Ah si je voulais me vanter ! Pensez, après 23 ans passés dans cette paroisse ! " Ah si je voulais me vanter ", dit l'apôtre Paul. Pensez, il a fondé combien d'églises (il faut bien avouer que Paul en a fait un peu plus que moi !). Ah si je voulais me vanter, je pourrais le faire, mais je m'en abstiens pour qu'on n'ait pas de moi une opinion supérieure à ce que l'on voit de moi ou à ce que l'on m'entend dire. En opposition, les deux " frangins " n'étaient pas peu gonflés en allant vers Jésus pour lui demander que l'un siège à sa droite et que l'autre siège à sa gauche dans son Royaume.
Deux styles, deux manières d'envisager ce qu'on appelle le Pouvoir. Le pouvoir qui nous est donné en tant que prédicateur, en tant que pasteur, notre responsabilité d'être porte-parole de l'enseignement de Jésus et d'être disciple (comme tous nous essayons de l'être).
Et je ne sais pas si durant ces 23 années de ministère à Leysin j'ai plutôt ressemblé à l'humilité de l'apôtre Paul, ou si, parfois ou souvent, j'étais plutôt du côté des fils de Zébédée. Peut-être que la vérité est de dire que j'ai été un peu des deux !
Car c'est vrai que je me sens parfois dans l'esprit de l'apôtre Paul quand, par exemple, il m'a fallu postuler, à l'instar de tous mes collègues pasteurs de l'Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud, à un ou des nouveaux postes, et que, bêtement, je l'ai fait en présentant un simple petit dossier, tout simple, sans prétention, dans lequel je ne cherchais pas trop à me vanter ou à me faire vanter par des lettres de recommandation dithyrambiques. Le résultat, c'est que sur trois postulations, une seule a marché ! De telle sorte que, n'ayant su me vanter, n'ayant su me présenter, je n'ai pas su, pour reprendre le jargon en usage dans le monde du travail, me vendre. Peut-être que si j'avais été un peu plus " gonflé " cela aurait mieux marché !
Et pourtant je me sens quand même parfois dans la peau des frères Jacques et Jean quand, par exemple, dans ce village, le notable que je m'imagine être parce que, en tant que pasteur, je me crois être cette autorité religieuse comme on se plaît à nous qualifier dans les discours de cantines et que l'on m'a oublié dans les listes d'invitation lors de certaines manifestations. Je me rappelle en particulier, il y a quelques années, lorsqu'on avait accueilli à Leysin Sylvio Giobellina après sa médaille de bronze en bob à quatre aux jeux olympiques de Sarajevo, les responsables de la Commune de l'époque (qui étaient d'autres municipaux que ceux qui sont en charge actuellement, de telle sorte que ceux qui sont là aujourd'hui dans ce Temple ne se sentiront pas concernés !), avaient invité le ban et l'arrière-ban de tous les notables et de tout ce qui compte dans notre canton : préfet, syndics des communes avoisinantes, députés au Grand Conseil Vaudois, etc., même le chef des pompiers était présent (et tant mieux pour lui). Mais en regardant défiler toutes ces personnalités, alors que j'étais là au bord de la route, je me suis dit : " Mais dis donc, ni le curé ni le pasteur, n'ont été conviés à la fête !". Alors je m'étais permis d'écrire à la Municipalité pour faire part de mon étonnement, moi qui avais été ainsi blessé dans mon honneur de pasteur de la Commune de Leysin, moi qui n'avais pas été reconnu dans ma fonction que je croyais si importante.
Et j'ai reçu alors une très gentille lettre, que j'ai gardée, et dans laquelle on me répondait en substance regretter ne pas avoir pensé à moi, en même temps qu'on affirmait, dans la phrase suivante, que c'était là un choix que la Municipalité avait fait !
Oui l'humour ! L'humour involontaire de cette lettre ! Mais aussi cet humour qui sauve justement, parce qu'il me remettait à ma place en m'amenant à me dire que je restais un " petit " pasteur, et que c'était tant mieux ! Parce que ce jour-là on n'avait pas besoin de moi ! Qu'il y avait déjà suffisamment de monde pour prendre les premières places, à gauche ou à droite, et que je n'avais pas à entrer dans le cercle de ceux qui doivent jouer des coudes. Mais le jour où les gens souffrent, ce n'est pas vers les notables qu'ils se tournent, mais bien plutôt vers les " petits " pasteurs. Ainsi, par cette lettre à l'humour involontaire, j'avais été remis à ma " juste " place.
Et c'est pourquoi je crois que l'humour, c'est bien ce qui nous sauve, c'est ce qui nous permet de survivre, de tenir le coup quand parfois on se croit quelqu'un et que, tout à coup, on tombe de ce piédestal sur lequel on s'était juché, et qu'à cause de cela on en vient à être déçu, fâché, en colère contre cela ou ceux-là qui nous ont fait tomber : " Qu'est-ce que c'est ces gens qui m'ont oublié pour le cortège du médaillé olympique ! ".
