Chers ami(e)s, qui nous écoutez chez vous, chers frères et sœurs en Jésus-Christ,
Le réformateur Martin Luther, en proie à de multiples tentations, comme vous le savez, a écrit une fois en pensant à des chrétiens comme vous et moi : « Le fidèle dit : Maître diable, ne te déchaîne pas tant, mais modère ton comportement, car il en est un qui s'appelle Christ : c'est en Lui que, quant à moi, je crois ».
Le chapitre 6 de l'évangile de Jean est un texte assez extraordinaire : il commence par le récit de la multiplication des pains - le pain de tous les jours - celui que vous avez sur votre table, mais qui cette fois sort de la poche d'un enfant et va rassasier la foule affamée - et il s'achève par le discours de Jésus sur le pain de vie descendu du ciel et transmis aux hommes dans la Sainte Cène. Il ne raconte, certes pas l'institution de la Sainte Cène, comme les trois premiers Evangiles ou l'apôtre Paul dans sa lettre aux Corinthiens, mais il l'évoque directement au verset 51 que nous entendions tout à l'heure : « Je suis le pain vivant descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra pour toujours. Le pain que je donnerai, c'est ma chair : je la donne afin que le monde vive. »
Ainsi donc, Jésus interpelle la foule, qui l'avait perdu de vue et qui vient de le retrouver de l'autre côté du lac de Galilée : « Vous me cherchez parce que vous avez mangé du pain et en avez eu suffisamment et non parce que vous avez saisi le sens de mes miracles. Ne travaillez pas pour la nourriture qui se gâte, mais pour la nourriture qui dure et qui produit la vie éternelle. » (v. 26, 27) En d'autres termes, vous n'avez vu que le pain et les poissons qui ont été multipliés, qui étaient gratuits et que vous aviez à profusion ! Vous n'avez pas vu le sens du miracle, le signe qu'il représentait, la promesse de la nourriture qui produit la vie éternelle et que le Fils de l'homme, Jésus, vous donnera.
Pourtant cette fois, la foule entend bien : tu parles d'une nourriture qui dure et qui produit la vie éternelle ! Dis-nous vite : « que devons-nous faire pour accomplir les œuvres voulues par Dieu ? » (v. 28) Nous sommes ici à la charnière entre la multiplication des pains et l'enseignement sur le pain de vie. La foule veut faire de Jésus son roi, un chef d'état - pensez donc ! - qui donne à manger, gratuitement, à tout le monde et qui, en plus, maintenant nous promet la vie éternelle !
Il ne nous faut pas mal juger trop vite cette foule, qui entoure Jésus dans l'attente d'un nouveau miracle. Elle connaît la faim, l'insécurité et l'injustice dues à l'occupation du pays par les soldats romains. Elle est déçue de l'échec de l'alliance d'amour conclue par Dieu avec son peuple après la sortie d'Egypte (Dt. 6, 8) - vous l'entendiez lire il y a un instant. Elle ne sait pas, cette foule, mais nous, nous le savons que la terre peut nourrir plus de 10 milliards d'habitants et qu'un tiers des habitants de la terre dispose des 4/5 des ressources totales et que des milliers d'enfants, sinon plus, meurent de faim chaque jour. Elle n'a pas compris, cette foule - mais nous, nous pouvons le comprendre - que Jésus-Christ est venu, envoyé par Dieu pour sauver le monde; elle n'a pas vu qu'avant de distribuer les pains et les poissons, il a prié et remercié Dieu, qui donne toutes choses. Oui, Il est la nourriture du monde et veut qu'à notre tour, ayant goûté au pain et au vin de la communion une fois ou l'autre, et ayant peut-être relu le chapitre 25 de l'Evangile de Matthieu une fois ou l'autre, mais vous pouvez le relire aujourd'hui, nous donnions à manger à tous ceux qui ont faim, à boire à tous ceux qui ont soif, nous offrions l'accueil aux étrangers, réfugiés et persécutés, nous rendions visite aux malades; bref, nous exercions les deux faces du même mystère de la communion : d'une part, la multiplication des pains et d'autre part, l'exercice de la charité.
Les chrétiens des premiers siècles définissaient ce qui se passait autour de la table de communion comme un mystère à deux visages : le repas du Seigneur ou «sacrement de l'autel» et le repas fraternel ou «sacrement du Frère», dont parlait en particulier St Jean Chrysostome et qui est encore en usage dans les Eglises orientales. Ce n'est pas pour rien que ce chapitre 6 de l'Evangile de Jean nous présente le discours de Jésus sur le pain de vie, pain vivant descendu du ciel, qui déjà esquisse l'offrande du Christ donnant son sang sur la croix pour le salut de tous les hommes et la multiplication des pains par le même Seigneur avec les douze corbeilles qu'il fallait garder et ne pas laisser se perdre au milieu du monde affamé.
