Cher André,
Que la grâce et la paix, ainsi que la joie du Seigneur Jésus-Christ te soient données en abondance en ce jour de célébration de la fête du 30e anniversaire du Département Missionnaire !
Vos Eglises partenaires en général et l'Eglise de Jésus-Christ à Madagascar en particulier se joignent à nous pour cette occasion. En prenant part à ce culte de reconnaissance et de louange, ici au milieu de vous tous, je me vois représenter vos compagnons de route dans cette MISSION que le Seigneur nous a confiée - celle de témoigner par la Parole et les actes le grand secret de notre foi.
Chez nous, la fête n'est pas complète si tous les membres de la famille élargie ne sont pas présents pour partager la joie et le repas: pour se donner les nouvelles, bonnes ou mauvaises, face à face - et ainsi pouvoir "se réjouir ensemble et éventuellement pleurer ensemble" aussi. Mais puisque vos amis d'outre-mer n'ont pas pu venir aujourd'hui, ils se contentent, par ce message que j'apporte de leur part, de vous transmettre par lettre ce qu'ils auraient bien voulu dire et partager avec vous, en espérant que vous la lirez à tous les frères et sœurs cette lettre, vous qui aimez tant lire et écrire !
Le DM a donc 30 ans ! Le chemin parcouru est long déjà ! Mais où en êtes-vous au fait ? Où en es-tu dans ce que le DM a entrepris depuis ? Où ira le DM, demain après cet anniversaire ? Je serai heureuse de te lire là-dessus. Je voudrais aussi en profiter pour mieux te connaître. En attendant, je me permets de partager avec toi et les tiens ce que je vis dans mon Eglise maintenant que nous célébrons aussi notre 25e anniversaire.
25 ans, c'est jeune encore. Je ne sais pas si à 30 ans, le DM se sent encore jeune ou déjà vieux ! La FSKM est donc jeune, mais son histoire est déjà vieille de 175 ans, comme tu le sais, j'espère. Nos premiers missionnaires ont été des hommes et des femmes fragiles qui avaient succombé très vite au paludisme. Il n'y avait pas encore de Loriam ou de Nivaquine en ce temps-là. Je la sens et je la vis encore cette vulnérabilité de mon Eglise et de ses membres, malgré le bel âge : avec ces difficultés matérielles et financières que nous vivons tous les jours. Quand tu sais que beaucoup dans l'Eglise et en dehors de l'Eglise, ne peuvent pas nourrir leur famille, n'ont même pas le minimum nécessaire pour l'éducation de leurs enfants, quand tu vis et travailles dans des maisons et des écoles délabrées dont l'entretien n'est jamais parmi tes priorités, eh bien tu te demandes parfois jusqu'où et jusqu'à quand cette pauvreté et cette misère devront encore être tolérées. Mais en même temps, tu dis NON - ça ne peut pas continuer comme ça. C'est là justement que l'Eglise a un rôle important. Il y a quelque chose en moi qui ne veut pas désespérer. Il y a ce souffle du Saint-Esprit qui nous anime et qui accomplit son œuvre de renouvellement jour après jour. Et, au nom du Christ, des chrétiens ont contribué au changement de régime à Madagascar. Il y a cette voix qui me fait alors dire comme l'apôtre Paul : "lorsque nous sommes faibles, c'est alors que nous sommes forts" c'est là le secret de notre foi.
C'est pourquoi je suis rassurée et même très optimiste lorsque je sais qu'il y a des gens comme toi et moi qui n'ont pas peur de regarder la réalité en face - même si cela fait mal quelquefois - et qui sont déterminés avec ce qu'ils sont à être des instruments dans les mains de Dieu pour renouveler toute sa création. Notre Ecole du Dimanche a décidé de publier de nouveaux manuels d'Etudes bibliques, non seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes, parents et moniteurs : c'est cher, mais nous ferons le nécessaire pour les vendre à des prix abordables pour tous. J'attends beaucoup de ces publications, car elles apporteront un renouveau spirituel à l'Eglise tout entière. Elles aideront, avec d'autres, à équiper nos jeunes pour qu'ils ne soient pas facilement attirés par l'Islam, par exemple, qui commence à s'installer dans nos murs. Avec les nouveaux responsables et les nouvelles structures mises en place, nous essayons de relever le défi qui est devant nous, en comptant sur le soutien de nos amis, nos partenaires - de près et de loin.
Pourrons-nous ainsi continuer ensemble notre route sans risque de conflit de générations et de cultures ? J'espère que oui. Je pense que, si nous le voulons, le Sud n'est pas toujours si loin du Nord et vice- versa. Si tu es tenté d'aller trop vite, n'oublie pas que je n'ai pas de montre suisse - mais j'ai du temps pour les autres.
Je voudrais t'inviter à venir chez moi un jour. J'espère que l'occasion se présentera. En attendant, envoie-moi de tes nouvelles. J'essaierai aussi de te mettre au courant de ce qui se passe chez moi.