L'humour qui nous remet à notre juste place : oui j'ai du pouvoir, oui j'ai une responsabilité et un rôle à jouer en tant que pasteur, et tous nous avons des responsabilités et des rôles à jouer dans la vie, mais le danger et le risque, c'est quand on se prend au sérieux dans ces responsabilités et ces rôles qui nous sont confiés. Beaucoup trop au sérieux ! A titre d'exemple, dans la culture germanique on est tous des Docteurs en quelque chose, et moi je suis seulement pasteur. Mais qu'importent les titres, tant qu'on ne se prend pas au sérieux.
Mais pourquoi ? Pourquoi ces pouvoirs que l'on a et pour lesquels on se prend au jeu de la sériosité risquent de se retourner contre nous et de nous blesser l'âme, quand ils se trouvent ne pas ou ne plus être reconnus par les autres. Oui, où sommes-nous touchés, là au plus profond de notre être, à ces moments-là ? Où ai-je été personnellement atteint quand je me suis aperçu, au bord du trottoir, en regardant défiler les notables, et que j'ai constaté que j'étais parmi le " peuple ", parmi la masse des anonymes qui applaudissaient les autres (alors que j'aurais bien voulu avoir aussi une part de cette gloire) ? Oui qu'est-ce qui était touché en moi ?
N'était-ce pas ce besoin, cette soif d'être reconnu ? Un besoin et une soif qui est d'autant plus forte que je manque de confiance en moi, que je doute de moi, que je ne suis pas certain de ma valeur profonde, que ce soit quant à mon être même ou que ce soit quant à mon rôle de pasteur (de mon utilité de pasteur), de telle sorte que me voici entraîné dans une sorte de désespoir et d'angoisse de n'être que cela. Alors que dans mes fantasmes et mes rêves les plus fous, je m'imagine devenir, un jour, je ne sais pas, peut-être une sorte de Pape ou d'Evêque. Donc arriver à une place, à un rôle parmi les premiers : comme Jacques et Jean, à gauche ou à droite, c'est égal laquelle, mais tout en haut.
Oui un manque de foi, un manque de confiance. Mais, allons encore plus loin en nous demandant alors d'où nous vient ce manque de foi, ce manque de confiance quant à sa valeur propre ? Et là il nous faut aller encore un petit peu plus profond en soi, pour rencontrer ce qu'il nous faut bien appeler un sentiment diffus de culpabilité.
Car souvent on imagine que l'humour ne nous sauve que par rapport aux choses extérieures, à ce qui nous arrive dans la vie, quand, par exemple, on est confronté à une maladie ou à un deuil, quand les choses ne se passent pas comme on voudrait. Ce peut être même l'humour du désespoir, cet humour qui sauve parce qu'il est le seul à nous permettre de tenir le coup dans les pires situations. Du temps des pays communistes, un livre avait été publié avec pour titre " Le Communisme est-il soluble dans l'alcool ? ". Ce livre recueillait toutes les histoires qui circulaient parmi la population de ces pays. Ainsi par exemple, on disait que le Jardin d'Eden se trouvait en URRS parce qu'on leur disait tout le temps que c'était le paradis et que, surtout, personne n'avait rien à se mettre (tant la pénurie de tout était un phénomène constant). Oui l'humour qui sauve, qui permet de tenir le coup dans des situations que l'on ne peut pas changer.
Mais j'aimerais ce matin nous permettre de voir que l'humour peut aussi nous permettre de nous sauver de nos propres culpabilités, ces culpabilités dont j'ai dit tout à l'heure qu'elles étaient peut-être le fondement de nos besoins de reconnaissance. Ces culpabilités qui nous assaillent parce que peut-être on n'a pas su ou pu répondre aux attentes des autres.
Durant ces 23 années passées comme pasteur de Leysin, il est plus qu'évident que je n'ai pas été le pasteur parfait, que je n'ai pas réussi à tout faire, que je n'ai pas répondu aux attentes de tout le monde. Je suis bien conscient que souvent je ne correspondais pas aux images que certaines personnes se faisaient du pasteur, du rôle et des comportements que je devais avoir. Davantage, je me suis " planté " magistralement bien des fois, quand, par exemple, je n'ai pas su entendre certaines souffrances et que j'ai jugé sans savoir. En particulier au début de mon ministère où je n'ai pas su toujours commencer par écouter. Et aujourd'hui encore je me dis que dans telle ou telle situation, j'ai manqué le coche.
Alors je me suis mis à douter de moi, douter de mes compétences. C'est pourquoi je me suis obligé à me former toujours davantage. Mais en même temps, et peut-être pour compenser mes sentiments de culpabilités, j'avais encore plus besoin que l'on me félicite par ailleurs. Que l'on me dise et me montre que j'étais quand même un bon pasteur, qu'on me félicite, voire même qu'on me dise que j'étais un pasteur génial ! Ce que justement les autorités Municipales de l'époque ne faisaient pas, puisqu'en me laissant sur le bord du trottoir, elles ne me permettaient pas d'accéder à la valeur des notables.
Or c'est justement là que l'humour vient me sauver ! Mais alors comment, sinon en venant briser en moi ces images idéales que l'on se fait de soi et des rôles que l'on doit remplir : du pasteur parfait, de l'époux parfait, du père parfait, du citoyen parfait. Et je rajouterai, même de l'enfant parfait que j'aurais dû être pour mes parents !
