Célébration oecuménique : semaine de prière pour l'unité des chrétiens.

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Que l'on soit protestant, catholique, orthodoxe, anglican ou vieux catholique, que l'on appartienne à la grande famille des chrétiens, ou à une autre religion, juive ou islamique ou autre encore, tous nous portons en nous des rêves qui ne collent pas toujours avec la réalité.
Vous voudriez par exemple, vous qui êtes chez vous, pouvoir sortir de votre maison pour rencontrer les autres, ou vous souhaiteriez être en bonne santé. Et voilà que vous êtes cloué au lit, malade depuis longtemps, peut-être. Vous, vous rêvez d'un avenir matériel sûr, et même si l'on nous parle de reprise depuis pas mal de temps, la réalité, elle, est encore un peu différente. Vous souhaiteriez la paix, la fraternité et de tout côté on parle de guerre. Il y a la guerre, des catastrophes naturelles, pensez simplement à tous nos frères et soeurs du Japon ces jours-ci. Et la haine, qui de partout pointe son visage.
Tous, quelle que soit notre confession, notre religion, nous aimerions aussi attirer notre Dieu à nous et, reconnaissons-le, le ciel semble souvent muet. Et c'est vrai que nous croyons pouvoir ou devoir nous attirer la sympathie de Dieu en faisant ceci ou cela, en ayant telle ou telle pratique, telle ou telle dévotion.
On oublie une chose. Une chose qui est capitale et que tout l'Ancien Testament s'attache à nous révéler, à nous faire comprendre. Ce n'est pas nous qui avons commencé. C'est Dieu qui nous aima le premier. Et le livre du Deutéronome s'attache tout particulièrement à nous le rappeler. Ce sont à tes pères seulement que le Seigneur s'est attaché pour les aimer, et après eux, c'est leur descendance, c'est-à-dire vous qu'il a choisis entre tous les peuples.
Il en est ainsi. Dieu nous aime le premier. C'est un renversement complet de ce que nous imaginons. Ce n'est pas nous qui nous sommes approchés de Dieu. C'est Dieu qui fait le premier pas. Comme un père, comme une mère qui, s'ils sont normalement constitués, ne peuvent pas ne pas aimer le fruit de leurs amours. Dieu de toute éternité nous aime. Alors seulement, nous pouvons faire retour à lui. Alors il attend en retour notre amour. Et pour que nous puissions faire retour, il nous a donné son fils, l'unique, celui en qui nous sommes tous ses enfants. Et l'évangile nous le redisait tout à l'heure, au moment de retourner à son père, le fils ayant aimé les siens qui étaient dans le monde les aima jusqu'au bout et il se fit esclave de tous. C'est toute la symbolique du lavement des pieds qui nous le rappelle. Et en Jésus c'est l'humanité entière qui est déjà retournée au Père.
Bien sûr ce retour, nous avons chacun d'entre nous à le détailler dans le quotidien de notre vie, mais pour ce cheminement, Monsieur le Pasteur Nyffeler nous aidera à débroussailler, à faire une trace aussi. Il nous aidera à la lumière de la Première lettre aux Corinthiens à voir comment faire aujourd'hui ce retour vers le père, qui de toujours nous aime.
Abbé Raphaël Amacker

Frères et soeurs en Jésus-Christ,

Monsieur le curé Amacker le rappelait à l'instant, il y a des rêves qui nous font vivre, il y en a d'autres qui nous privent de vivre dans la réalité concrète. S'il est une communauté, une Eglise, qui vivait de rêves, c'était bien celle de Corinthe. Elle rêvait de performances spirituelles. C'était à qui parlerait le plus de langues et qui prierait en langues. C'était à qui aurait le don de prophétie, c'est-à-dire la secrète tendance à pouvoir "maîtriser" l'avenir. C'était à qui saurait le mieux "manipuler" les autres, ceci en toute bonne conscience.
Eh bien, l'apôtre, dans la première lettre aux Corinthiens, chapitre 13, dont nous avons entendu la lecture d'un extrait tout à l'heure montre comment des gens qui rêvent peuvent opérer ce retour à la réalité, ce retour au Père, ce retour à l'amour. J'aimerais revenir sur cette affirmation de l'apôtre qui m'interpelle aujourd'hui : "L'amour n'entretient pas de rancune" (1Co 13 : 5)
C'est très important dans les relations oecuméniques, dans les relations fraternelles, de ne pas entretenir ce qui, finalement, vient étouffer tout le reste, mais de redécouvrir ce qu'il convient de faire pour que le souffle de l'Esprit et celui de l'Evangile, puissent faire refleurir ce que certains considèrent comme un désert.