Bonne fête ! que le Seigneur veille sur toi et sur moi quand nous serons hors de vue l'un de l'autre, cher André. Il est fidèle celui qui nous a appelés.
Mes amitiés à toute la famille et aux amis, je vous embrasse tous bien fort,
Yvette
Lettre d'André Joly à Yvette Rabemila
Chère Yvette,
J'étais très heureux de recevoir ta lettre et je voudrais te dire avec mes pauvres mots toute la joie que j'ai ressentie. En te disant cela, j'ai la conviction de partager avec toi cette part de l'essentiel qui nous fait vivre, toi là-bas et moi ici. Mais je réalise aussi combien le chemin qui y mène est encombré par tout ce que j'y ai déposé au fil du temps, à cause de mes peurs, de mes craintes d'y perdre un peu de moi-même, de mes arrogances théologiques et peut-être, devrais-je dire surtout ?, de ce grand chambardement que je pressens et que je méprise. Et je ne cesse pas de m'arranger avec moi-même en reportant à plus tard les décisions claires qui feraient de moi un homme de cohérence. Mon Eglise me ressemble un peu, et je l'aime parce qu'elle m'a fait découvrir et aimer le grand secret. Comme je l'ai aussi discerné sur les visages de mes amis polynésiens. Est-ce cela que je suis invité à retrouver encore aujourd'hui ? Je veux le croire.
En faisant revivre mon histoire avec la mission, c'est-à-dire mon trop bref engagement outremer, je réalise à quel point elle m'a façonné et m'a donné envie de redire les richesses que j'ai reçues. Loin de mes racines, je me laissais rejoindre par le Christ. Le leur ai-je assez dit combien ils ont gravé en moi de traces de bonheur ? Le savent-ils ou faut-il l'occasion de cette fête pour qu'ils l'entendent ? J'ai compris là-bas que la vérité pouvait cohabiter avec la joie des partages, sans arrière-pensée, sans fausse culpabilité, sans honte non plus. Et sans se raconter d'histoires. Mes vieux démons doivent certainement fréquenter les tiens, mais ne leur laissons pas le pouvoir dont ils rêvent.
Mais alors, que faudrait-il faire ? Reprendre la lutte et regretter de ne jamais la gagner - ou choisir d'être pauvre - Dieu sait ce que cela peut bien vouloir dire en Europe - et engager une fidélité là où les forces me sont offertes. Mon drame, c'est précisément d'être écartelé entre ce que je souhaiterais faire et ce que je peux offrir. Je me dis que si les Eglises du Nord avaient la lucidité du regard miséricordieux avec elles-mêmes, elles pourraient enfin entrer en liberté. J'ai besoin quant à moi de me savoir relevé de toutes les loyautés que je me suis imposées depuis trop longtemps et que je n'arrive pas à porter. Un temps nouveau où les choses anciennes auraient disparu.
J'imagine ton sourire fraternel accueillir mes états d'âme et je me sens bien. Demain il faudra se redire nos priorités, reprendre le dialogue, et décider ensemble de nos cheminements communs. Je sais aussi l'exigence du partage qui nous attend. J'ai besoin de ton regard sur les événements et sur les choses, sur le temps et sur les rêves, j'ai besoin de savoir ce Christ, dont nous essayons à notre manière de rendre compte, entre nous, en nous et pour nous comme celui qui me permet de donner sens à ce que je fais et aussi à ce que je suis.
Ce secret-là, mystère de ma foi, je le sais vécu par toi qui as accepté de grandes responsabilités dans ton Eglise, par mes sœurs et mes frères envoyés qui sont les signes visibles de notre présence avec vous, par les amis de ma communauté et aussi par ceux qui décidément n'ont pas les mêmes idées que moi. Et je prie pour que ce secret-là n'emmène pas trop de croyants dans des déchirures ou dans des souffrances déjà assumées par le Christ, parce que face à cela je n'ai que mon silence pour exister , et ma peine que je veux cacher. Mais aujourd'hui ma joie est trop grande, transfigurée par tant de sourires et de visages rencontrés, par tant de pardon et de réconciliation proclamés, par tant d'espérances et de confiances déposées.
Et je pense aussi à tous ceux de ma communauté à qui je redirai tout cela et qui attendent - ils me l'ont redit - que le temps qui vient puisse être l'occasion de se rencontrer, de partager les deux richesses communes de toutes les Eglises : Jésus-Christ et le temps, l'éternité et le présent. Sans visages, pas de mission, sans prière pas de raison d'être. Les urgences sont là. Le reste adviendra, je le sais.
Chère Yvette, je te porte dans mes prières et te confie à la mémoire de Dieu, comme je veux penser à ceux que tu aimes et que je ne connais pas encore, ta famille, tes amis, ton Eglise. J'espère te revoir bientôt pour te raconter où j'en suis. D'ici là, puisse le Christ, notre grand secret - comme me le rappelle Paul - te donner la force des recommencements et des nouveautés.
Je t'embrasse fraternellement
André