Un fil rouge nous mène à travers les 3 textes que nous venons de partager ensemble, nous permettant de voir l'endroit et l'envers d'une même réalité : la condition du croyant. Le fil se croise et s'entrecroise pour nous faire découvrir cette image du croyant qui lutte pour vivre sa foi devant Dieu. Alors si nous cherchons à tirer sur le fil pour démêler l'écheveau, nous risquons de faire des nœuds et de tout compliquer. En général, avec un peu de patience, il faut faire des tours et des détours un peu dans tous les sens jusqu'à ce que son fil se déroule sans difficultés.
Permettez-moi alors de vous faire prendre un premier détour avec cette question :
• Qu'est-ce qui fait que les jeunes filles s'obstinent cet été à porter des t-shirts trop courts qui leur mettent le nombril à l'air ?
• Qu'est-ce qui fait que d'autres s'acharnent à porter leur casquette à l'envers ?
Bien sûr, ce ne sont ni des arguments logiques, ni des impératifs de santé ou de confort... mais de mode. En nous conformant à la mode, telle que les magazines la définissent, nous nous coulons dans un moule. Le moule des traditions, des habitudes de notre milieu. En faisant comme tous les autres, nous nous mettons en sécurité, nous nous évitons de nous exposer à la critique. Cet anonymat nous est bien pratique, car il nous épargne d'avoir à nous justifier sur nos goûts, nos choix.
Il serait faux cependant de croire qu'il n'y a de mode que dans l'art du paraître. Dans l'art de penser également il y a des modes, dans la manière de dire Dieu, de lui rendre un culte... Ces modes créent des formes, des moules dans lesquels des générations s'installent sans trop s'occuper de fidélité à l'impulsion de départ.
Aujourd'hui la mode serait en cette matière de se dire croyant non pratiquant. Aux époques de Jérémie, Jésus et Paul, la mode était de se conformer à des règles sacrificielles, de respecter scrupuleusement des lois... sans s'occuper de savoir si cette rigidité de pratique contenait un lien vital à Dieu ou non.
Or à examiner notre écheveau, nous avons beau chercher un fil qui mène à ce conformisme... c'est tout le contraire. Le fil qui passe à travers les témoignages partagés ce matin, il nous mène à 3 personnes qui s'inscrivent en opposition à cette mode qui lamine toute initiative personnelle. Tous les 3, ils élèvent une protestation contre cette mode qui endort leurs contemporains, car ils sont en quête d'une vie authentique qui mette en mouvement chacun. Dans leurs interventions, ils proposent un anti-modèle, un modèle anticonformiste, ce qui leur vaudra des oppositions, car il n'est jamais facile de proposer d'aller à contre-courant :
Jérémie crie son désarroi, sa peine, il n'en peut plus d'avoir à se démarquer de ses contemporains en leur transmettant des messages de Dieu qui ne les caressent pas dans le sens du poil. Le prophète est fatigué de devoir s'opposer à la société de son temps pour dénoncer ses dysfonctionnements. Face aux attaques répétées de ses adversaires, il flanche. Il préférerait cent fois être comme eux, se laisser porter par le mouvement... Jésus invite les siens à le suivre, mais il les prévient d'entrée de jeu des difficultés de cet exercice. Se mettre à la suite du Christ n'a rien d'un exercice de style, cela requiert un engagement de toute sa personne... Paul énumère une série d'attitudes naturelles pour un croyant, il insiste, comme s'il savait qu'il allait être difficilement entendu...
A notre tour nous n'échapperons pas à la dualité des sentiments de Jérémie. Son dilemme, c'est aussi le nôtre : d'un côté notre désir de sécurité, notre difficulté à être sans arrêt en conflit avec les autres nous fait souhaiter nous conformer aux idées de Monsieur Tout le monde, mais cela a pour corollaire une trahison de notre mission... d'autre part nous ne pouvons accepter de taire cette découverte de la bonne nouvelle qui nous fait brûler d'un feu intérieur. Alors nous reprenons le flambeau de notre critique de la société dans laquelle nous vivons. Il nous est alors bien égal de savoir si une action prioritaire pour les pauvres est à la mode ou pas, notre conviction, notre désir de fidélité à ce que nous avons reçu de Dieu seront les plus forts !!!
Après avoir retourné notre écheveau dans tous les sens, après avoir repéré les 2 bouts, nous avons déjà une petite idée des tenants et aboutissant de cette question de l'image du croyant : il est inséré dans notre société, appelé à se conformer à toutes sortes de modes et pourtant il est appelé à être un contre-modèle, à refléter autre chose... C'est ce que nous voulons maintenant chercher à mieux comprendre en tirant sur le fil de l'Evangile : Si nous poursuivons le fil de l'appel de Jésus à ses disciples, ses disciples de tous les temps, nous sommes vraiment à l'opposé d'une démarche de mode. Jésus fait aux siens une proposition qui va les décadrer...
En effet, porter sa croix, ce n'est pas seulement se parer d'un bijou plus ou moins volumineux, plus ou moins esthétique, plus ou moins symbole de ralliement d'un groupe social ou religieux... porter sa croix ce n'est pas traîner après soi, comme un boulet, un sentiment négatif et pesant. Je ne vois aucun masochisme ou penchant à auto-flagellation dans cette injonction du Christ.
