Désormais, il n'y a plus de frontière en nous-mêmes

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Avec l’Evangile de Jésus-Christ, désormais, il n’y a plus de frontières entre nous, plus de barrière.
Il y a sans doute de grandes différences entre nous , à tout point de vue. Et les séparations renaissent sans cesse comme la mauvaise herbe. C’est déjà l’un des sujets clés des lettres de l’apôtre Paul aux Corinthiens. Mais Dieu a fait de nous un seul peuple. C’est fait.
Je peux être grand ou petit, entreprenant ou timide, puissant ou pauvre, de gauche ou de droite, d’ici ou d’ailleurs, blanc ou noir... je suis désormais du même peuple que vous, que toi. Car c’est le Christ lui-même - lettre de l’apôtre Paul aux Ephésiens - qui nous a apporté la paix en faisant de nous tous, les baptisés en son nom, un seul peuple, dans l’union avec lui.

Le pasteur zaïrois Roger Puati, ici même dimanche dernier, nous a rappelé cette nouvelle qualité de relation humaine que nous devons entretenir entre nous dans ce peuple de Dieu.
Ce matin, j’aimerais vous proposer de continuer cette méditation sur l’absence désormais de frontière en nous, à l’intérieur de nous-mêmes, au coeur de chacune de nos vies et de nos personnes devant Dieu.

Pour illustrer cette unité non seulement du peuple de Dieu ici même où nous vivons, mais aussi cette unité en chacun et chacune de nous dans tout ce que nous vivons, je propose une illustration biblique sur un thème on ne peut plus matériel - et d’actualité: une collecte.
Dans 3 livres différents du Nouveau Testament, il est fait mention de cette collecte organisée parmi les premières communautés chrétiennes au profit de la communauté de Jérusalem. Elle est annoncée par l’évangéliste Luc dans les Actes des apôtres - chapitre 11 - quand l’église d’Antioche est fondée. Apprenant qu’une famine allait régner en Judée, les chrétiens d’Antioche décident qu’ils enverraient, selon les ressources de chacun, une contribution au service des frères qui habitaient la Judée. L’apôtre Paul, lui, va en faire mention dans sa lettre aux Galates. Et, plus longuement vu l’enjeu, dans sa seconde lettre aux Corinthiens.
Après la lecture de ce passage des Corinthiens, je vous proposerai une image tout aussi matérielle que l’argent: la nourriture, le pain qui devient, en Christ, parabole de vie.

Prédication
Pour l’apôtre Paul, cette collecte des chrétiens du bassin méditerranéen en faveur de l’église de Jérusalem, non seulement doit illustrer l’unité des Juifs et des païens, la réalisation même de la prophétie d’Esaïe: il n’y a désormais plus de frontières entre ces deux peuples, ces deux races - c’était le thème développé dimanche passé...
Mais pour Paul, cette collecte traduit en acte le fait bouleversant que l’Evangile de Jésus-Christ est parvenu depuis Jérusalem aux païens, aux nations de la terre.
Et pas un évangile de bonnes intentions - l’enfer en est pavé dit-on! Pas un évangile de bons sentiments. Sans doute Paul appelle les croyants de Corinthe à la générosité, c’est vrai. Mais de quelle générosité parle-t-il? Celle du Christ ni plus ni moins: la générosité de celui qui avait tout, et qui a choisi de tout donner, jusqu’au don de sa vie.
Pour Paul, il ne s’agit pas de justifier cette collecte par un évangile doctrinaire non plus. Sans doute Paul appelle les croyants de Corinthe à établir l’égalité des conditions matérielles. C’est écrit noir sur blanc. Mais pas ici à la sauce de je ne sais quel idéologue ou quel rêveur. Mais l’égalité de traitement que Dieu lui-même a pratiquée à l’égard de son peuple affamé dans le désert. Vous savez: ce don de la manne - Paul cite le récit de l’Exode d’ailleurs - où ceux qui avaient beaucoup recueilli n’ont rien eu de trop; et ceux qui avaient peu recueilli n’ont manqué de rien.
Pour régler une question matérielle qui lui tient très à coeur parce qu’il y voit un enjeu prophétique, Paul n’hésite pas à organiser la solidarité matérielle, indications pratiques comprises, en prenant à témoin et le geste de sacrifice du Christ à la croix et le geste divin du Dieu d’Israël au désert.

