Écouter le culte :
Un soldat romain voyant Jésus expirer en criant, dit : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! ». Comment comprendre que le cri d'un supplicié agonisant puisse arracher une profession de foi à un païen ?
C'est l’apôtre Paul, missionnaire auprès des Gentils qui nous donne la clé de compréhension de ce que l'évangile de Marc nous dit ici. Fin connaisseur de la culture juive et grecque, Paul nous livre ici les trois modes d'argumentation connus de la rhétorique :
- « Les Juifs demandent des miracles », c'est l'argument éthique.
- « Les Grecs cherchent la sagesse », c'est l'argument logique.
- « Nous, nous prêchons Christ crucifié », c'est l'argument pathétique.
À la lumière du raisonnement de Paul, nous pouvons affirmer que Jésus a usé de ces trois modes d'argumentation pour convaincre.
Prenons tout d'abord la sagesse de la prédication, le mode logique. Lorsqu'il est accusé de chasser les démons par Béelzéboul, Jésus répond : « Regardez bien : tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne se maintiendra pas. Et si le Satan chasse le Satan, c’est qu’il s’est divisé contre lui-même. Comment donc se maintiendra son royaume ? [...] Ou bien, comment quelqu’un peut-il pénétrer dans la maison de celui qui est fort et s’emparer de ses affaires, s’il n’a d’abord lié celui qui est fort ? et alors il mettra sa maison au pillage. » En voilà une argumentation logique !
Que dire de l'étonnement des habitants de Capharnaüm qui sont frappés par l'autorité de l'enseignement de Jésus, qu'ils trouvent très différent de ce celui des scribes ? Et pour finir, cette femme qui, après avoir entendu la sagesse de la prédication de Jésus, s'écrie du milieu de la foule : « Heureux le ventre qui t'a porté, heureuses les mamelles qui t'ont allaité ! »
Paul poursuit en disant que par le moyen de la sagesse, le monde n'a pas connu Dieu. Aussi Dieu a-t-il choisi la folie de la prédication du message d'un crucifié pour sauver ceux qui croient.
Si les Grecs recherchent la sagesse, les Juifs, quant à eux, demandent des signes, c'est-à-dire des miracles. Et là aussi, Jésus a opéré un nombre incalculable de miracles. Il a guéri des maladies, chassé des démons, ressuscité des morts, maîtrisé les phénomènes de la nature, asséché un arbre par une simple parole.
Nicodème, docteur pharisien, va même nuitamment trouver Jésus pour le reconnaître comme un maître venu de la part de Dieu du fait de ses miracles. Mais ses contemporains en redemandaient au point de le mettre en colère : « Génération mauvaise et adultère qui recherche un signe ! [...] Et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas, le prophète. »
Mais en quoi consiste ce fameux signe de Jonas ? En fait il s’agit de deux choses :
Les trois jours passés par Jonas dans le ventre du gros poisson : une métaphore de la Passion de Jésus, c’est-à-dire sa croix.
Et la prédication. Car, les Ninivites n’ont pas eu besoin de miracle de la part de Jonas. Ils ont compris l’imminence du jugement de Dieu sur leur manière de vivre. Au seul signe de la prédication de Jonas, ils se sont tournés vers Dieu.
Jésus a enseigné et épuisé le mode logique ; il a été contesté. Il a opéré tant de miracles, et il est accusé d’usurpateur et de blasphémateur. Alors, il ne lui reste plus que l’argument pathétique pour tenter de convaincre les sceptiques : c’est la croix.
Je me garderais bien de dire que l'exemple que je vais vous donner recoupe exactement la mort du Christ. L'exercice consiste plutôt à nous montrer que si la logique de la prédication s'adresse à la raison et que le miracle concerne les émotions, l'élément pathétique, lui, touche le cœur. Mais ce n'est pas n'importe quel cœur. C'est un cœur de chair, un cœur sensible et profondément travaillé par la compassion.
Tenez ! Il y a à peu près une dizaine d'années, un fait divers avait défrayé la chronique en France : un enseignant avait été accusé d'attouchements sur une élève, soutenue par quelques camarades. Malgré la probité morale du professeur, ses dénégations, ses états de service et ses compétences reconnues par ses pairs, l'affaire allait être portée devant la justice. Pris en étau, à court d'arguments, le professeur a embrassé la mort. Quelques personnes l'ont alors qualifié de lâche qui n'avait pas le courage d'être confronté à ses actes.
Ayant appris la mort du professeur, son accusatrice s'est rétractée. Hélas trop tard ! Elle avoua qu'elle-même et quelques camarades voulaient « simplement » embêter un professeur qui était avare de bonnes notes. « Non », déclara la fille, « le professeur ne m'a jamais touchée ». La vérité que ce professeur n'avait pu obtenir par des arguments logiques et éthiques, il ne l'obtenait post mortem que par le mode pathétique.
Jésus a prêché, affirmant qu’il était le Fils de Dieu envoyé dans le monde pour sauver l’humanité, souvent avec peu de succès. Il a accompli des miracles et il a été accusé d’avoir un pacte avec Satan. Les deux premiers modes opératoires n’ont donné que des résultats mitigés, affirme l'apôtre Paul.
Lors de la Passion, la parole tarit, les miracles s'assèchent : ses moqueurs lui demandent des miracles. Il n'y répond pas. Il est interrogé et il garde le silence. Silence devant le Sanhédrin ; silence face aux accusations des principaux sacrificateurs et des anciens devant Pilate.
L’heure de la parole et des miracles est révolue. Les seules fois où Jésus parle sur la croix, sa parole est tournée vers Dieu et plus vers les hommes, excepté celle adressée au bon larron. Cette extinction de la parole et cet assèchement des miracles, c’est la communication pathétique qui va de cœur à cœur.
Et ce langage pathétique ne peut atteindre qu'un cœur de chair. On n’a pas besoin d’être quelqu’un de particulièrement intelligent ou raffiné. Ce n'est ni la prédication ni un miracle qui convainc ce soldat romain, mais le cri abyssal et pathétique d'un Jésus agonisant qui ébranle son cœur.
Pour qui reste insensible face à la croix, il n’y a plus d’autres arguments pour le convaincre. La croix, c’est l’ultime tentative du Christ de nous montrer l’étendue de son amour, comme pour nous dire : « Je suis prêt à perdre la face pour vous gagner à mon Père ». Là où tous les moyens utilisés par Dieu n’ont pas réussi à nous convaincre de son amour sans limite, la croix est le lieu d’expression ultime de la vérité de l’amour de Dieu pour nous.
La prédication de la croix est donc un message de l’urgence de l’advenue de Dieu. « Si vous entendez sa voix aujourd’hui, n’endurcissez pas votre cœur », dit l’épître aux Hébreux.
Face à la croix du Christ, attendre d’autres signes pour donner son cœur à Dieu, c’est accepter de se perdre, nous dit Saint Paul. Après avoir épuisé tous les moyens pour nous sauver, Dieu a accepté d’être défait dans son Fils pour nous gagner à lui.
Grâces lui soient rendues.
Amen.