Avez-vous bien entendu cette promesse: «Votre tristesse se changera en joie !» Cette parole, tirée du passage de l'évangile de Jean, proposée à notre réflexion pour ce 5e dimanche de Pâques, n'est pas une banalité du genre «après la pluie le beau temps». Jésus ne parle pas d'une banale succession mais d'une transformation ! Comme pour un accouchement, le même événement qui était d'abord source de douleur devient source de joie.
Lorsque Jésus s'adresse à ses disciples, ceux-ci sont loin de s'imaginer ce qui les attend. Ils sont conscients que Jésus leur parle de quelque chose de grave (Jésus dit qu'ils vont se lamenter), mais ils ne comprennent pas.
Le discours de Jésus est énigmatique. Il dit : «Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus et puis encore un peu de temps et vous me reverrez (...) parce que je vais au Père.» Il y a une sorte d'illogisme là-dedans : comment les disciples pourront-ils le revoir s'il s'en va vers Dieu ? Peut-être que les disciples saisissent que Jésus parle de deux manières différentes de le voir, mais de toute façon ils ne comprennent pas à quoi cela correspond.
Pour nous aujourd'hui, ces paroles de Jésus sont plus faciles à comprendre parce que nous connaissons la suite de l'histoire. Jésus va être arrêté et mis à mort. Ses adversaires vont crier victoire parce qu'ils auront réussi à se débarrasser de lui, tandis que les disciples, eux, vont plonger dans la tristesse et le désespoir. La mort de Jésus est pour eux beaucoup plus que la perte d'un ami : c'est l'écroulement de leur point d'appui. Ils vont se retrouver tous seuls dans un monde hostile. Mais la résurrection de Jésus va complètement modifier la donne. Les disciples vont réaliser que Jésus est vivant quoique de manière différente. Ils prennent conscience que Jésus a vaincu la mort et qu'il vit désormais dans le monde de Dieu. Jésus est mystérieusement présent, mais plus comme avant.
Ce côté mystérieux de la présence de Jésus ressuscité est bien rendu par les récits bibliques de la résurrection. Jésus apparaît subitement au milieu de ses disciples alors que la porte est fermée (Jean 20/19); il fait route sur le chemin d'Emmaüs avec deux disciples qui ne le reconnaissent pas (Luc 24/13ss) ! Sa façon d'être présent échappe à notre compréhension humaine. Et à Pentecôte les disciples vont faire encore une nouvelle expérience : celle du Christ présent en eux par son Saint-Esprit.
Ainsi, pour eux, la mort de Jésus sur la croix ne sera plus un désastre, mais la révélation de l'amour incroyable du Fils de Dieu qui donne sa vie. Après la résurrection, la croix apparaît comme l'outil par lequel le Christ révèle la puissance de vie qui est en lui. L'événement de la croix qui a commencé par provoquer leurs lamentations et leur tristesse se change en source de joie, une joie que personne ne pourra leur enlever. Le regard des disciples a changé et ils vont pouvoir affronter l'avenir avec les forces de la vie nouvelle que le Christ met en eux.
Aujourd'hui, le souvenir de la passion et de la résurrection de Jésus-Christ peut aussi provoquer en nous de la tristesse et de la joie. Mais je crois que la promesse de Jésus-Christ «Votre tristesse se changera en joie» concerne aussi des événements de notre vie actuelle.
Nous avons vécu cette semaine un deuil tragique qui a de quoi nous plonger dans la tristesse et le désespoir. Mais les yeux de la foi nous permettent de voir au-delà de la triste réalité des faits. L'apôtre Paul écrivait aux Corinthiens : «Nous ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles, car les choses visibles sont passagères, mais les invisibles éternelles.» (2 Cor 4/18). Le regard de la foi nous permet d'espérer que Dieu accorde à ses enfants la paix et la lumière qui nous font si souvent défaut dans ce monde. En ce sens-là, la mort peut être comparée à un accouchement, à une naissance dans une autre vie.
