Encore un de ces thèmes tendancieux lorsque nous savons que ce sont ces frontières qui sécurisent, ce sont ces frontières qui rassurent, ce sont ces frontières qui assurent la survie des nations, des groupes, des communautés.
Désormais, il n'y a plus de frontière entre nous équivaut à : désormais tout s'effondre, et même ceux qui ne le méritent pas vont se permettre de se mélanger à ceux qui sont dignes d'être là où ils sont. C'est tellement compliqué et tout cela fait désordre.
D'aucuns diront qu'il serait tellement facile de garder intactes les frontières entre grands et petits, entre puissants et faibles, entre hommes et femmes, entre savants et incultes, entre riches et pauvres, entre jeunes et vieux, entre productifs et improductifs, entre Hutus et Tutsis, entre Serbes orthodoxes et Bosniaques musulmans, entre Nord et Sud, entre Blancs et Noirs, entre Samaritains et Juifs, et cela pour garantir notre identité, eh oui notre sacro-sainte identité.
Seulement voilà, en venant dans le monde, Christ a abattu le mur qui séparait ceux qui étaient destinés au salut par élection et ceux qui ne l'étaient pas et le sont devenus par adoption, entre les enfants du Royaume et les enfants de la perdition, entre les bénis et les oubliés.
Mais avant de venir abattre ce mur qui séparait les hommes, il a commencé par abattre en premier lieu le mur qui existait entre sa divinité et notre humanité, entre sa sainteté et notre péché, entre sa justice et notre corruption, entre son innocence et notre culpabilité.
Oui, c'est de nos péchés qu'il s'est chargé, c'est de nos fautes qu'il s'est couvert, et le châtiment que nous méritions est tombé sur lui. C'est vrai, désormais il n'y a plus de frontière entre Jésus et nous.
L'apôtre Paul dit aux Philippiens que Christ s'est dépouillé lui-même, il s'est rendu semblable aux hommes, il s'est abaissé lui-même jusqu'à prendre la condition du serviteur pour nous rejoindre. Voilà la frontière franchie par le Fils de Dieu, le Fils de l'homme pour nous racheter.
Sans ce pas fait par Jésus-Christ, sans cet abîme comblé par lui, sans cette frontière brisée par la force de son amour, par la force de son chérissement comme le traduit Chouraqui, personne, sinon ceux de sa propre nation selon la chair, ne pourrait se prévaloir de lui appartenir. Or, aujourd'hui, nous sommes chrétiens, membres du corps du Christ, non pas par notre sagesse, ni par notre noblesse et encore moins par notre situation sociale, notre race ou notre nationalité définie par des frontières bien établies, mais par la grâce et l'amour de Dieu. Nous avons tous bénéficié de cette grâce, de sa pitié, malgré nos insuffisances, et sommes contents que Dieu nous ait traités ainsi.
Mais immédiatement après avoir été au bénéfice de la gratuité d'une telle bonté, nous érigeons entre nous et l'autre le mur du mérite, le mur d'appartenir à la mauvaise race, à la mauvaise nationalité, à la mauvaise langue, à la mauvaise culture. Nous trouvons des prétextes "valables" pour isoler l'autre qui ne partage pas les mêmes "valeurs" que nous.
Cela est d'autant plus choquant lorsque parmi ceux qui défendent de telles idées qui ont fait leurs "preuves" dans un passé récent avec leur chapelet d'horreurs, on dénombre des chrétiens qui jurent avec la dernière énergie ne pas être racistes, ne pas éprouver de la haine contre celui qui vient d'ailleurs. Ces mêmes chrétiens disent ne pas soutenir les extrémistes qu'ils n'approuvent pas, mais qu'ils "comprennent". Car lorsque les étrangers ne dégagent pas une mauvaise odeur, ils envahissent, comme si ces mêmes étrangers ne savent pas lire leur histoire et n'ont jamais expérimenté dans leur propre chair la signification du terme "invasion". Mais on ne se gêne pas d'envoyer des pacificateurs habillés en turquoise. L'histoire nous en dira la vérité. La passivité et l'indifférence... voilà deux autres formes plus subtiles de poser des frontières entre nous et les autres. Ce qui touche ces derniers ne nous regarde pas, même s'ils sont faits à l'image de Dieu.
Désormais, il n'y a plus de frontière entre nous.
