Sens ?

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Aimez-vous la cuisine chinoise ? - Je pense, chers amis, que vous soyez ici au temple de Prilly ou devant vos postes de radio, que vous répondriez pour la plupart d'entre vous par l'affirmative. Cependant, vous êtes-vous déjà posé la question de savoir quelles sont les raisons du succès de la gastronomie chinoise ? Son exotisme ne l'explique guère, car elle est appréciée autant par les Chinois eux-mêmes que par nous occidentaux.

Récemment, un grand critique culinaire a fait les observations suivantes : la cuisine chinoise ne vise pas exclusivement à satisfaire le sens du goût, elle cherche, en outre, à associer tous les autres sens au plaisir du repas : l'odorat par un choix élaboré de parfums et d'épices exquis, la vue par une présentation des plats hautement recherchée, le toucher par le fait que certains mets se mangent avec les mains ou alors avec des baguettes considérées comme le prolongement des doigts, et même l'ouïe par la préparation de nombreux plats en présence de l'invité qui peut ainsi entendre le crépitement du feu ou de l'huile. C'est donc une cuisine très "sensuelle", dans la mesure où elle cherche à nous séduire dans la totalité de nos facultés de perception. Nous pouvons en conclure que les domaines où tous nos sens sont en éveil nous permettent de faire les expériences les plus intenses et les plus authentiques.

Nous entrons aujourd'hui dans le temps de l'Avent, temps de préparation et d'attente. Mais bien que je sois aujourd'hui un chrétien adulte, sachant comprendre et apprécier les motifs théologiques de ce temps liturgique, les Avents les plus intenses que j'ai vécus remontent à mon enfance. Quand j'étais petit, les quatre semaines avant Noël constituaient pour moi une période tout à fait exceptionnelle. Je voyais la transformation de notre ville, les vitrines s'illuminaient et les candélabres s'offraient aux regards des passants. A la maison, je sentais le bon arôme des gâteaux de Noël qui s'échappait de la cuisine, et quelle joie au moment de les déguster. J'écoutais avec plaisir les histoires que nos parents nous racontaient à la lumière des bougies après le goûter dominical. Quel sentiment agréable et sécurisant d'être assis près d'eux ou sur leurs genoux.

Le temps de l'Avent n'est-il pas une occasion de redécouvrir la fonction de nos cinq sens dans l'expression de notre attente, de notre foi, de notre relation avec Dieu ? C'est pourquoi le groupe de préparation des quatre cultes de l'Avent radiodiffusés - les pasteurs de la paroisse de Prilly ainsi que quatre professeurs de théologie de l'Université de Lausanne - a décidé de réfléchir sur nos cinq sens. Où est leur place quand il s'agit de dire Dieu, de rendre compte de sa Révélation ? Cette redécouverte des sens devrait être également considérée comme une réhabilitation. En effet, nous, les protestants nous avons mis tout l'accent sur un seul sens : l'écoute, et en ceci nous sommes fidèles à l'héritage juif du christianisme. Les Réformateurs ont insisté, avec raison, sur le fait que la Révélation de Dieu nous est consignée et accessible à travers les écrits bibliques. Il en résultait que le "bon" protestant pouvait être caractérisé comme celui qui était à l'écoute de la Parole de Dieu. Ce slogan n'est certainement pas faux, mais alors que fait le protestant de ses yeux, ses mains, son nez et sa bouche ?


Le temps de l'Avent n'est-il pas une occasion de redécouvrir la fonction de nos cinq sens dans l'expression de notre attente, de notre foi, de notre relation avec Dieu ? C'est pourquoi le groupe de préparation des quatre cultes de l'Avent radiodiffusés - les pasteurs de la paroisse de Prilly ainsi que quatre professeurs de théologie de l'Université de Lausanne - a décidé de réfléchir sur nos cinq sens. Où est leur place quand il s'agit de dire Dieu, de rendre compte de sa Révélation ? Cette redécouverte des sens devrait être également considérée comme une réhabilitation. En effet, nous, les protestants nous avons mis tout l'accent sur un seul sens : l'écoute, et en ceci nous sommes fidèles à l'héritage juif du christianisme. Les Réformateurs ont insisté, avec raison, sur le fait que la Révélation de Dieu nous est consignée et accessible à travers les écrits bibliques. Il en résultait que le "bon" protestant pouvait être caractérisé comme celui qui était à l'écoute de la Parole de Dieu. Ce slogan n'est certainement pas faux, mais alors que fait le protestant de ses yeux, ses mains, son nez et sa bouche ?