Mais, me direz-vous, qu'est-ce que l'amour ? Eh bien, pour ma part, c'est chez un psychologue, chez Erich Fromm, que j'ai trouvé une très bonne approche, une bonne définition de l'amour. Et je choisis délibérément de faire appel à lui, car je crois que pour une telle question, il faut avoir recours à tous les êtres humanistes et de bonne volonté. Il y a amour véritable, dit E. Fromm (dans son "Art d'aimer"), lorsqu'il y a sollicitude, lorsqu'un courant passe entre deux êtres, dans lequel l'un manifeste à l'autre, qu'il va prendre soin de lui. Ce qui sous-entend que cet être est disposé à discerner ses besoins et à répondre à ces besoins. L'amour sans sollicitude reviendrait à se comporter comme un papa ou une maman qui ne tiendrait nullement compte des besoins de son enfant, qui identifierait les pleurs du bébé toujours avec un dérangement. Au contraire, là où il y a réelle sollicitude, amour véritable, le papa, la maman, détectent dans la façon de pleurer de l'enfant ce dont il a besoin. A-t-il besoin d'une présence ? A-t-il besoin d'être calmé ? A-t-il besoin de nourriture ? A-t-il besoin de se sentir à sa place dans ce milieu où il vient de "débarquer", ce qui a tout "chamboulé" ? Il n'y a pas d'amour sans sollicitude !

En second lieu, E. Fromm dit : "il n'y a pas d'amour sans respect véritable." Et il nous rappelle que l'étymologie de ce mot c'est "voir" et "regarder" : voir l'autre tel qu'il est et non pas projeter sur lui une image toute faite. Combien de fois, frères et soeurs, n'avons-nous pas procédé de cette manière dans les relations avec nos frères et soeurs catholiques, orthodoxes, évangéliques, que sais-je encore ? L'on projette sur eux quelque chose, et l'on n'est même pas surpris de retrouver à l'arrivée ce que l'on avait projeté sur ces frères et soeurs ! Non, l'amour véritable existe là où il y a ce "respect", là où l'on ne se contente pas de choses toutes faites, de clichés, de visions simplificatrices des choses, mais où l'on garde le coeur et les yeux ouverts pour recevoir l'autre tel qu'il est et apprendre à l'estimer tel qu'il est.
En troisième lieu, il n'y a pas de véritable amour sans responsabilité. Le mot responsabilité évoque le terme "répondre". S'il y a résonance en moi, si quelque chose en moi répond à l'autre, lui fait écho, les choses deviennent possibles. Je puis répondre de lui, et répondre parfois même de ses actes, car je sais comment il convient de les expliquer. Non pas tout justifier, mais se sentir coresponsable, engagé sur le même chemin et prêt à aller sur ce chemin dans une réelle reconnaissance et appréciation mutuelles.
Enfin, dit E. Fromm, la quatrième caractéristique de tout amour véritable, qui au fond résume les trois premières, c'est la connaissance. Il n'y a pas d'amour véritable où il n'y a pas un réel souci de connaître à fond l'autre, au point de devenir très proche. Et d'ailleurs, si nous décomposons ce mot, connaître signifie "naître avec", co-naître, comme on peut naître à la vie ou renaître à une idée ou avec quelqu'un; c'est la notion de communion. On peut ainsi connaître l'autre, se réjouir de sa différence, l'apprécier à sa juste valeur, dans un souci de responsabilité, de respect et de sollicitude mutuels.
Alors, si l'apôtre dit : "L'amour n'entretient pas de rancune", nous voyons que cela a des incidences concrètes sur nos attitudes par rapport à nos frères et nos soeurs. Souvenons-nous que le Christ disait : c'est à l'amour que se portent les frères et soeurs qu'on reconnaîtra s'ils sont chrétiens.
Concrètement pour nous, qu'est-ce que cela veut dire aujourd'hui ? Pour ma part, je discerne trois tâches prioritaires auxquelles nous devrions nous atteler ensemble et auxquelles bien entendu, certains travaillent déjà.
La première consiste à travailler à la guérison des souvenirs. Les relations entre Eglises, entre confessions, entre communautés, c'est comme les relations humaines. Il y a les malentendus, les petits dérapages, parfois contrôlés, tant mieux si c'est le cas, les petits quiproquos qui font que, si on les entretient, et si on ne désamorce pas ces bombes à retardement, il risque d'y avoir des dégâts. Travailler à la guérison des souvenirs, c'est se donner les moyens pour que le passé, quel qu'il soit, ne nous empêche pas d'aller de l'avant. Au besoin, il faudra faire appel à des gens formés, des gens formés à l'écoute, des gens qui entendent derrière les paroles que nous proférons, la détresse, la souffrance, ou la tristesse qui s'y est accumulée. Ils pourront nous aider à nous en défaire pour que l'autre, le frère, la soeur, redeviennent réellement celui dont je me réjouis qu'il soit présent et là, sur la même route, au service du même Seigneur.