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Dans cette collecte des païens, il y a sans doute la reconnaissance immense vis-à-vis d'une communauté - Jérusalem - où le Christ a exercé son ministère et par laquelle l'Evangile est parvenu jusqu'à Antioche et bien au-delà. Sans doute.
Mais il y a surtout, chez ces paroissiens d'Antioche, d’Asie Mineure et de Corinthe, qu'ils soient d'origine juive ou païenne, il y a la reconnaissance, adressée à Dieu, de ceux et celles qui, saisis par la venue du Seigneur chez eux, ont offert une fois pour toutes leur vie, leur pensée, leur intelligence, leur coeur, leur corps et leurs biens pour le service de ce Dieu et de tous les hommes, à la suite du Christ.
C'est bien cela qui réunit aujourd'hui ces inconnus, ces anciens exclus par les liens forts de l'amour fraternel: tous, à Jérusalem comme à Antioche comme à Corinthe, comme à Rome, comme à L’Isle, tous, ils ont fait l'offrande de leur vie.
Cette collecte rend donc ce témoignage clair et net: leurs vies offertes, désormais toutes leurs ressources sont à disposition de l'amour dont ils sont possédés, l'amour pour lequel il n'y a plus de frontières. Parce qu'ils ont reçu le vrai pain qui vient du ciel et donne la vie au monde, il devient insensé, pour les nouveaux baptisés jusqu’alors étrangers au peuple de Dieu, de conserver leurs biens pour eux-mêmes, quand des frères et des soeurs, quels qu'ils soient, vont manquer du nécessaire.
De Jérusalem ils ont reçu des biens spirituels inestimables puisqu'ils ont reçu de cette ville la bonne nouvelle du Sauveur. C'est naturellement qu'aujourd'hui ils marquent leur reconnaissance et leur solidarité en leur adressant un bien aussi concret et matériel que le résultat financier d'une collecte.

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C’est bien là que pour nous quelque chose de fondamental cloche. Non seulement nous rétablissons au quart de tour nos mille et une différences bien réelles comme autant de barrières et de séparations, de divisions. Mais nous plaçons à l’intérieur de nous-mêmes, dans nos vies des cloisons étanches. Alors qu’il n’y a désormais plus de frontières en nous, entre notre tête et notre porte-monnaie, entre notre coeur et nos sous, entre le dehors et le dedans, nous y avons reconstruit une séparation telle que Dieu lui-même ne devrait plus avoir la possibilité de mettre son nez dans nos affaires d’argent. En ce qui concerne la gestion de nos biens matériels, nous prenons les ordres d’ailleurs. Et c’est généralement le règne éternel des bons sentiments, d’une générosité bien calculée mais strictement confidentielle, qui garde un rapport avec une morale ambiante opportuniste, mais qui n’a plus de rapport avec l’Evangile de Jésus-Christ.
Je dois bien admettre que je n’apprends pas l’évangile de ces chrétiens qui se disent, qui se prétendent à leurs yeux très engagés mais en même temps bien assis sur leur fortune; et qui surtout ne parlent pas d’argent avec qui que ce soit, sinon avec leur banquier. Et je dois bien admettre que j’apprends chaque jour l’évangile de ceux et celles qui, un jour ont tout perdu; et savent désormais le prix des choses essentielles; et qui savent ainsi qu’ils dépendent pour l’essentiel du Père.