Ce qui touche autrui me concerne aussi, car tout être qui pleure, tout être qui crie, c'est Jésus qui pleure, c'est Jésus qui crie. Sinon nous sommes dans les ténèbres, nous vivons dans le péché et n'avons pas goûté à la grâce et à l'amour de Dieu.
Seules la contradiction et l'obscurité peuvent expliquer que des ministres de l'Eglise et des paroisses entières se ferment à celui qui est différent et à tout ce qu'il apporte. Seules la contradiction et l'obscurité peuvent expliquer que des orientations ecclésiastiques s'érigent en mur infranchissable contre le faible, que des pays dits chrétiens, à défaut de devenir des marchés où régner ait toutes sortes de désordres, se transforment en véritables machines à refouler des êtres humains souvent au péril de leur vie. Ajoutée à tout cela une administration tracassière pour nouer la gerbe. Et lorsque l'administration en rajoute, la vie devient intenable.
Désormais, il n'y a plus de frontière entre nous.
Jusqu'où pouvons-nous ouvrir notre coeur à l'autre ? Car il s'agit bien du coeur qu'il faut ouvrir à l'autre. Un dîner, un café, un vêtement, une aide financière à l'autre n'a de signification que dans la mesure où l'autre a autant de valeur que moi, dans la mesure où mon coeur ne me sert de rien."
Des décisions nommées sans honte mesures de contraintes à l'égard des étrangers sont sur le point d'être mises en application en Suisse, avec leurs dérapages certains. Beaucoup ont déjà fait connaître leur position estimant que ceux qui feront les frais de ces mesures inégalitaires sont aussi des êtres aimés de Dieu. Nous louons le Seigneur pour cela. D'autres sont indifférents, voire méfiants parce que ce tiroir est classé politique, et les chrétiens qui sont attendus dans le Royaume des cieux ne doivent pas y toucher. Même si c'est Jésus qui crie dedans.
Face à la construction de cette frontière juridique entre étrangers et autochtones, quel est l'avis de l'Eglise de Jésus-Christ, celui-là même qui a rassemblé tous les hommes en un seul et même peuple ?
Les preuves que Dieu n'a pas exigées pour nous accepter, allons-nous les réclamer à ceux qui viennent chez nous pour la simple raison que nous avons peur ? Mais Dieu aussi pouvait avoir peur de nous ! La preuve ? C'est qu'après avoir été acceptés par lui, nous ne cessons de pécher. Pourtant, Dieu ne nous rejette pas. Alors chers frères, chères soeurs, je vous exhorte à la réflexion. Désormais, il n'y a plus de frontière entre nous. Désormais, il faut que les frontières qui nous séparent tombent, car beaucoup d'individus, beaucoup de pays détestent qu'on évoque leur position ou leur politique à l'égard des juifs persécutés lors de la Deuxième Guerre mondiale. Leur passé est si pesant qu'ils ne peuvent l'assumer aujourd'hui, alors qu'à l'époque bon nombre de gens pensaient poser un acte de patriotisme en dénonçant ou en refoulant les juifs qui se pressaient à leurs frontières, implorant leur protection.
Quelle était l'attitude des Eglises chrétiennes selon les pays où elles évoluaient ? Seuls les historiens honnêtes et rigoureux peuvent nous dire la vérité.
Mais considérons l'humour de Dieu, nous vivons un phénomène analogue (toutes proportions gardées), avec des ressemblances et des dissemblances à celui que nous venons de mentionner. Une page blanche nous est présentée. Qu'allons-nous écrire dessus et dont nos descendants seront fiers ? Car n'oubliez pas que ce dimanche 24 juillet 1994 commencera à devenir une page de l'histoire dès demain matin. Et ce que nous faisons, ce que nous disons, ce que nous écrivons et décidons aujourd'hui sera lu, vu et écouté par d'autres générations.
Quel héritage voulons-nous laisser à nos enfants ? Des frontières plus dures que jamais ou un monde sans frontière, un monde fait de passages, un monde où non seulement on accepte de donner, mais aussi de recevoir.
Oui, désormais il ne doit plus y avoir de frontière entre nous, car il n'y a plus de frontière entre Juif et Grec, homme et femme, circoncis et incirconcis; esclave et homme libre, car nous appartenons à Christ et nous sommes d'une même descendance.
Amen.