Parfois nous parlons de maladresses. N'est-il pas intéressant de relever que, si l'on décompose ce mot, l'on trouve tout simplement que ce qui était considéré comme une maladresse, est parvenu à la mauvaise "adresse". Ce qui nous est parfois reproché, par un frère ou une soeur au-dessus de tout soupçon, ne s'adresse pas forcément à nous-même. Il y a des choses qui nous sont dites, et qui, en fait, concernent quelqu'un d'autre, peut-être la personne même qui les prononce et les formule. Alors, ensemble nous pouvons chercher la véritable adresse, le véritable fond du problème et travailler pour que dans cet apprentissage ces choses-là aussi deviennent des richesses, des sources de progrès. Voilà la première tâche qui importe aujourd'hui : la guérison des souvenirs. L'amour n'entretient pas de rancune, l'amour ne soupçonne pas le mal.

En deuxième lieu, je dirai : nous avons comme tâche, aujourd'hui plus que jamais, de pratiquer l'oecuménisme par l'amitié. Nous savons ce qu'il en est de l'oecuménisme au sommet de la pyramide. Il est ce qu'il est! Il a été utile; peut-être faudrait-il maintenant redescendre sur le terrain, là où nous sommes co-responsables et de la vie publique, et de la vie économique, et de l'avenir de nos enfants et de la société. Là nous pouvons nous rencontrer pour découvrir cette dimension réelle de l'amitié partagée, quels que soient nos contextes et nos racines. L'apôtre le disait, mais d'une tout autre manière : je suis persuadé, disait-il dans la lettre aux Romains que "rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, manifesté en Jésus-Christ", pas même les doctrines, pas même les dérapages, fussent-ils contrôlés! L'oecuménisme par l'amitié, c'est recevoir l'autre, parce qu'il a droit à être ce qu'il est et parce qu'il est aussi une créature du Seigneur.

Enfin, la troisième tâche commune consiste à maintenir l'ouverture ensemble, l'ouverture de coeur, l'ouverture d'esprit, ce que l'on nomme "dialogue". Car, les défis viennent à nous de plus en plus nombreux : face aux représentants des nouveaux mouvements religieux, des sectes, des grandes religions de ce monde, comment nous comporterons-nous ? Comment ferons-nous la promotion de l'Evangile, de l'amour du Christ, de l'amour du Père manifesté en Jésus-Christ ? Je crois que là, les uns et les autres, avec nos expériences et nos siècles d'histoire, nous pouvons nous soutenir, cheminer ensemble. Nous n'entretenons pas les rancunes, parce que le Seigneur nous appelle à son service et qu'il y a beaucoup de pain sur la planche.

Alors, frères et soeurs, aujourd'hui, si nous pouvions recevoir ces paroles de l'écriture comme des encouragements à dépasser, envers et contre tout, les barrières, parfois fictives, parfois imaginaires, qui nous séparent encore, nous aurions fait un grand pas en avant en direction de cet amour qui se concrétise dans la sollicitude, dans le respect, dans la responsabilité à l'égard des frères et soeurs, dans la connaissance des autres. Car, par-delà cette connaissance-là, c'est à l'Autre par excellence, au Seigneur lui-même, que nous sommes confrontés.

Qu'il puisse nous réconforter de façon à faire de ce mot de l'apôtre notre devise : "l'amour n'entretient pas de rancune". Il vaut la peine d'être frères et soeurs au service du même Seigneur. Qu'il nous en accorde la joie et la grâce.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Raphaël Amacker, abbé
Orgue
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