Le Seigneur Jésus est ressuscité. Il est apparu vivant et plein de gloire à Marie de Magdala, puis aux disciples. Une semaine après, il apparaît ensuite à Thomas, que la tradition chrétienne retiendra plus tard comme l'archétype du rationaliste incrédule. L'évangile de St Jean semble alors se terminer ici au chapitre 20 par cette dernière apparition du Christ.
Mais voici qu'au chapitre suivant, le 21e, le ressuscité apparaît de nouveau aux disciples alors qu'ils ont passé la nuit à tenter vainement de ramener dans leurs filets quelques poissons. Ce dernier chapitre du quatrième évangile nous relate un épisode redevenu quotidien dans la vie des disciples où l'on découvre comme personnage central l'apôtre Pierre plus fougueux que jamais et à qui Jésus essaie de faire comprendre la mission dont il désire l'investir.
En relative opposition, les 20 premiers chapitres de l'évangile décrivaient Pierre, le futur apôtre, comme un personnage relativement pâle.
Contrairement au récit des évangiles synoptiques, chez Jean, l'apôtre Pierre n'est pas le premier des disciples à être appelé, ni le premier à reconnaître en Jésus le Messie. On retrouve bien chez l'évangéliste Jean la confession de foi qu'il proclame face à Jésus, mais dans les autres évangiles, cette confession de foi constitue soit un tournant dans le récit de l'évangile, soit elle est l'occasion de la révélation de sa vocation : fondateur de l'église et détenteur du pouvoir des clés. Mais curieusement, l'évangéliste Saint Jean concède à Pierre une bien modeste place.
Il faut tout de même souligner que le disciple bien-aimé, c'est Jean ! Et comme Pierre est souvent considéré comme le porte-parole des disciples, il récolte souvent le plus mauvais rôle.
A l'heure de la passion de son maître, le portrait de Pierre va même encore s'assombrir par trois événements célèbres : son attitude bien matérialiste lors du lavement des pieds, sa question intempestive sur le sort de Jésus et sa révolte face à l'impossibilité de le suivre, enfin son coup d'épée tranchant l'oreille d'un soldat lors de l'arrestation à Gethsémané dénotent sa totale incompréhension de la mission et de l'œuvre du Christ et ne justifient certainement pas une impétuosité inopérante.
Cet aveuglement face au destin inéluctable du Christ se double et culmine dans la terrible et triple infidélité du reniement à l'heure décisive alors que son maître est jugé et fouetté.
Vraiment Pierre est décrit par l'évangéliste Jean comme un personnage violent, lâche, impulsif et ne comprenant rien à rien. Pourtant Jésus avait choisi cet homme très tôt pour en faire un disciple, un apôtre qu'il enverrait pour porter la bonne nouvelle du salut pour tous les habitants de la terre.
Pourtant Jésus avait choisi cet homme pour qu'il devienne le conducteur de tous ceux qui croiraient en lui, le berger de toutes ses brebis, le pasteur de son troupeau, le pêcheur qui rassemblerait dans son filet de nombreux poissons. Notez bien les 153 poissons emprisonnés dans le filet qu'il hisse sur la barque lors du dernier récit de la pêche miraculeuse. Un chiffre, 153, que certains ont vu comme le symbole à la fois de la diversité et de l'unité du peuple des chrétiens.
Jésus l'avait rencontré alors qu'il pêchait avec son frère et il lui avait demandé de le suivre, simplement, en abandonnant son travail et Pierre lui avait obéi. Pierre lui avait obéi tout comme, des siècles auparavant, Abraham avait quitté Ur sans savoir où Dieu lui demanderait d'aller.
Pierre lui avait obéi tout comme Amos, le berger de Téquoa auquel Dieu avait demandé d'abandonner son troupeau qu'il gardait pour aller prêcher dans le royaume contigu, le royaume d’Israël.
Qu'est-ce qui avait poussé ces hommes à suivre l'ordre de Dieu ? Qu'est-ce qui avait poussé cet homme, Pierre, à suivre ce Jésus avec qui la vie ne serait pas une partie de plaisir, car Jésus est exigeant et exclusif et il attend une réponse immédiate; "celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas fait pour le Royaume de Dieu".
"Suis-moi et je te ferai pêcheur d'hommes", Lui avait-il dit. Or cette promesse ne pourra se réaliser que lorsqu'il aura parcouru le chemin de la foi qui passe de la conversion à la confession de foi. En effet, Pierre doit d'abord être pêché lui-même avant de pêcher les hommes.
Au moment où Pierre a accepté de suivre Jésus sur les eaux du Lac de Génésareth et qu'il s'est vu sombrer dans les flots, il s'est écrié : "Seigneur, sauve-moi !" C'était pour lui le temps de la conversion. Il fallait qu'il comprenne que sa vie devait être transformée et qu'il devait acquérir une confiance totale en son maître.
Dans notre texte d'aujourd'hui, Jésus le met durement à l'épreuve, d'une façon très humiliante. Il lui pose trois fois la même question : "Simon Pierre, est-ce que tu m'aimes?" Certainement, Christ a de grands projets pour Pierre, mais avant de lui confier son Eglise, il doit être sûr de la foi et de l'amour de son disciple qui, ne l'oublions pas, vient de le renier par trois fois dans des circonstances bien dramatiques.
Et les trois questions de Jésus forment d'ailleurs un parallèle saisissant avec les trois reniements de Pierre : par trois fois, pendant le procès de son maître, il a déclaré ne pas connaître Jésus; devant des gardes, devant une servante, devant des serviteurs. Trois fois de nouveau, il devra dire devant tous les disciples qu'il aime Jésus.
Et bien sûr qu'il aime Jésus, cela fait trois ans qu'ils partagent la même vie, qu'ils parcourent ensemble les chemins de Judée et de Galilée et Pierre n'a plus besoin de lui prouver son amour.
