Le culte radio en duplex avec les Philippines

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Nous qui sommes-là ce matin, nous qui sommes à l’écoute à la radio, pouvons-nous, voulons-nous chers frères et sœurs, nous comparer au Jésus de ce récit des tentations ? Comme lui, nous avons derrière nous une histoire – plus ou moins longue – qui vient donner sens à cet arrêt que nous avons choisi de faire ce matin. Nos connaissances du christianisme, notre mûrissement au travers d’engagements, j’aimerais les comparer à ce cheminement que Jésus a fait au moment où il commence son engagement de prédicateur itinérant. Son baptême, ce passage par 40 jours au désert, cette confrontation à des tentations, c’est cette charnière qui ouvre son ministère à l’appel de ses disciples et à un premier enseignement qui nous est rapporté dans le Sermon sur la montagne. C’est comme s’il avait fallu cette confrontation pour qu’il accède à sa stature de Christ.
Pas étonnant alors, qu’au moment où nous débutons le Carême, ce cheminement de 40 jours qui chaque année nous mène vers Vendredi Saint et Pâques nous nous souvenions de son démarrage à lui. Depuis plus de 40 ans, c’est aussi le temps qui est choisi par nos œuvres d’entraide pour nous emmener dans une réflexion œcuménique sur notre manière d’être solidaires avec notre monde.

850 millions d’êtres humains ont faim et n’ont pas d’autre choix ! « Pour que le droit à l’alimentation ne reste pas un vœu pieux », tel est le slogan choisi pour cette année par Pain pour le prochain, Action de Carême et Être partenaires. Cette campagne 2008 inaugure un cycle de réflexion sur le droit à l’alimentation. Elle sera consacrée plus particulièrement à une sensibilisation sur l’accès à la terre, à l’eau et aux autres ressources naturelles – d’où notre dialogue de tout à l’heure avec José Noel Olano engagé dans ce combat de petits paysans sans terre pour l’accès à un lopin de terre sur lequel ils puissent cultiver ce qui leur est nécessaire pour subsister au quotidien.
Cette sensibilisation à d’autres réalités de vie, elle vient titiller notre désir de faire quelque chose pour aider et bien sûr elle entre en résonance avec notre éthique, ce que nous pouvons considérer comme un engagement chrétien indispensable. Mais alors pourquoi nous confronter à ce récit de la tentation de Jésus ? N’est-ce pas juste pour nous couper cet élan pour lequel les animatrices et animateurs Terre Nouvelle cherchent à nous motiver à longueur d’année ?

Je ne crois pas que démarrer ce temps du Carême ainsi, c’est être à la fois plantés sur l’accélérateur et sur le frein, ce qui aurait pour unique effet de réveiller notre mauvaise conscience et de n’embrayer sur rien ! Bien au contraire, passer au travers de cette réflexion sur les tentations, c’est peut-être bien mettre à l’épreuve nos motivations, chercher à clarifier nos intentions pour qu’au premier échec, à la première fois que ça ne marche pas comme prévu, nous n’abandonnions pas tout en disant que de toute façon nous n’y pouvons rien, qu’il n’y a rien à faire à notre niveau.
C’est donc avec cette visée que je vous propose d’entrer un peu plus avant dans une observation de ce qui se passe pour Jésus dans ces tentations. A nous ensuite de voir ce que nous pouvons en tirer pour nous, pour notre manière de concevoir un engagement qui puisse s’envisager dans la durée.

Le but du tentateur, c’est que Jésus renie sa vocation, son engagement. Et bien sûr il avance toujours à visage caché, sous couvert d’emprunts à la tradition. Le tentateur fait mine d’entrer dans la perspective de Jésus, il se sert des mêmes références que lui – les textes de la Bible hébraïque, mais il les tord juste un peu, les vidant de leur substance, de leur intention première. Subtilement Jésus va se servir du même procédé pour rétablir la vérité, lui aussi se sert de textes de sa tradition pour se repositionner face à Dieu et à ses prochains.
C’est ainsi qu’avec la première tentation, suggérer de transformer les pierres en pains, nous sommes dans le détournement de la force de Dieu à des fins personnelles. Ce serait le triomphe de l’égoïsme au détriment de l’intérêt général.
Avec l’invitation à Jésus de se jeter dans le vide, le tentateur lui propose de disposer de la confiance de Dieu. Ce serait une manière d’instrumentaliser Dieu, de décider à sa place, de le contraindre à agir comme nous pouvons en avoir envie.
La dernière tentation va au bout de cette logique en cherchant à détourner Jésus totalement de son service. C’est lui suggérer que de changer simplement de maître, au fond ne changerait quasi rien.