Le texte de la conclusion de l'alliance de Dieu avec son peuple dont nous avons entendu des extraits, peut nous fournir des pistes de réflexion à ce sujet. Rappelons que cet épisode constitue l'événement central de tout l'Ancien Testament. Dans ce moment privilégié de l'histoire d'Israël, où Dieu s'engage lui-même pour son peuple et demande au peuple de s'engager pour lui, il est, bien sûr, beaucoup question d'écoute. Mais en étudiant attentivement le texte nous constatons que le premier verbe avec lequel Dieu rappelle au peuple son intervention salutaire se rapporte au regard :"Vous avez vu tout ce que j'ai fait à l'Egypte" - et le discours divin se poursuit ainsi : "je vous ai portés sur des ailes d'aigle et vous ai fait arriver jusqu'à moi". Cette image nous parle de la proximité totale, oui : du toucher de Dieu. Le philosophe et théologien juif Martin Buber a parfaitement saisi la force de cette image de l'aigle et l'a décrite de manière si poétique que j'aimerais lui laisser la parole :"Le grand aigle déploie ses ailes sur ses oiselets, il prend l'un d'entre eux, craintif ou fatigué, et le porte sur ses plumes, jusqu'à ce qu'il puisse enfin se risquer lui-même à voler et à suivre son père dans ses spirales ascendantes. Ici, nous avons tout ensemble, l'élection, la délivrance et l'éducation".

Dans le texte de notre méditation le voir et le toucher précèdent donc la demande de l'écoute. Ensuite, la conclusion de l'alliance s'accompagne de l'odeur, "le parfum agréable", comme dit souvent l'Ancien Testament, des sacrifices, et se termine par un repas. Les 70 anciens "contemplèrent Dieu, ils mangèrent et burent". Le sens du goûter est ici associé à la vue, et quelle vue :"ils virent le Dieu d'Israël". C'est inouï et inimaginable. Il est vrai que le texte d'Exode 24 relate un événement tout à fait exceptionnel et hors du commun. Mais ce qui est aussi remarquable, c'est le fait que cette alliance dont il est question se réalise dans une rencontre avec Dieu impliquant tous les sens. Dieu s'adresse à l'homme dans sa totalité, et l'homme est touché par l'offre de Dieu dans toutes ses capacités sensorielles. Certaines de ces capacités semblent même être poussées à l'extrême, notamment le voir. Si nous n'étions pas soumis aux impératifs du temps, j'aurais aimé qu'on affiche ce texte de l'alliance sur un grand panneau. J'aurais alors demandé aux enfants de marquer avec des couleurs les différents verbes que l'auteur utilise pour parler de l'alliance de Dieu avec son peuple. On aurait alors facilement pu constater que c'est l'écoute qui se trouve au milieu du texte et que tout le récit est encadré par le voir, entre les deux se trouvant les verbes du toucher, du sentir et du goûter. D'une certaine manière, le voir et l'entendre constituent l'épine dorsale autour de laquelle le récit de l'alliance prend corps. Mais comment faut-il comprendre la scène suivant laquelle les anciens voient Dieu ? Moïse n'avait-il pas fait pareille demande au Seigneur et celui-ci ne lui avait-il pas répondu : « l'homme ne saurait me voir et vivre » (exode 33,20). Nous nous trouvons donc avec l'histoire de la conclusion de l'alliance dans une situation hors du commun. Pour bien la comprendre, il importe de savoir que la conclusion solennelle de l'alliance se présente comme la réalisation d'une promesse initiale faite par Dieu :"Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte". C'est cette promesse que le réformateur Martin Luther a utilisée pour former le concept de sacerdoce universel. Il voulait exprimer par là le fait que l'offre de Dieu s'adresse à tout homme. Dès lors chacun peut s'approcher de Dieu en toute confiance et sans la nécessité d'un intermédiaire sacerdotal ou ecclésiastique. Dans le texte que nous avons lu, Dieu lui-même permet la réalisation de cette offre. En effet, souvenez-vous que ce sont les jeunes gens, âgés de 15 à 16 ans, qui sont chargés de présenter les sacrifices, privilège normalement réservé aux seuls prêtres. D'autre part, lors de la vision finale les 70 anciens représentent le peuple entier, 70 symbolisant la totalité. Cette vision de Dieu accordée via les anciens à tout le peuple du Seigneur reste sans aucun équivalent, même approximatif, dans tout l'Ancien Testament. Israël est arrivé ici à un degré de proximité avec l'Eternel qu'il n'a jamais plus atteint par la suite. Pourquoi cet état idéal n'a-t-il pas perduré ? Ça, c'est une autre histoire, celle du veau d'or, durant laquelle le peuple cède à la tentation de façonner une image de Dieu selon des conceptions humaines, tentation qui provoque une cassure par rapport à l'offre initiale de Dieu. Néanmoins, malgré cette rupture, Dieu lui-même nous invite à entrer dans son alliance dont il a annoncé le renouvellement par la bouche des prophètes. Pour nous chrétiens cette nouvelle alliance est devenue visible, tangible, audible par le venue de Jésus de Nazareth. L'alliance de Dieu avec l'humanité entière en la personne du Christ est caractérisée d'une manière très "incarnée" par Jean, l'Evangéliste. "La Parole s'est faite chair et elle a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire". Jean reprend ici les deux piliers du récit vétéro-testamentaire de la conclusion de l'alliance : l'écoute de la Parole et le voir.

