La confiance ébranlée

image

Lorsque les Français ont confiance, la France avance. Cette affirmation n'est pas de moi, mais du président de la France, Monsieur Chirac, s'adressant à l'équipe de France de football, victorieuse lors des derniers championnats du monde. Confiance et mise en route, un corollaire qui semble avoir traversé l'esprit de Monsieur Chirac, appelé à esquisser quelques pensées à leur intention.
Or, force est de constater que nous ne sommes plus vraiment dans l'ère de la confiance, mais bien plus de celui de la méfiance. On se méfie autant de l'économique, que du politique, du droit que du religieux. On se méfie de la tradition, de la morale et des lois. On se méfie de la raison, du progrès, de la science. On se méfie de ce qui est différent, de l'étranger, de son voisin. De ce trop rapide constat il n'est toutefois pas faux de dire que nous sommes en crise avec la confiance, ou que notre confiance est sérieusement ébranlée.
Pourquoi donc ? Quelles en sont les causes ? Peut-on vraiment y remédier ? Et puis qu'est-ce la confiance ? Avec quoi est-elle apparentée ? Que provoque-t-elle en l'homme ? Voilà quelques questions qui jalonneront nos réflexions tout au long de ces trois prochains dimanches, durant lesquels nous avons le plaisir d'avoir un auditoire bien plus large que le seul espace de notre temple d'Aubonne.
Ce matin, je voudrais méditer sur une expérience que relate l'Evangile de Marc, une expérience, pour le moins insolite, mettant en scène d'un côté les disciples aux prises avec de sérieuses difficultés de navigation et de l'autre Jésus, qui, mystérieusement, vient à leur rencontre marchant sur les eaux. Par-delà les considérations historiques de ce récit, le sens que l'on peut en donner me paraît fondamental.
Situons le cadre de cette expérience. Les disciples viennent de vivre l'un des événements les plus fous et prodigieux de leur pérégrination avec Jésus. La nourriture manquante, Jésus avait rompu quelques pains et poissons, et ce geste avait permis de nourrir une foule entière. Par conséquent, les disciples étaient gonflés à bloc. Si la foule les avait acclamés, certainement qu'ils auraient pu «déplacer les montagnes». Que de confiance, que d'assurance en eux à ce moment-là. Pourtant, le texte nous dit que Jésus les obligea à quitter la foule et à embarquer sur leur bateau.

Cette disposition intérieure des disciples bascule totalement lorsque ceux-ci, voyant Jésus s'avancer vers eux, sont complètement ébranlés dans leur confiance et, de surcroît, qu'ils s'entendent dire de la part de celui qui marche vers eux : «Confiance, c'est moi, n'ayez pas peu !» Ajoutons aussi, pour poser un peu mieux encore le cadre de ce récit, que cette rencontre se passe sur fond de tempête, qui met les disciples à rude épreuve, voire qui les met en danger de perdre pied dans la barque.
Enfin, et nous en aurons fini avec le cadre du récit, les instants qui suivent cette rencontre insolite sont aussi très significatifs : après la multiplication des pains, nous découvrons un Jésus qui guérit tous ceux qui viennent à lui.
Comment pouvons-nous comprendre ce récit, comment peut-il faire sens, en quoi est-il à propos pour notre thématique choisie ?

Premièrement, le récit laisse apparaître que la confiance est quelque chose de très fragile, voire d'éphémère. La vie peut nous faire passer en très peu de temps d'une confiance totale, vers un état de peur, d'angoisse et désorientation. Des expériences de ce type sont légion. L'annonce d'une maladie grave, une rupture affective inattendue, un licenciement : d'un coup tout peut basculer. C'est en substance l'expérience que faisaient alors les disciples en mer. La confiance n'est donc de loin pas un acquis : c'est une disposition qui nécessite une continuelle réappropriation.
La confiance est d'autant plus fragile, c'est le second aspect que nous apporte ce récit, qu'elle se fonde en priorité sur le seul vécu. Certes, l'on peut ressentir le besoin d'un vécu fort, d'expériences fortes, qui donnent à chacun un sentiment de confiance, mais ces instants, toujours passagers, ne sauraient à eux seuls procurer une confiance durable. D'autres expériences se chargeront très vite de nous faire basculer.
Si je veux donner un exemple, j'en citerai volontiers un dans la sphère de la vie spirituelle. Combien sommes-nous à chercher des lieux et des occasions, parfois dans une parfaite intimité, parfois au milieu d' une foule d'adeptes, qui sont censés nourrir notre confiance en Dieu, nous faire vibrer la présence divine, ou nous ôter nos dernières hésitations. Et parfois ça marche ! Et quel bonheur cela nous procure, et surtout quelle confiance avons-nous alors en notre Seigneur vivant !
Et puis, peu de temps après les choses se transforment en tourmente et angoisse, et c'est le désarroi, la chute. Pour moi, par-delà cet exemple presque anecdotique, l'expérience des disciples nous indique que la confiance ne se construit pas à partir de telle ou telle expérience, fût-elle grandiose et prodigieuse ! A elle seule elle ne saurait procurer une confiance durable.

Jusqu'à maintenant, je n'ai fait qu'esquisser des pistes de compréhensions par la négative, à savoir la fragilité de la confiance, et le danger d'avoir comme unique fondement l'expérience forte. Est-ce possible de donner une lecture positive ? Je crois que oui.
Le récit de cette expérience se clôt sur une curieuse, mais non moins significative, parole. L'évangéliste, pour expliquer les raisons de la panique des disciples, relate ceci : «Ils n'avaient rien compris à l'affaire des pains, leur cœur était endurci.»
Apparemment, Marc met en lien la peur des disciples avec leur incapacité de comprendre réellement ce qui s'était passé lors de la multiplication des pains. Parmi les évangélistes qui ont relaté cet événement, il est d'ailleurs le seul à le faire. Confiance et mécompréhension, confiance et endurcissement du cœur, voilà une mise en tension intéressante. La compréhension des événements est du reste un thème important dans cet évangile de Marc. Qu'est-ce que cela pourrait signifier pour la confiance?
Personnellement, je vois un lien entre la confiance et la capacité, l'aptitude ou la possibilité de lire nos expériences, de les interpréter, de leur donner sens. La confiance se construit au fur et à mesure que je suis à même d'interpréter et de comprendre les expériences que je fais, qu'elles soient positives ou négatives, et de les leur donner une orientation.

L'expérience, le vécu sont donc une chose. Mais ce n'est qu'à partir du moment où, dans un geste second, je me livre à un exercice d'interprétation et de compréhension que je commence à construire ma confiance : en moi-même, aux autres, à Dieu. C'est ainsi que je comprends le lien entre la tempête extérieure et intérieure des disciples, et le manque de compréhension de l'expérience précédente.
Confiance et compréhension de ce que nous vivons, sur le plan social, affectif et spirituel, voilà un lien fort que je voulais vous proposer. C'est une tâche dont personne ne peut se soustraire. L'évangile, le témoignage du Christ, sont certainement des clés de lectures, parmi d'autres, qui nous permettent d'interpréter et de comprendre nos expériences quotidiennes, de leur donner une orientation et un sens, et qui nous permettent de construire et de nourrir notre confiance relationnelle, sociale et spirituelle.
Que Dieu nous accompagne sur ce passionnant, mais aussi laborieux chemin de la vie !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Henri-François Vellut
Musique
Flûte traversière : Olivier Jean-Petit-Matile