Dans cette même lettre aux Corinthiens, Paul parle aussi «d'une tristesse qui conduit au salut» (et, pourrait-on ajouter, à la joie). Il s'agit de la tristesse de celui qui prend conscience de la gravité de ses fautes. Paul écrit : «La tristesse selon Dieu produit une repentance à salut dont on ne se repent jamais». (2 Cor 7/10). En effet, lorsque je me rends compte que je gère mal ma vie, que je me suis détourné du chemin de la droiture, du bien, de la solidarité, et que je me repens devant Dieu (parfois avec des larmes), je reçois avec une joie profonde le pardon de Dieu qui me permet de repartir en nouveauté de vie. Nous avons chanté tout à l'heure :
«Tu peux naître de nouveau
Tu peux tout recommencer
Balayer ta vie passée
Et repartir à zéro
Avec Jésus pour berger» (Vitrail n° 84)
Le côté pénible de la reconnaissance de nos fautes et la tristesse qui l'accompagne se transforme en joie. Et puis, pensez à la maladie : l'épreuve de la maladie peut aussi avoir un aspect positif. En prenant conscience de leur fragilité, des malades se sont reposé les questions fondamentales sur le sens de leur existence et ils ont redécouvert ce qui est essentiel dans la vie. La tristesse de l'avoir ignoré jusqu'à présent fait place à la joie de l'avoir découvert.
Lorsque Jésus promet à ses disciples que leur tristesse se changera en joie, il ne sous-entend pas que l'épreuve qu'ils vont traverser sera légère et qu'ils la surmonteront sans peine. Les disciples vont vraiment se lamenter et ce ne sera pas pour faire semblant.
Jésus lui-même va traverser sa passion avec un débordement d'angoisse. L'évangile de Luc nous raconte que «sa sueur était devenue comme des gouttes de sang» (Luc 22/44). Et sur la croix, Jésus s'écrie «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?» Sa souffrance est terrible. Elle est amplifiée par son sentiment d'être abandonné de Dieu. Il n'affronte pas la mort avec gaieté de coeur. Et pourtant il sait qu'il va vers la vie, vers sa glorification auprès du Père. Le regard qu'il porte sur les réalités invisibles lui permet de tenir bon, mais ne lui épargne pas les lamentations. La joie de la résurrection est au bout du chemin de croix, mais Jésus ne peut pas gommer sa souffrance.
Il y a dans l'Ancien Testament, une histoire qui m'a toujours beaucoup impressionné : celle de Job. Il nageait dans le bonheur et voilà qu'il perd tout : tous ses biens, tous ses enfants et pour finir même la santé. Job est noyé dans la souffrance. Il se lamente. Il aimerait bien savoir pourquoi ces malheurs lui tombent dessus. Il s'interroge sur Dieu : comment peut-il laisser souffrir des innocents ? La vision traditionnelle qu'il a d'un Dieu tout-puissant qui distribue le bonheur et le malheur au gré de son bon vouloir le conduit à la révolte. Et puis, peu à peu, sa vision de Dieu change. Il se rend compte que Dieu est lui aussi mystérieusement victime du mal, que Dieu est à ses côtés au sein même de la souffrance !
Il discerne confusément ce que Jésus-Christ révélera avec clarté sur la croix, à savoir que le Fils de Dieu lui-même n'est pas à l'abri de la souffrance injuste et de la mort. Job voit l'invisible et s'apaise. Sa tristesse va se changer en joie.
Aujourd'hui, certains d'entre nous ont la chance de traverser une étape de leur vie paisible, agréable, lumineuse. Mais d'autres sont en pleine tourmente. Nous sommes particulièrement en pensée avec vous, chers auditeurs, qui êtes sur un lit de souffrance. Nous pensons aussi aux parents et aux enfants qui aimeraient se réjouir d'être en famille pour la Fête des Mères, mais qui doivent porter le poids d'une absence. Nous pensons à ceux qui n'ont pas la joie d'avoir une famille ou qui sont blessés par une famille désunie; à tous ceux pour qui l'avenir est sombre et angoissant. Nous sommes tous compagnons sur le chemin de la souffrance humaine.
Comment pouvons-nous recevoir cette parole du Christ : «Votre tristesse se changera en joie» ? Lorsque les disciples l'ont reçue ils ne pouvaient pas imaginer en quoi elle allait consister. Ceux qui sont plongés aujourd'hui dans l'épreuve ne peuvent imaginer ce qu'il y aura après, à l'autre bout du tunnel.
Cette parole peut-elle nous aider à aller de l'avant ? Je crois que Jésus nous ouvre une piste en parlant du regard que ses disciples vont devoir porter sur lui. En regardant l'invisible, c'est-à-dire, le Christ mort et ressuscité, vainqueur du mal et de la mort, nous pouvons nous appuyer sur cette certitude que Dieu est présent mystérieusement au coeur de nos vies, de nos souffrances et qu'il veut nous guider vers un renouveau de vie. Avec lui pour appui, je crois que nos épreuves, si douloureuses soient-elles, peuvent devenir semence de vie nouvelle. Je crois qu'en Dieu les douleurs de l'enfantement de cette vie nouvelle peuvent se transformer en sujet de joie.
Amen.