Il existe entre les êtres et les choses une infinité de relations à géométrie variable qui vont des contacts les plus froids et distants parce qu'obligatoires aux désirs de fusion les plus fous et les plus irréalisables. Selon que j'apprécie ou non quelqu'un, que je souscrive à ses idées ou que je les désapprouve, mon contact avec lui sera différent. Si avec une autre personne je tire à la même corde parce qu'ensemble nous sommes engagés dans un travail commun, participants d'une même réalité qui peut se nommer ville ou village, paroisse ou communauté, ma relation avec elle sera plus étroite, plus suivie. Ce qui ne signifie pas que nous serons des copies conformes, l'un étant l'ombre de l'autre; nous pourrons parfois nous opposer, ne pas avoir exactement les mêmes intuitions mais partageant une même responsabilité, notre attitude réciproque en sera marquée. Entre nous naîtra et grandira une fidélité, gardienne de relations et source de communion toujours à retrouver, à renouveler.
Au nom de cette fidélité, s'adressant à son peuple d'Israël qui s'est divisé en deux royaumes, celui du Nord et celui du Sud, résultat du poids de l'histoire, de conflits non résolus, du péché, Dieu, par la voix du prophète Ezéchiel, leur propose de renouer la gerbe. S'étant une fois engagé vis-à-vis du monde lors de sa création et de son émergence du néant, vis-à-vis de l'humanité en appelant et bénissant Abraham, Dieu ne peut plus et ne veut plus couper les ponts. Cela serait au-dessus de ses forces. Il renoue les fils cassés, réactive ses projets, ne prenant jamais son parti de ce qui est, mais ne devrait pas être. Il ne plie pas, n'abandonne pas devant ce que l'on est tenté d'appeler la force aveugle du destin. Il constate la réalité, mais en même temps projette une vision d'avenir. Il voit son peuple, et à travers lui le monde entier, avec un seul berger, se nourrissant des mêmes lois de vie; Il voit une alliance de paix; plus encore il se voit lui le Seigneur au milieu de l'humanité, le tout étant couronné par une exclamation de reconnaissance mutuelle, le cri de la communion, des retrouvailles, du réengagement réciproque: je serai leur Dieu, ils seront mon peuple.
Trop beau pour être vraies ces grandes effusions et ces visions ? Nous connaissons ce mot attribué à un chef d'État : qu'importe qu'ils m'aiment, pourvu qu'ils me craignent. Sensiblement différent de la devise des diaconesses : pourvu que j'aime. C'est que l'engagement de Dieu et par ricochet le nôtre partent d'une base différente. Ils ne sont extérieurs, c'est-à-dire surajoutés, ni pour l'un ni pour l'autre. Pour l'un comme pour l'autre, ils tirent leur source du tréfonds de la personne. Ce n'est pas une structure que l'on admet, dont on s'accommode comme on s'accommode dans nos existences, parce qu'il le faut bien, de mille et une choses plus ou moins contrariantes. On ne s'accommode pas de Dieu comme d'une réalité présente, mais lointaine, comme Lui ne s'accommode pas de nous, par lassitude. Il nous voit et immédiatement Il songe à vivre, avec nous, la réalisation de ses projets. Il nous voit mettant en pratique ses lois et commandements, Il se voit au milieu de nous. Partage de responsabilités pour l'avenir de notre monde et communion dans l'amour, les deux étant indissolublement liés. Il nous offre un style de vie. Il nous propose une rencontre. C'est son engagement à notre égard.
Lorsqu'on parle de lois et de commandements, il nous est difficile, de prime abord, d'y déceler un signe de grâce, un don. Nous les prendrions plutôt comme des atteintes à notre liberté. Mais cette dernière a besoin d'une matière à façonner, d'un cadre de références, d'un projet sur lequel travailler. En nous les proposant Dieu nous permet simplement d'être hommes, femmes, engagés ensemble dans une même construction. Ces commandements, anciens, mais toujours nouveaux, qui orientent nos rapports avec Dieu et le prochain, résumés par le Christ dans le double commandement d'amour, nous sont donnés pour qu'ils irradient notre vie, transfigurent nos faits et gestes en autant de signes du Royaume.
Ils nous interpellent en nous posant de salutaires questions. Parmi celles-ci qu'est-ce que je fais de ma vie face aux besoins que je rencontre en moi et chez mes frères et soeurs, face à mes exigences de liberté et à une solidarité partagée, face à mes désirs de posséder l'autre et à une non moins nécessaire disponibilité pour cet autre. Trois questions en fait qui ont trait à la simplicité, à l'obéissance, à la relation à l'autre soit dans le mariage soit dans le célibat, comme l'ont choisi les diaconesses. Trois questions qu'elles se posent et dont elles partageront avec vous des éléments de réponse lors des prochains cultes retransmis de Saint-Loup.
Dieu conclut avec nous une alliance de paix pour nous empêcher de faire notre paix à nous, à notre petite mesure, qui est souvent celle des cimetières, celle où l'on se débarrasse des autres pour ne plus en entendre parler et jouir de sa tranquillité. Dieu nous propose ses projets de paix qui sont des projets de communion. Il nous voit nous y avancer. Il se voit au beau milieu de ce rassemblement, Il s'y voit même tellement, Il s'y engage avec une telle intensité que, non content d'offrir un simple lieu où l'on vienne l'adorer, Il descend en personne parmi nous. Les bergers, les mages d'Orient l'ont contemplé, Jean-Baptiste le désigne aux premiers disciples. Le rencontrant, ils ne peuvent que s'écrier : nous avons trouvé le Messie, c'est-à-dire le Christ, l'Emmanuel, Dieu avec nous. Cri de reconnaissance où l'on comprend tout d'un coup que cet homme, là-bas, autour duquel l'on tourne peut-être, dont on a entendu parler au cours des âges est ce Dieu qui fait sa demeure au milieu de nous. Son engagement à notre égard va jusque-là. Désormais c'est ensemble que nous nous voyons, liés l'un à l'autre dans une reconnaissance de nos personnes, Lui nous appelant, Lui nous répondant. Unis et engagés pour la vie.
Amen.