Il serait tout à fait possible d’analyser encore plus avant les ressorts et mécanismes psychologiques, humains qui sont actionnés au travers de ces tentations et nous verrions qu’il n’y a pas que Jésus qui est concerné. Nous pourrions tous nous y retrouver, lorsque nous oublions le sens de notre service, lorsque nous nous mettons à instrumentaliser un projet pour notre gloire personnelle plutôt que de voir l’intérêt général.
Dans certaines manières de nous jeter à corps perdu dans le travail ou nos engagements, nous oublions que nous vivons en réseau et que ce n’est qu’ensemble que nous arriverons à un but déterminé en commun. C’est donc une illusion ou un signe d’arrogance de vouloir décider tout seul.
Une traduction possible de la dernière tentation peut être cette volonté sans cesse sous-jacente de vouloir, nous, déterminer ce qui est bien, nécessaire pour l’autre. C’est un des travers dans lequel nous, gens du Nord, tombons volontiers, lorsque nous savons mieux que les gens du Sud ce qui est bien et nécessaire pour leur développement.
Cet exercice de traduire pour nos contextes et nos existences ces tentations auxquelles le Christ a été soumis, nous pourrions le mener jusqu’à plus soif. Il me semble cependant plus intéressant de nous arrêter quelques instants aux réponses de Jésus.
« Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu.
Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu.
Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte. »
Jésus nous rappelle que quand Dieu nourrit, il ne nourrit pas seulement le corps, mais bien l’être par une parole qui invite à vivre et à promouvoir la vie. S’entendre rappeler cela en ce début de chemin de Carême, c’est nous rappeler qu’il ne nous faut pas nous contenter de nous agiter à un niveau superficiel, mais qu’il nous faut aller à l’essentiel de notre foi et fonder sur cette base solide notre engagement.

Jésus nous rappelle que c’est avec Dieu et non à sa place, que nous pouvons agir pour plus de justice. C’est à nous de rechercher si la réponse que nous proposons, ce n’est que la nôtre, que nous voulons imposer envers et contre tout ou si nous pouvons nous insérer dans la réflexion d’autrui, reprendre à notre compte une interpellation qui nous vient d’autres ? Dans ce travail pour plus de justice au niveau de la planète, n’avons-nous pas d’abord à nous laisser sensibiliser, à relayer des questions, plutôt que d’élaborer ici des solutions que nous voulons exporter là, parce qu’elles nous rendraient service ? Ce que nous devrions faire n’est-ce pas dans la veine de ce que nous cherchons à mettre en mouvement avec la pétition du 0,7 %, c’est-à-dire trouver des moyens que nous mettons ensuite à la disposition de ceux qui en ont besoin, en les aidant à préciser, à exprimer leurs besoins et à les vivre en solidarité ?
Enfin Jésus nous interpelle sur notre désir de justice : comment le vivre pour qu’il soit porteur de vie pour les autres et pour moi ? Nous mettre à l’écoute les uns des autres, c’est accepter que ce qui m’apparaît comme une réponse ici au Nord, ce soit peut-être une fausse bonne réponse au Sud. Nous avons donc à adapter nos manières de voir et de faire. C’est peut-être aussi accepter que ces problématiques de justice elles doivent trouver des réponses pluridisciplinaires et que nous autres gens d’Eglises ou des mouvements tiers-mondistes, nous devions entrer en dialogue avec des gens qui observent la société et s’y engagent d’un autre point de vue. En effet, la justice et la solidarité ne peuvent jamais se bâtir contre mais avec, dans le partage des points de vue et des appréciations.
Dans la prière tout à l’heure nous avons voulu déposer ce qui en nous peut être lourd, fait obstacle à notre rencontre de notre prochain. Après cette confrontation à ce récit d’évangile, après avoir passé nos bonnes intentions à ce crible de ce qui fonde notre engagement, puissions-nous repartir vers demain capables d’aborder de nouveaux défis, parce que nous avons acquis la conviction que Dieu ne nous écrase pas sous la misère du monde, mais nous donne la force dont nous avons besoin et des compagnes, compagnons d’engagement avec lesquels dialoguer et sur lesquels s’appuyer pour poser des gestes d’espoir. Ainsi n’oublions pas, comme nous le rappelle un proverbe burkinabé que vous pourrez retrouver dans le calendrier : « Quand les fourmis s’unissent, elles peuvent même déplacer des éléphants. » Amen !

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Avec la participation de
Orgue
Sara Gerber
Musique