La nouvelle pauvreté, qui n'est pas une notion philosophique, mais bien réelle, le quart-monde, le chômage qui ne se résorbe pas, la précarité de notre société à plusieurs vitesses, la marginalisation des moins chanceux nous rappellent avec insistance - même en ce temps de vacances pour beaucoup d'entre nous, que l'Eglise, notre Eglise, où qu'elle vive dans le monde, n'existe que pour les autres, même pour ceux qui n'en font pas partie ! A l'exemple de son Seigneur, elle a le devoir de nourrir la grande foule des hommes en utilisant et en multipliant tout ce qui est disponible : le pain, les poissons, l'argent, les intelligences, le temps, les pouvoirs et les autorités. Le livre des Actes des Apôtres ne dit-il pas que dans la première Eglise, avec la fraction du pain, on mettait en commun l'abondance des uns et la misère ou la pauvreté des autres ?
Les 700 délégués des Eglises européennes rassemblés à Graz en Autriche, il y a 6 semaines avec 10'000 autres chrétiens d'Europe pour vivre le don de la réconciliation qui vient de Dieu ont échangé, comme il se doit, les idées, les expériences et les prières. Ils ont pris une série d'engagements parmi lesquels je n'en retiens que 2 ou 3 pour nous aujourd'hui, la recherche de l'unité visible des Eglises, bien sûr, la coopération pour bannir la violence, surtout envers les femmes et les enfants, les êtres les plus faibles, et la suppression d'ici l'an 2000 dans l'esprit biblique de l'année sabbatique, des dettes des pays les plus pauvres en s'assurant que leurs peuples en auront vraiment le bénéfice. Cette suppression des dettes, est-ce que cela ne serait pas une sorte de multiplication moderne des pains, qui est programmée ici pour l'an 2000 ?
Alors la foule demande à Jésus : «Que devons-nous faire pour accomplir les œuvres voulues par Dieu ?» Jésus aurait pu leur répondre, comme je viens de le faire, en donnant une série d'exemples sur les conséquences possibles de la multiplication des pains, dont la foule a eu la veille le miraculeux bénéfice. Et il aurait certainement été mal compris : il aurait donné raison à ceux qui pensent que c'est à coup de bonnes œuvres qu'on met Dieu de son côté et qu'on gagne son salut en accumulant toutes sortes de mérites. Nous savons bien, depuis Luther et Calvin, que le centre de l'Evangile, c'est l'amour gratuit de Dieu manifesté en Jésus-Christ et beaucoup de nos frères et sœurs catholiques romains le savent aussi aujourd'hui. Pourtant, c'est presque naturellement que, comme la foule de Capernaüm, nous demandons : que devons-nous faire pour que Dieu nous prenne en considération ? Et notre situation est alors la suivante : ou bien nous pensons que ce que nous faisons n'est, après tout, pas si mal, que nous faisons notre devoir et que nous n'avons pas grand-chose à nous reprocher. Ou bien nous sommes sensibles à la puissance de Dieu et à ses exigences et nous nous rendons compte que nous n'arriverons jamais à le satisfaire.
Si nous nous reconnaissons, si vous vous reconnaissez dans l'une ou l'autre de ces 2 catégories, alors il est important que nous écoutions la réponse de Jésus : «L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé» (v. 29). Il ne s'agit pas d'abord des œuvres que nous devons faire, mais l'œuvre de Dieu, ce que l'apôtre Jean confirme d'ailleurs dans sa première épître : «nous aimons, parce que Dieu nous a aimés le premier» et il ajoute aussitôt : «Voici le commandement que le Christ nous a donné : celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère.» (1 Jn 1, 19, 21). Vous voyez : Dieu a pris l'initiative de nous créer, puis celle de nous sauver et toujours, dans son amour, il est avec nous - Emmanuel - «Dieu avec nous». Jésus dit donc à la foule que la première chose, c'est que Dieu est là avec elle. Et si elle a vu le miracle de la multiplication des pains, hélas, elle n'a pas vu à ce moment-là, l'action de Dieu. Elle a vu l'action d'un éventuel futur roi qui pourrait être Jésus.
