Un avenir et une espérance

image

Vous l’avez entendu : Jérémie encourage les exilés à rester à Babylone en captivité. Il leur demande d’avoir de la patience et de s’installer pour une longue période dans leur exil inconfortable, en construisant des maisons, plantant des jardins, se mariant, procréant des enfants afin qu’Israël, le peuple de Dieu, s’agrandisse à l’étranger.
Cet encouragement du prophète fait suite au conseil, dans le chapitre qui précède le nôtre, aux habitants de Jérusalem de s’habituer à vivre encore longtemps sous l’occupation d’une nation étrangère. Le peuple d’Israël doit manifester sa loyauté envers les Babyloniens et ne pas provoquer des soulèvements ou des révoltes, dit Jérémie. Donc, il prêche une sorte de collaboration, de non-résistance, de soumission et d’acceptation du statu quo.
Mais en même temps que Jérémie, d’autres prophètes ont élevé leurs voix pour parler également au nom de Dieu, au nom de ce même Yahvé, mais pour dire le contraire, c’est-à-dire encourager la population à se défaire du régime babylonien : N’acceptez pas l’occupation de l’ennemi, révoltez-vous, disent-ils. Voici une bonne nouvelle pour le peuple exilé, car à Babylone, des milliers d’Israéliens n’attendent que la chute du régime pour pouvoir rentrer chez eux. Quelle chance donc que ces prophètes, qui annoncent le salut et la libération au peuple découragé et désespéré, parlent d’une fin proche de la captivité babylonienne. Refusez le joug de Babylone, préparez-vous au retour, ne vous installez pas à l’étranger, la libération est proche. Voici leur message clair et encourageant.
Qui donc a raison ? Jérémie ou les prophètes du salut ? Comment pouvons-nous vérifier qui parle vraiment au nom de Dieu ? Et face à nos propres situations d’aujourd’hui, quand nous sommes confrontés à des positions différentes et divergentes, comment est-il possible de savoir laquelle est juste et correspond à la volonté de Dieu ?
Difficile de juger. En pensant à mes propres expériences personnelles ou aux références de ma foi, j’aurais tendance à donner raison aux prophètes du salut. Le Dieu d’Israël n’est-il pas un Dieu qui a libéré son peuple de l’esclavage en Egypte, un Dieu qui, certes, punit son peuple quand il n’obéit pas, mais qui s’annonce surtout comme un Dieu fidèle et miséricordieux qui veut voir son peuple libre, en tant que communauté civile et religieuse ?

Pensons aussi à tous ces hommes et toutes ces femmes qui, tout au long de l’histoire, se sont engagés au nom de leur conviction de chrétiens afin de résister à des occupants, s’opposer à des régimes oppresseurs, comme un Dietrich Bonhoeffer à l’époque des nazis, comme des poignées de chrétiens vivant sous certains régimes communistes qui ont persécuté les Eglises. Pensons à ce chef de la police saint-galloise, Grüninger, qui a sauvé plusieurs milliers de juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, en les faisant entrer clandestinement et sans papiers en Suisse. Rappelons-nous aussi la lutte antiapartheid de l’évêque Tutu et celle d’autres personnes en Afrique du Sud, afin d’obtenir la pleine reconnaissance des droits de la population noire dans leur pays. En pensant à tous ces chrétiens ou citoyens et en les mettant en relation avec notre texte biblique, ne penchons-nous pas spontanément, au nom de notre foi, du côté de la libération et de la résistance face à l’occupant injuste ?
Mais il y a de quoi être perplexe : c’est Jérémie qui prétend être le vrai prophète – ce Jérémie qui a l’air d’un défaitiste, d’un collaborateur, qui accepte de rédiger – au nom du régime oppresseur – une lettre aux exilés pour leur dire : Vous êtes bien là où vous êtes, restez-y, installez-vous, surtout n’essayez pas de vous soulever ; ce Jérémie qui prêche la soumission et non la résistance prétend parler au nom de Yahvé 
Il nous faut donc faire un grand effort pour comprendre pourquoi une attitude qui ne correspond pas à ce que nous croyons être juste peut être la bonne. Il nous faut éviter de faire un amalgame avec des collaborateurs de notre époque auxquels nous pouvons penser spontanément. Comment faut-il donc entrer dans la vision de Jérémie ?
Faisons attention à ce qu’il nous dit : Premièrement, le prophète affirme clairement que Yahvé continue à être l’autorité d’Israël, aussi dans l’exil. Dieu n’a pas oublié son peuple, même si celui-ci a été déporté à l’étranger, même si Israël se sent abandonné par son Dieu. Jérémie met d’abord en garde contre une espérance trop facile : un rapide retour de l’exil est, pour lui, politiquement parlant, complètement irréaliste. Il s’oppose donc à l’impatience de ceux qui attendent une fin proche de leur captivité.
Mais ensuite, il lutte également contre le désespoir de ceux qui n’arrivent pas à se retrouver dans leur situation de déportés, en les assurant de la présence de Yahvé. Donc, dans cette tension entre une fausse espérance et un désespoir paralysant, Jérémie donne ces conseils très concrets : construisez des maisons, plantez des jardins, mariez-vous, ayez des enfants. Il s’agit d’une sorte d’incitation à s’ouvrir, à se libérer d’une foi qui ne peut exister que quand elle est attachée à un lieu fixe – le temple de Jérusalem, pour s’enraciner partout dans le monde. En parlant à travers Jérémie, Dieu proclame qu’il n’est pas seulement Dieu à Jérusalem, mais dans le monde entier.