Nous pourrions parler des mêmes frontières, des mêmes cloisons à l’intérieur de nous-mêmes et de nos vies quand il s’agit de questions non pas financières mais politiques. Comme si l’exercice du pouvoir politique, comme si les opinions politiques avaient quelque chose d’impur devant la foi. Comme si l’organisation de notre vie en société était une affaire de spécialiste, une chasse gardée, laissée aux lois de César, ou du marché; ou une affaire bien trop trouble pour y fourrer notre nez.
Je dois bien admettre que je n’ai pas appris l’évangile chez ces chrétiens qui sont assez bien placés dans le monde politique ou juridique ou financier pour interdire ou censurer toute pensée d’un chrétien engagé. Et je dois bien admettre que j’apprends chaque jour l’Evangile chez ceux et celles qui doivent se défendre, se battre pour réclamer l’élémentaire justice parce qu’ils n’on plus rien à perdre.

Dans le fond, ce qui est essentiel, pour toute sa vie - toute sa vie: sa respiration, son coeur, son esprit; mais aussi sa situation financière, sa santé; mais aussi sa nourriture, sa culture, son intelligence; mais aussi ses affections, sa sexualité, son éducation; mais aussi son équilibre, ses nerfs, son temps... ce qui est essentiel pour toute sa vie - sans la moindre retenue - c’est de reconnaître en tout ma dépendance essentielle de ce Dieu qui m’a donné cette vie, et qui me donne aujourd’hui même de quoi la vivre.
En me donnant la vie et en me sauvant, Dieu n’a pas prévu de compartiments séparés, certains plus religieux, plus évangéliques que d’autres. Pour Dieu, heureusement, ma vie n’a aucun secret. Il peut, lui qui me connaît mieux que moi-même, faire la lumière sur tout.
Alors, notre générosité, la gestion de notre argent, de nos sous, nous ne la mesurons pas à nos capacités financières du moment, à nos envies, à nos humeurs. Mais nous la jugeons d’abord à la générosité invraisemblable de Dieu à notre égard et à l’égard de son peuple.
Alors, notre engagement dans ce monde, autour de nous, pour la justice et la paix, nous ne le mesurons pas d’abord au risque que nous acceptons de courir, aux ennuis que nous pourrions bien nous occasionner; mais à l’engagement que le Christ a pris pour nous et pour son peuple sur la croix.

A partir d’une affaire matérielle de collecte à organiser, de promesse d’aide des Corinthiens à tenir, l’apôtre Paul met en jeu un Evangile, une bonne nouvelle qui nous atteint dans toutes les dimensions de notre vie, où rien n’est exclu, retenu, soustrait au sacrifice du Christ sur la croix, au don de la manne donnée au désert où Dieu prend soigneusement en compte les besoins vitaux et relatifs de chacun.
Il ne faut pas rêver. Paul ne propose pas une politique financière chrétienne; c’est le rêve des intégristes. Paul ne demande pas de convertir la finance ou la politique à l’Evangile. Paul demande simplement que ceux et celles qui suivent le Christ soumettent toute leur vie, y compris leur argent et leurs biens, aux nouvelles exigences de l’évangile, à une réalité qui leur échappait jusqu’alors.
Voilà bien le service que nous avons à rendre aujourd’hui, à mon sens. Plutôt que de leçons à donner à la société dans la gestion de ses capacités économiques ou politiques, si les croyants simplement s’entraînaient à juger de leurs affaires et de leurs biens, et dans tous les domaines de leur vie sans la moindre exclusion, à juger de tout à la lumière de l’Evangile... Plutôt que de juger le monde et notre société désemparée, il me paraît urgent de nous exercer, dans nos communautés locales, à tenir ce débat.

Désormais, avec l’Evangile, il n’y a plus de frontières, plus de séparation en nous, à l’intérieur de nous-mêmes, dans notre vie. Tout se tient, tout en nous est témoignage ou non de notre vie devant Dieu. Tout en nous est preuve, signe de notre humanité sans doute, mais avant tout que notre vie entière, dans toutes ses manifestations, dépend entièrement, est soumise entièrement au jugement libérateur de Dieu.

“Celui qui vient à moi n’aura pas faim; celui qui croit en moi jamais n’aura soif”.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Claire-Lise Imhof
Musique