Alors, que faut-il faire? Croire, non pas faire un effort surhumain pour arriver à croire, mais laisser Dieu faire son œuvre en nous, car nous ne pouvons pas inventer la foi, ni la fabriquer. Beaucoup de gens disent : "Je n'ai pas la foi, il faudrait que je voie pour croire !" Ou comme les interlocuteurs de Jésus en d'autres termes : "Quel miracle peux-tu faire voir pour que nous te croyions ? (v. 30). La foi est donc impossible aux hommes, mais je reste persuadé qu'elle est possible à Dieu, elle est son œuvre en nous par l'action de son Saint-Esprit. Elle agit en nous jusqu'à ce que sorte de notre cœur un cri comme celui du père de l'enfant démoniaque de l'Evangile de Marc (9, 24) : «Je crois, aide-moi, car j'ai de la peine à croire.» ou dans d'autres traductions : «Viens au secours de mon incrédulité.»
«L'œuvre que Dieu attend de vous, c'est que vous croyiez en Celui qu'il a envoyé.» Certains disent : "Je crois en Dieu, mais pas en Jésus-Christ"; d'autres disent : "Je crois en Jésus-Christ, mais pas en Dieu." C'est vrai qu'on peut avoir une idée de Dieu sans croire en Jésus-Christ. Mais la foi au Christ demeure l'œuvre de Dieu en moi. Et je crois qu'il faut bien cette action miraculeuse de Dieu en moi pour que je croie en Jésus-Christ dans son abaissement, dans son sacrifice jusqu'à ce qu'il accepte de mourir sur la croix, ce qui peut être considéré comme un échec par la foule.
Parce que croire en un Dieu qui est faible, humble et méprisé pour se mettre au niveau des plus humbles, des plus pauvres d'entre nos frères, n'est pas facile et pas logique ! Il n'y a pas tant d'années que d'autres ont cru en d'autres formes de dieux qui étaient puissants et qui voulaient gouverner le monde pendant 1'000 ans ! D'ailleurs, les auditeurs de Jésus ont de la peine à accepter sa réponse : «Quel miracle - une fois de plus !- peux-tu nous faire voir pour que nous te croyions ?» Une fois de plus, on réclame des preuves et même un miracle ! Et Jésus, très calme, leur répond : «ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel; le pain que Dieu donne descend du ciel et qui donne la vie au monde, je vous l’apporte !» (v. 33)
Il y a peut-être parmi vous, dans cette chapelle ou au loin sur les ondes, un frère ou une sœur qui pense en ce moment : "Croire en Jésus-Christ, c'est l'œuvre de Dieu; mais il donne cette foi à qui il veut ! Moi, je ne l'ai pas reçue, je n'ai pas eu cette chance !" Je vous répondrais, comme l'apôtre Paul à Timothée : «Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.» 1 Tim. 2, 4). Il offre donc à tous, d'une manière ou d'une autre, la possibilité de croire, même si la rencontre avec le Christ peut se faire de manières différentes avec les uns ou les autres. Car il faut bien souligner ici qu'être chrétien, ce n'est pas adhérer à une doctrine ou à un système philosophique par une décision de son intelligence. C'est d'abord, rencontrer une personne, Jésus-Christ, et les moins intelligents y sont aussi sensibles, rencontrer quelqu'un et établir une relation vivante avec lui, à son initiative, mais en devenant des partenaires de son action au milieu des hommes.
Rencontrer Jésus-Christ, c'est aussi être engagé dans ce service de Dieu et dans ce service des hommes avec beaucoup d'autres croyants, donc rencontrer des personnes, qui ont fait l'expérience de croire en Celui que Dieu a envoyé : Jésus-Christ. Et l'on s'engage, ou l'on se réengage, ensemble dans un témoignage, rencontre du Christ, rencontre de frères et de sœurs, engagement ensemble dans un témoignage qui va expliquer et dire aux autres et montrer ce qu'on a soi-même reçu dans la rencontre avec le Christ. Il y aura bien une multiplication des témoignages, qui est bien plus important déjà que la multiplication des pains dont la foule avait bénéficié, sans bien comprendre déjà ce qui se passait. Et l'on s'engage ou se réengage ensemble dans ce témoignage qui va montrer aux autres, nos familiers, nos enfants, nos amis, nos ennemis peut-être, que le Christ a dit vrai : « L'œuvre que Dieu attend de vous, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. »
Je demande à Dieu qu'il accomplisse en nous cette œuvre et nous permette de croire et de dire, aussi, avec force au diable : "Maître diable, ne te déchaîne pas tant, mais modère ton comportement - tiens-toi à carreau ! - car il en est un qui s'appelle Christ : c'est en Lui que, quant à moi, je crois." (M. Luther) A Dieu seul, donc, soit la gloire !
Amen !