Or, lorsque Jésus lui pose la question : "m'aimes-tu" le texte de saint Jean utilise pour le verbe aimer le terme grec "agapao".
Ce terme "agapao" désigne dans le Nouveau Testament l'amour complet, l'amour profond, l'amour éternel. C'est le même terme qui est utilisé chez Jean pour désigner le disciple bien-aimé. C'est le même terme qui est utilisé dans le verset bien connu "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique afin que quiconque croie en lui ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle".
C'est encore le même terme qui est utilisé dans ce verset "quiconque aime Dieu est né de Dieu". Et c'est enfin aussi le même terme qui est utilisé chez Paul dans ce merveilleux chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens, l'hymne à l'amour, l'agapè, l'amour vrai, sans condition qui mène au renoncement de soi.
Et à cette question-là, Pierre répond simplement : "tu sais bien que je t'aime" et le texte de Jean utilise alors pour le mot "aimer" le verbe "phileo" qui signifie un simple attachement personnel, une inclination affectueuse. "Mais bien sûr que je t'aime bien, que je t'apprécie, tu le sais bien, voyons !" semble lui dire Pierre.
Mais Jésus n'est pas satisfait de cette réponse et il repose la question une seconde fois en utilisant encore le terme "agapao". M'aimes-tu, m'aimes-tu profondément, m'aimes-tu jusqu'à mourir pour moi ? Et Pierre donne une seconde fois la même réponse et toujours avec le même verbe :"Seigneur, tu sais bien que je t'aime".
Et Jésus recommence une troisième et dernière fois en employant cette fois-ci le terme "phileo". Et Pierre, attristé par cette insistance, répond que Jésus sait toutes choses. C'est-à-dire qu'il sait qu'il l'a renié, qu'il a peu de foi même si par moments il est fort enthousiaste, d'un enthousiasme prêt à se transformer en fougue, qu'il sait aussi qu'il a éprouvé une grande tristesse après avoir entendu le chant du coq. Oui, Christ sait tout cela et sait donc aussi que Pierre l'aime, ou plutôt que Pierre l'aime bien, qu'il l'apprécie.
Alors, deux questions nous viennent tout de suite à l'esprit. Pourquoi Jésus change-t-il brusquement de vocabulaire ? Pourquoi passe-t-il du verbe "agapeo" au verbe "phileo" ?
On a l'impression que Jésus baisse les bras devant l'incompréhension de Pierre. Il se rend compte que l'homme est faible, cependant, il l'encourage, il lui donne aux versets 19 et 22 un ordre qu'il lui a souvent donné :"Toi, suis-moi".
C'est-à-dire, si tu m'aimes, si tu m'apprécies, eh bien, pour me prouver le peu d'amour que tu as, il faut m'obéir, il faut me suivre là où je te dirai d'aller, là où je veux te conduire. Et la seconde question qui nous brûle les lèvres est : "Où Jésus veut-il le conduire ? Et le texte nous apporte la réponse. Tout d'abord pour prendre soin de ses agneaux. Occupe-toi d'eux, protège-les, nourris-les, soigne-les, c'est ce que je te demande, car moi, leur seul pasteur, je vais partir et il faut que tu prennes la relève.
Et ensuite si tu veux t'occuper de mes agneaux, il faut le faire comme moi, en allant jusqu'à la mort, car le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Et effectivement Pierre sera un bon pasteur. Il s'occupera bien du troupeau du Christ, nous en avons eu un témoignage dans la lecture de l'épître tout à l'heure.
Ainsi Pierre fut tour à tour, un homme de foi et un homme de doute, un homme violent et un homme obéissant, un homme aimant et un homme reniant, un homme de toutes les fuites et un homme de toutes les luttes. Mais Pierre fut un homme et en ce sens il représente parfaitement toute notre humanité. Car nous aussi nous sommes plein d'impétuosité, plein de flamme, de motivation et de fougue, mais lorsque surgissent les difficultés, les ennuis, l'incompréhension, le refus, les souffrances, nous renions notre Seigneur. Il n'existe plus pour nous, nous ne l'aimons plus. Et combien de fois, nos propos, nos comportements sont-ils loin d'être un témoignage.
Oui, Simon Pierre est bien un homme comme nous, oui, nous sommes bien des hommes comme celui que fut Simon Pierre. Mais malgré tout cela, Jésus a fait confiance à Pierre, Il lui a donné la charge pastorale, être berger de ses brebis, gardien de ses agneaux, lui le pêcheur de poissons est devenu le berger des agneaux. Et Dieu lui donnera la force d'accomplir sa mission jusqu'au bout.
Malgré tout cela, Jésus nous fait confiance ; Il nous accorde sa pleine confiance et nous aide à devenir ce qu'il veut que nous devenions, malgré nos faiblesses, malgré nos reniements et malgré nos lâchetés, c'est cela qui est formidable. A chacun, Dieu confie un rôle différent, mais il nous donne à tous de merveilleux cadeaux, signe de sa confiance absolue. Nous venons de fêter il y a deux semaines, la résurrection de son Fils, premier cadeau pour notre vie éternelle et nous fêterons dans quelques semaines le second cadeau, le don de son Saint-Esprit à Pentecôte.
Alors, prenons-les ces dons de l'Esprit pour apprendre à aimer du véritable amour, de l'agapè, pour apprendre à aimer Dieu de tout notre cœur et notre prochain comme nous-mêmes. "Quand bien même je parlerais la langue des hommes ou des anges, si je n'ai pas l'amour, l'agapè, je suis une cymbale qui résonne.... Quand j'aurais le don de prophétie et toute la connaissance, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien..."
Amen.
Pierre et Jésus
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