur métier est une sorte de prostitution, car ils étaient vendus à César. La phrase de Jésus est plus sévère qu'il n'y paraît. En réalité la parole de Jésus veut être exclusive : "Les publicains et les prostituées prennent votre place dans le Royaume". Dure parole ! Plus dure encore si les publicains et les prostituées correspondent au premier fils de la parabole, celui qui dit non et qui fait oui. Donc les prêtres et les anciens, ceux avec qui Jésus s’entretient, sont ceux qui disent oui et font non !

Ces hommes dont l'attitude est peu estimable, les publicains, sont trahis par les apparences : ils refusent l'invitation à travailler dans la vigne offerte à tous, mais c'est pour donner bientôt une réponse positive. Ces femmes, habituellement condamnées, sont représentatives d'une orientation vers le Royaume de Dieu, dont la réalité est trahie par les apparences. Foi des parias, incrédulité des justes officiels.

En effet, précise Jésus :"vous les prêtres et les anciens, vous n'avez pas cru à la prédication de Jean-Baptiste, tandis que les publicains et les prostituées y ont cru". Entendre l'appel de Jean-Baptiste c'est s'ouvrir à la miséricorde de Dieu ! La prédication de Jean-Baptiste a montré les tendances profondes. Ceux qui se croient les représentants de la fidélité à Dieu n'ont pas cru en Jean-Baptiste, qui ne proposait rien d'autre que le moyen de vivre avec Dieu en conformité à sa volonté. Ils n'ont pas voulu reconnaître la nouveauté du Messie et de son précurseur : sûrs de leurs mérites mesurés à l'aune de leur tradition qui les emprisonne, ils n'entendent pas que Dieu leur parle en Jean le Baptiste et en Jésus. Ils préfèrent le passé des hommes à l'aujourd'hui de Dieu. Au contraire, publicains et prostituées dont la vie semble cheminer ailleurs que sur la voie de Dieu ont cru en Jean-Baptiste. Jésus ouvre les portes du Royaume à ce ramassis de la déchéance en raison de leur conversion à la nouveauté de Dieu : l'Evangile.

Vous aurez noté que pour l'Evangile "croire en" sou "faire la volonté" sont équivalents. Croire est pris comme toujours dans la Bible au sens fort. Croire en la parole, en la prédication de Jean-Baptiste, c'est faire la volonté de Dieu L'accomplissement de la volonté de Dieu procède d'une foi en lui et la foi authentique ne peut que s'épanouir, s'exprimer, se traduire dans un FAIRE. L'instance dernière de la fidélité réside dans le faire! Le dire est ambigu : il peut toujours être démenti. ; le faire est l'indice décisif de l'obéissance. Les actes jugent du sérieux de l'intention. L'intention de se convertir n'est pas la conversion.

Ainsi donc, le second fils de la parabole, celui qui dit OUI et qui fait NON, ce sont les interlocuteurs de Jésus, les prêtres et les anciens. Ceux à qui il parle... serait-ce nous aujourd'hui ? Quelle perversité est aujourd'hui démasquée ? Quel mutisme est percé ? Jésus vise bien les instances dirigeantes, les personnalités influentes, l'élite. Ceux qui se croient tels. Les défenseurs prétendus de la vraie religion qui savent ce qu'il en est, ce qui en a toujours été. Même si aujourd'hui ils ne se commettent dans aucune responsabilité. Ceux qui se figent dans une incrédulité manifeste, refusant la nouveauté de Dieu, refusant les messagers du Royaume. Ceux qui sont enfermés dans leur bon droit, certains d'incarner la fidélité religieuse. Ceux qui exhibent leur certificat de bonne famille et qui considèrent les autres de haut. Les justes honorables et bien-pensants qui s'offusquent si l'on bouscule leurs certitudes établies. Ceux qui ne comptent plus sur la miséricorde. Matthieu élargira l'horizon vers tous les disciples de Jésus qui disent : "Seigneur, Seigneur, mais qui ne font pas la volonté de mon Père". La parabole nous atteint, nous dont le DIRE ne va pas jusqu'au FAIRE ou jusqu'au CROIRE. Voici qu'est soupçonnée la notion même des "engagements". Tantôt nous la valorisons :"il faut que les parents s'engagent clairement lors du baptême de leurs enfants, il faut insister sur l'engagement des jeunes lors de leur confirmation..." Tantôt nous la dévalorisons :"Ces engagements n'étaient pas sérieux... Ils ont été pris à la légère....

Or, l'Evangile nous dit aujourd'hui, que c'est dans le concret de notre vie quotidienne que nous manifestons, chaque jour et jamais une fois pour toutes, notre engagement dans la volonté de Dieu. Là beaucoup de belles déclarations, de paroles engagées et exigeantes qui ne trouvent jamais leur confirmation concrète dans un FAIRE, dans une action conséquente. Par contre, combien de fois rencontrons-nous de petites gens, sans prétention, qui sont les premiers à manifester générosité, entraide, accueil de l'autre, sans jugement.

Soyons prudents avec tous les engagements solennels ! Interrogeons-nous sur nos propres contradictions. Interrogeons-nous sur notre FAIRE quotidien. Tisse-t-il une trajectoire de vie qui est orientée sur le Royaume ? Voilà la question que chacun doit se poser. Ne nous y trompons pas. C'est là que se situe l'enjeu : notre FAIRE quotidien, nos choix concrets contribuent soit à rendre le Royaume de Dieu présent, soit à l'écarter ou à le faire reculer. Chaque jour, avec nos pieds, nous votons, pour ou contre Dieu. Pour on coutre l'édification de sa famille au milieu des hommes d'ici.

Dans notre société d'aujourd'hui, par notre attitude concrète nous contribuons ou non au rayonnement de l'Evangile, à la mission chrétienne. Il arrive que d'aucuns trouvent trop lourde cette responsabilité... Nous n'avons pas à les juger... Certes, il n'est pas facile de vivre en chrétiens. Les choix à faire ne sont pas toujours clairs et évidents... mais il faut aussi se donner les moyens de ses ambitions : le temps de la réflexion, le temps de l'écoute de la Parole de Dieu, le temps de la rencontre de l'autre.

C'est ce temps qui a conduit le premier Fils de la parabole à la repentance et à une orientation nouvelle de sa vie, qui l'a fait passer du NON au OUI. Son cœur s'est changé, renouvelé. Cette repentance et cette orientation nouvelle de la vie sont possibles pour les publicains et les prostituées parce qu'ils ne se font pas d'illusion sur eux-mêmes. Ils ne sont pas prisonniers de leur bon droit, de leur propre justice. Leur situation de marginal comporte en fait une ouverture à la grâce de Dieu, dans la mesure où cette situation réalise souvent une véritable expérience de pauvreté intérieure. C'est l'expérience de la pauvreté, ou du désert, par-delà nos avoirs et notre suffisance, qui peut être l'occasion de répondre plus aisément à l'appel de Dieu.

Il n'y a pas d'inscription pour le Royaume ! Si on ne cherche pas à y entrer à chaque instant, on en sort sans s'en apercevoir. La foi est une attitude de vie, un comportement qui engage notre destinée. C'est une réponse à un appel, réponse qui consiste à engager son existence dans un projet tracé par Dieu !

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Robert Märki
Musique
Choeur mixte de la Maladière