Ecouter et voir. Pour nos sociétés occidentales de la fin du 20e siècle, l'insistance sur ces deux sens devrait être la bienvenue. Les sociologues n'ont-ils pas inventé, pour parler de notre société, le terme de "paysage audiovisuel" ? Les sons et les images sont omniprésents. Un ami m'a dit un jour :"Je me lève avec la radio et je me couche avec la télé". En effet, radio et télévision, walkman et vidéo sont devenus les éléments structurants de notre vie individuelle et sociale. J'ai parfois l'impression que par cette avalanche de sons et d'images, qui risque de nous rendre sourds et aveugles, nous ressemblons au peuple dont il est question dans le livre du prophète Esaïe. Un peuple qui écoute sans comprendre et qui regarde sans voir.

Peut-être que l'histoire que nous avons méditée durant ce premier dimanche de l'Avent nous invite-t-elle à faire le tri. Si le temps de l'Avent devenait pour nous l'occasion d'arrêter les images de toutes sortes qui déferlent sur nous pour que nos yeux puissent réellement s'ouvrir et voir ce qui souvent reste caché... Et si nous faisions silence afin de retrouver une écoute authentique... Pouvons-nous encore ressentir, apprécier un sourire, un murmure ?

Chers Amis, qu'y a-t-il de commun entre les anciens de la génération de l'Exode qui voient le Dieu d'Israël et les bergers qui contemplent un bébé déposé dans une crèche ? Dans les deux cas, c'est Dieu qui se donne à voir aux hommes, de manière inattendue et de manière inimaginable. Certes, nous ne sommes pas au mont Sinaï ni dans une étable près de Bethlehem, mais Dieu nous offre son alliance. Il nous invite à une nouvelle qualité de vie qui dépasse radicalement nos expériences et nos attentes. Dieu nous invite à le voir, à l'écouter, à le toucher, à le sentir. Comment ? Pas de manière hollywoodienne avec de nombreux effets spéciaux auxquels nous ne sommes que trop habitués. Dieu nous attend là où nous ne l'attendons pas. Dans le regard d'un enfant, dans la rencontre avec le prochain, avec l'étranger, avec celui qui souffre. "Ce que vous avez fait à un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait", dit Jésus-Christ ressuscité dans l'Evangile de Matthieu. L'Avent est la préparation de cette nouvelle rencontre qui peut nous arracher à nos léthargies diverses et revivifier nos sens. Demandons à Dieu d'ouvrir nos yeux et nos oreilles et d'entrer dans cette nouvelle réalité de l'alliance. Et alors, nous pourrons faire nôtres les paroles de l'Evangile de Jean :"La parole s'est faite chair et elle a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire".

Amen.

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Olivier Diserens
Musique
Choeur paroissial de Prilly-Jouxtens