Écouter le culte :
Ça y est, c’est reparti ! Chaque année, on remet ça, et nos commerçants à coups de Black Friday, de promotions, d’actions qui vous invitent à revenir chaque jour au supermarché, puisque les actions changent chaque jour – nos commerçants, donc, jouent une partition étonnante, au prix de vitrines attendues et insolites. Décembre doit être le mois où la confiance des consommateurs doit se sentir.
Alors nous aussi, maintenant on a nos marchés de Noël, ici sur la place, devant la Cathédrale, mais aussi dans nos villages et nos quartiers. Et le rituel est le même : trouver l’attention, déguster le vin chaud et quelques marrons, et se redire qu’on y est bientôt. Sans compter cette musique qui vous entraîne au trend, au mouvement qui nous conduit tous aux fêtes de fin d’année. Et Jésus nous gâche nos marchés de Noël !
A vrai dire le premier verset qui a été lu commence assez bien : « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. » La Bible parle ainsi parfois, en convoquant les grandes réalités de la création : la lune, les étoiles, le soleil sont ces astres sans lesquels il n’y aurait ni vie, ni saison, ni temps. Et puis, l’étoile, vous savez, celle qui est nécessaire au récit de Noël, l’étoile sert à diriger les grands voyageurs.
Ça a bien commencé, mais ça continue mal : « les nations seront dans l’angoisse... » Rien de tel pour vous donner le blues, déjà qu’avec la lecture quotidienne du journal, on a largement sa dose, mais là c’est mettre une pression terrible sur la lecture chrétienne qu’on peut faire du temps de l’Avent. Un temps d’ailleurs que beaucoup envisagent comme une décoration de sapin... On y accroche un peu de beauté pour annoncer la joie de la Nativité et conjurer un peu les mauvaises pensées.
Le Christ, lors de son ministère terrestre, est confronté à toute une série de gens qui ont leurs idées sur lui, y compris les disciples. Jésus devrait être un héros national, chasseur d’occupants et d’exploiteurs. Jésus devrait être un équilibreur de sociétés entre riches et pauvres. Jésus devrait être un révolutionnaire capable de renverser les tyrans et d’instaurer des sociétés plus justes.
Jésus est tellement attendu. Partout où il va, dans tout ce qu’il dit, par les signes qu’il laisse. Jésus est tellement attendu, qu’on attend qu’il se conforme à ce que nous croyons savoir de lui.
La description des phénomènes qui accompagnent le retour du Christ sont des signes anticipatoires qui désignent les circonstances de son retour. Alors soit nous repoussons ces textes à la fin des temps en espérant que d’autres le verront, soit alors ils ont quelque chose à nous dire.
La venue du Christ est d’abord liée à notre temps, parce que c’est dans notre temps, dans notre histoire, personnelle et communautaire, que l’Evangile s’incarne, sinon il demeure un document de sagesse pour quelques-uns détachés des contingences.
En ouvrant cette nouvelle année liturgique, nous attestons que nous sommes remis en mouvement vers la crèche, c’est-à-dire vers cet événement qui redit que Dieu décide de prendre au sérieux notre histoire au point de venir s’incarner dans un petit qui est confié à une famille humaine et à la grande famille humaine. Et que cet événement-là s’inscrit dans un monde d’angoisses. La liste des menaces au premier siècle est longue, mais si nous nous concentrons sur ce qui nous entoure, alors nous devons reconnaître que le temps que nous traversons est sujet d’angoisses : corruption, extorsion, chantage, manipulation, négation des évidences, déséquilibre, injustice, violence, mépris… Voilà dans quoi nous baignons. Voilà ce qui fait le quotidien de nos journaux.
J’entends certains déjà proclamer haut et fort qu’il faudrait d’abord regarder le demi-verre d’eau plein avant de, sans cesse, gâcher tout ce que mettent en œuvre les faiseurs de paix et de justice. Bien entendu, et loin de moi l’idée que tout ce qui se fait au nom d’un idéal, serait à négliger, bien au contraire. Mais il s’agit d’entendre que le projet de vie de Dieu s’inscrit dans une création qui est violemment secouée par des troubles qui provoquent des angoisses.
Combien de fois ai-je entendu des aînés poser cette question, qui n’est pas rhétorique : « Quel monde allons-nous laisser à nos petits enfants ? » Ils la posent, parce qu’ils ont traversé le siècle passé en se demandant de quoi l’homme est capable au vu de ce qui s’est vécu. Ils ont connu les tremblements, les menaces, les angoisses de devoir fuir.
L’Avent n’est pas le calendrier doucereux qui nous rappelle que Noël arrive.
L’Avent n’est pas cette période d’oubli de ce qui nous choque et nous révolte.
L’Avent n’est pas une narcose qui nous aiderait à passer dans une autre année.
L’Avent est le rappel que le Christ vient dans un monde qui n’en veut pas.
Il y aura bien quelques moments de grâce autour de la crèche. Mais globalement, cet enfant a déchaîné une vague de persécutions, de replis et de peurs pour beaucoup. Et c’est peut-être d’abord pour ceux qui font l’expérience de ces angoisses-là que le Christ vient dans l’improbable dénuement qui seul peut faire face à la peur.
Encore une fois, je m’associerai aux festivités de cette fin d’années, mais je reste interpellé par ces mots de Jésus qui vient me rejoindre là où j’ai peur, là où l’angoisse me tient, là où ma lecture du monde devient désespérée. Alors que puis-je faire ? Qu’est-ce qui serait juste ? Fuir, me cacher, oublier, boire et manger ou me perdre dans mes soucis ?
« Ne vous endormez pas... »
C’est le slogan récurrent de l’Ecriture : veillez...
Veillez à ne pas faire comme si vous ne savez rien.
Veillez à garder les yeux ouverts.
Veillez à ne plus hausser les épaules en disant : « Ça ne me concerne pas ! »
Veillez à être des relais d’une parole qui se donne à vivre jusque dans l’impensable.
Veillez à ne pas faire de votre argent, de votre carrière, de votre ambition les seules bonnes raisons à vivre.
Veillez à ne pas faire de ce monde le terrain de jeu des puissants au détriment des faibles et des pauvres.
Le temps de l’Avent est dangereux, il peut endormir beaucoup d’entre nous avec du vin chaud et quelques bulles. Mais le temps de l’Avent peut aussi être une aventure d’attentions et de quêtes, de discernement des signes de la présence de Dieu, au-delà des angoisses et des peurs. Le temps de l’Avent est l’occasion inespérée d’échapper à la raison de la force et de l’oubli pour se mettre à rechercher de belles raisons d’espérer.
Une belle raison d’espérer… le Christ, et lui seul. Parce qu’il ne refuse jamais de prendre au sérieux ce que nous vivons, parce qu’il n’oublie jamais de désigner un nouvel horizon, parce qu’il refait avec nous le chemin de notre propre naissance en Dieu.
Amen.