D'ailleurs il serait bien de revoir cette expression «porter sa croix». Ce n'est pas en termes de possession à laquelle je m'accroche, comme Picsou à ses pièces d'or, qu'il faut la comprendre. Le Christ invite chacun des siens à porter la croix qui lui est momentanément confiée. C'est un appel à faire comme lui. Jésus en prenant lui-même le chemin du martyre, il a accepté d'être livré à la furie et à la risée des foules. Par son discours et ses actes, le Christ s'est détaché de la pratique des autorités religieuses de son temps, remettant en cause leur manière de faire. Son attachement à son prochain, son amour témoigné à chacun indépendamment de son origine et de sa pratique religieuse, tout cela l'a démarqué. Alors ceux qui se croyaient les dépositaires de l'image correcte, normative du croyant, ils n'ont pu que rejeter ce Jésus qu'ils ne comprenaient pas. Or le chemin du Christ de la Galilée au Golgotha, il n'est qu'une suite de preuves d'amour données aux autres, d'abandon de soi dans la confiance à Dieu, ce père qui l'a envoyé en mission parmi son peuple.
Porter sa croix est alors conditionné par cet exemple que chacun va être appelé à retraduire dans son environnement.
Porter sa croix, c'est un peu comme mettre un bleu de travail parce que le travail va être un vrai boulot qui m'impliquera tout entier et pas seulement ma tête ou le bout de mes doigts. C'est se mettre en route sur un chemin de vie difficile qui fera peut-être découvrir la solitude et la souffrance.
Porter sa croix, c'est alors être conscient que la fidélité que le Christ attend de nous va nous mettre en porte-à-faux avec les tenants des modes religieuses. Il faudra alors assumer cette opposition peut-être en se retrouvant seul.
Porter sa croix et suivre le Christ, c'est admettre de quitter ses sécurités pour s'aventurer sur un terrain que l'on ne connaît pas. C'est renoncer à ses valeurs personnelles pour appliquer celles de l'Evangile. Il y a là plus que des mots, ce n'est pas une adhésion intellectuelle à un système d'idées, c'est toute une manière de vivre.
Autrement dit c'est autant accepter d'être en butte à la critique des autres parce que l'on va devoir défendre des idées à contre-courant, que lutter contre soi-même, contre notre désir, notre volonté de décider par nous-mêmes ce qui est bien, ce qui est mal, ce que nous devons dire et faire... Le Christ nous demande en quelque sorte de nous mettre à nu, de nous démoder, de renoncer à ces sécurités de la mode des magazines, pour accepter la mode de l'Evangile. Et c'est au moment où nous aurons fait ce pas, au moment où nous aurons perdu le corset d'une vie à la mode, au moment où nous nous sentirons le plus vulnérables qu'il nous accompagnera et que nous découvrirons la vie en lui, parce qu'à ce moment-là nous aurons accepté de sortir de la course à la notoriété, pour entrer dans sa vie, celle de l'amour qu'il est venu nous partager.
Voilà un bout de démêlé, non ?!!
Il me reste encore 2 nœuds qui iront plus vite à défaire.
Le premier m'amène à la longue liste de Paul. Si vous me permettez une comparaison juridique, je dirais que si l'appel du Christ est notre constitution, ce qui fonde notre engagement; la liste de Paul est une ordonnance d'application. Or une ordonnance n'a rien d'inutile, elle vient rappeler stimuler une pratique, inviter à prendre la bonne direction. Alors plus que l'application stricte et scrupuleuse de tous ces détails, elle vient marquer que dans le cadre des relations humaines, ce qui compte avant tout, c'est l'ouverture et l'attention portées à l'autre, dans une spontanéité qui permette de lui accorder tout le respect et l'amour auxquels il a droit.
Le dernier croisement à examiner dans mon fil concerne principalement ce que nous dit Jérémie. C'est lui qui de la manière la plus poignante exprime sa situation de souffrance, de ras-le-bol. Il en est arrivé à un point où sa condition de croyant lui pèse trop, lui est insupportable... mais en même temps, il se rend compte qu'elle lui colle à la peau, qu'il en a besoin pour vivre. C'est sa vie !!!
Alors si les trois ne font pas mystère de la difficulté qu'il y a à se mettre dans cette démarche de témoignage par la parole et l'action, tous tant qu'ils sont expriment une confiance inébranlable en l'aide de Dieu, en sa présence à leur côté lors de ces passages difficiles. A leur manière et avec leurs mots ils expriment qu'ils sont sûrs que Dieu les protège quand ils se sentent exposés au regard et à la critique de leurs contemporains encore incrédules. Leur conviction, c'est que Dieu n'abandonne pas celui, celle qu'il a chargé d'une mission, même si ce dernier, cette dernière est troublé par la tournure des événements. Malgré tout, il reste possible d'aller de l'avant
Voilà, j'en ai terminé avec mon démêlage j'ai devant moi un fil bien en ordre, mais je ne saurai en rester là... ce fil, il doit me permettre de travailler, de confectionner un habit, une image... alors que vais-je tricoter ou tisser... enfin quand je dis moi... j'entends chacun d'entre nous pour lui-même...
Quel vêtement pourrait correspondre à cette image de croyant engagé que nous cherchons à être ? Ne serait-ce pas une cape... ce manteau bien ample qui permet d'être partagé avec notre prochain... un peu à la manière de Saint-Martin, vous vous souvenez, celui des anciens billets de 100 francs... ou bien avez-vous l'idée d'un autre vêtement qui signifie encore plus le partage ? En tous les cas ne laissons pas notre pelote de fil telle quelle ... de cette manière, c'est sûr qu'elle ne servira à rien.
Amen.