La conséquence de ce message est claire : L’exil et l’occupation seront prolongés, il faudra s’y faire. Sans doute que les exilés ont été profondément déçus en apprenant cette nouvelle. La libération si fortement attendue n’était donc pas pour tout de suite. Les chemins vers le salut sont différents de ceux imaginés par le peuple.
Jérémie sait de quoi il parle. Il pense à sa propre vie qui s’est déroulée tout à fait autrement de ce qu’il aurait voulu. Toute sa vie a été un combat difficile avec son Dieu pour comprendre pourquoi la volonté de Yahvé ne correspondait pas à ses propres attentes.
Et dans un certain sens, les expériences de Jérémie ne sont-elles pas aussi nos propres expériences de vie, nos questionnements face à un Dieu qui a d’autres plans pour nous que ceux que nous avons prévus ? Jérémie va même plus loin : il encourage le peuple à intercéder pour Babylone, pour l’ennemi juré d’Israël. Prier pour les ennemis : c’était un conseil révolutionnaire pour l’époque. Cela nous rappelle Jésus-Christ qui, 600 ans plus tard, a repris cette pensée et cette attitude dans son sermon sur la Montagne. L’esprit est tout à fait similaire, puisqu’il se situe dans une vision où Dieu est le Seigneur du monde entier et de tous les êtres humains, des bons et des mauvais, des amis et des ennemis, et selon laquelle le but est de se réconcilier et de vivre dans la paix.
Jérémie essaie de faire comprendre que ce que le peuple d’Israël voit comme une fatalité ou une souffrance, Dieu l’annonce comme un projet de prospérité et non de malheur, un projet d’avenir et d’espérance. Dans d’autres mots : ce ne sont pas les projets humains pour l’avenir qui apporteront la lumière dans l’obscurité du désespoir, mais le plan salutaire de Dieu.

Dieu est présent, aussi dans un pays lointain et religieusement impur pour le peuple d’Israël, aussi dans les circonstances adverses, même quand il a l’impression qu’il est absent ou qu’il l’a oublié. Le peuple d’Israël qui croyait ne pas pouvoir survivre en dehors de sa ville sainte et de son pays, découvre – à travers le message de Jérémie – que le culte d’adoration de Yahvé est plutôt une question d’attitude ou de disponibilité intérieure et ne dépend pas d’un lieu religieux.
Et surprise : c’est ainsi que nous découvrons que le vrai message libérateur est celui de Jérémie. Cela n’enlève rien aux engagements de tant de chrétiens contre la répression de la foi ou en faveur des droits humains. Mais cela nous permet de nous rendre compte que les faux prophètes sont ceux qui veulent enfermer leur peuple dans une vision étroite, nationaliste, égoïste, réductrice, qui en fait est plus contraignante que la captivité prolongée à Babylone. Les faux prophètes pensent uniquement à leurs intérêts et idées et oublient que c’est Yahvé qui tient le sort de son peuple dans ses mains. A contre-courant, Jérémie annonce la parole de Dieu : l’exil momentané et la libération annoncée pour beaucoup plus tard font partie de sa volonté de salut et de paix pour son peuple.

A l’EPER, l’Entraide protestante suisse où je travaille, avec mes collègues qui animent le culte de ce matin, une telle lecture de la Bible est d’une grande importance : nos relations avec nos partenaires dans le monde entier, dans des contextes différents, souvent marqués par des conflits et des crises, attirent notre attention sur cette présence de Dieu dans le monde : ô combien difficile à voir, tant de fois contradictoire ou mal comprise, accueillie avec réserve ou incompréhension, une présence cachée souvent ressentie plutôt comme une absence, et pourtant, une présence qui s’annonce finalement comme un projet de prospérité et non de malheur.
Mais en fait, n’est-ce pas une approche ou une expérience similaire pour nous tous, chacun et chacune dans sa situation particulière ? Ecoutons donc ce Jérémie qui parle comme un véritable prophète, incommode mais authentique, au nom du Dieu véritable présent pour le monde entier et qui promet à nous tous un avenir et une espérance.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christine Brechbühl
Musique
Philip Cooper (flûte traversière); Franz Schnyder (hautbois); Rosemarie Burkhart (basson)