Écouter le culte :
J’avais commencé à écrire mon éloge funèbre, mais je me suis vite arrêté lorsque j’ai réalisé qu’il était trop beau. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis laissé emporter par toutes mes qualités, et je me suis dit que cela ne me ressemblait pas. Mais je les avais pourtant bien écrites. Elles n’étaient pas montées de nulle part, et en les relisant, j’ai trouvé que j’étais un type formidable.
Plus tard me sont revenues à la mémoire toutes les histoires dont je ne suis ni fier, ni satisfait. Et je rabâche ces instants comme autant de cailloux dans ma vie, en me redisant que je m’en serais bien passé. Vous vous passeriez bien de certaines choses, n’est-ce pas ? Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. Vous savez ce qui coince, et où ça coince.
Pour les lépreux, ça coince de partout. Non seulement ils sont physiquement malades, pas atteints d’un simple refroidissement, mais d’une infirmité mutilante. Ils sont exclus de la communauté humaine du temps de Jésus, et ce jusqu’en 1930. Au point de ne vivre qu’entre eux, comme des rebuts d’humanité qu’on aimerait oublier.
Nous portons en nous l’idée que la terre pourrait être, si tout le monde voulait bien se donner un peu de peine, un lieu de paix, d’abondance, de partage. Que les injustices pourraient être réparées, les maladies soignées, les guerres terminées. Il suffit de consulter les journaux pour réaliser dans quel bourbier nous vivons, dans un degré d’insatisfaction et de frustrations bien réelles.
Et Dieu qui semble si absent de nos luttes, de nos mises à l’écart, de ces injustices qui ne demandent qu’à être supprimées.
Où est Dieu ?
Où se tient le Christ ?
Le Christ se tient sur nos routes.
La route des disciples, des sympathisants, des opposants, la route des bien-pensants, la route des petits et des malades, la route de tous les pèlerins qui s’en vont à la rencontre des autres, de Dieu et d’eux-mêmes, la route de ceux qui crient souvent en silence : « Aie pitié de nous ».
Nous ne pouvons plus continuer tout seuls. Nous n’avons plus d’horizon et encore moins d’espérance. Notre vie ne vaut rien, parce qu’elle ne peut rien. Et ne nous parle pas des demi-verres d’eau pleins, des paroles qui nous désignent l’au-delà, des lumières apaisantes auprès du Père. Pour nous, ce qui compte, c’est ici et maintenant.
Il y a des gens autour de nous qui portent bien, et qui pourtant n’ont aucun éloge à faire valoir. Et vous aimeriez que nous nous fassions porteurs de louange ! Louer Dieu, reconnaître sa présence et son engagement dans ce monde, mais vous n’y pensez pas ! On ne règle pas les problèmes du monde avec de bons sentiments. Il nous faut du lourd, de ce qui est visible et reconnaissable par tous.
« Allez vous montrer aux prêtres » ? Pour qu’il n’y ait aucun doute sur mes intentions. Votre guérison ne vous concerne pas seuls, elle est un signe, au milieu de ce monde malade, de la présence et de l’attention de Dieu à ce monde.
Alors, face à tout ce qui semble contester la présence de Dieu dans ce monde, face à tout ce que nous mettons en place pour lui contester cette place-là, il y a ces mots qui guérissent, ces gestes qui invitent.
Mais que faisons-nous de tout ce qui nous est offert de beau ? Est-ce que ça va être un article de plus dans notre éloge funèbre ? Ou bien notre vie va-t-elle être transformée réellement maintenant ? Tenons-nous pour dû ce qui nous arrive de bon ?
L’évangile a oublié les neuf lépreux guéris et qui ont disparu dans la nature pour n’en garder qu’un seul: celui qui a trouvé en lui la force et la joie de la louange.
La louange ! Comme modèle de la relation avec Dieu ! Pour dire merci, malgré tout. Pour quitter une vie sans merci et entrer dans une existence transformée, Dieu merci ! Entrer dans une vie qui cherche et qui trouve de bonnes raisons de reconnaissance, au lieu de s’enfoncer dans celles de blâmer, de dénigrer, de médire, ou pire d’accuser.
Louer Dieu, c’est entrer dans la joie,
Louer Dieu, c’est reconnaître ce qui est donné,
Louer Dieu, c’est se mettre en chemin d’une vie qui offre plutôt qu’elle ne reprend.
La louange devient alors la plus grande contestation du malheur lorsqu’elle naît dans l’entre-deux de la relation. Il n’y a pas ni trucs ni recettes, il y a juste à se mettre à l’écoute de soi et à entendre que le Christ nous a trouvés sur le chemin de nos vies.
David loue Dieu non à cause de tout ce qu’il n’a pas fait, ni réussi, mais parce qu’il sait qu’il a été accompagné dans tout ce qu’il a vécu. Il loue Dieu en sachant que la vie - et plus particulièrement la construction du temple - continuera sans lui.
Je loue Dieu, parce qu’il est celui qui, sur mon chemin, a été d’hier, et sera de demain.
Alors, mon éloge funèbre ? Elle a déjà été écrite par celui qui a offert plus que ses mots, plus que ses gestes, plus que tout ce que je pourrais penser, en m’offrant, et à d’autres aussi, sa vie à Celui qui est digne d’être loué.
Amen.