Car vous vous représentez, si on était parfait, ce serait insupportable ! Si, par exemple, pour mes enfants qui sont là aujourd'hui, j'avais été pour eux un père parfait, ce serait insupportable pour eux. Parce qu'alors ils ne pourraient rien me reprocher, ils ne pourraient faire aucune critique et, par conséquent, ils ne pourraient qu'échouer dans leur vie, puisqu'ils ne pourraient même pas avoir ce challenge d'être un petit peu mieux que moi ! Or le fait de pouvoir être critique vis-à-vis de ses parents est essentiel, parce que ce n'est qu'alors que l'on peut prendre cette distance si nécessaire pour devenir soi, c'est-à-dire autre, différent, que son père ou sa mère, en faisant ses propres choix et en suivant ses propres chemins. Oui, je me dis : tant mieux si, comme père, j'ai été imparfait.
Davantage, tant mieux si, en tant que pasteur, durant ces 23 ans j'ai aussi été imparfait. Parce que sinon, durant toutes ces années, je n'aurais jamais eu à bouger, je n'aurais jamais eu le besoin d'apprendre constamment pour me remettre en cause et évoluer. Or aujourd'hui, force m'est de constater que je ne suis plus la même personne, que je ne suis plus le même personnage, que je n'habite plus mon ministère comme lorsque je suis arrivé ici à mes débuts. Il y a là, aujourd'hui, des anciens membres du Conseil de paroisse qui m'avait élu à l'époque. Ils doivent certainement sourire en repensant au tout jeune pasteur, frais émoulu de ses études, qui voulait expliquer aux gens ce qu'il fallait croire. Non pas que j'étais un personnage prétentieux, mais quand on sort de l'Université, on s'imagine avoir tout compris... ce que seule la vie peut peut-être vous faire comprendre.
Et c'est pourquoi l'humour est si important pour nous sauver, nous libérer, de toutes nos culpabilités en nous obligeant à prendre de la distance avec nos prétentions idéalistes à pouvoir faire le Bien et pouvoir être Juste. Davantage, à vouloir prétendre sinon atteindre ces idéaux, du moins à chercher à y tendre, car c'est bien ce que l'on prétend puisqu'on se sent coupable, et d'une culpabilité insupportable qu'il faut compenser quand on n'y arrive pas ! N’est-ce pas là une marque d'orgueil ? Oui quel orgueil de se sentir responsable de tout ! Quel orgueil de penser que tout dépend de nous, ou que l'on doit répondre à toutes les attentes des autres, ou que l'on peut atteindre la perfection vis-à-vis de soi et des autres !
Oui, nous devons voir que dans tous nos sentiments de culpabilités il y a une dimension souvent cachée qui s'appelle l'orgueil ! Toutes les fois que nous nous sentons coupables, et peut-être que souvent il y a de bonnes raisons pour que nous nous sentions coupables, alors qu'au moins nous apprenions la distance de l'humour pour ne pas nous prendre au sérieux dans cette culpabilité. Mieux, sachons mettre aux orties cette culpabilité, elle qui trop souvent nous empêche de vivre et, surtout, nous empêche de grandir, de changer ou de nous améliorer.
Oui sachons reconnaître que nous avons commis des fautes, que nous avons fait des erreurs, mais en même temps sachons rire de nous qui avons été imparfaits. Luther disait à son compagnon Melanchthon : " Pèche joyeusement, mais crois encore plus joyeusement ! ". Car c'est cela l'essentiel : croire que Dieu est celui qui m'accueille dans mon imperfection.
Et l'humour, c'est ce qui nous permet de reconnaître, sans en désespérer, que nous ne serons jamais au Top Ten, des champions olympiques de la perfection. Il n'y en avait qu'un qui, ce jour-là, avait la médaille : c'était Sylvio Giobellina, tous les autres, et moi le premier, nous ne pouvions que rester dans son ombre.
Oui l'humour ! C'est à entrer dans cet humour que j'avais envie de vous inviter à l'occasion de ce dernier culte. Comme une sorte de mot d'ordre pour l'avenir et qui nous fasse du bien à tous. Vivre, cultiver l'humour. Je crois l'avoir fait avec vous tout au long de ces 23 années passées à Leysin. C'est cet humour que la vie, et Dieu, car la vie et Dieu ne font qu'un, c'est cet humour que vous m'avez aussi appris. Cet humour qui me sauve quand je me sens coupable ou que je doute de moi parce que je n'ai pas su être à la hauteur de mes responsabilités.
En introduction à ce culte, le journaliste de la Radio Suisse Romande, rappelait cette béatitude moderne : " Bienheureux ceux qui savent rire d'eux-mêmes, ils n'ont pas fini de s'amuser. ". C'est ce bonheur là que je vous souhaite. Et puis, tout à l'heure, en commençant cette prédication, j'avais commencé par dire que, parfois, je pensais partager l'esprit d'humilité de l'apôtre Paul et que, quand il avait fallu postuler à de nouveaux postes dans le cadre du grand chambardement que vivait l'EERV, sur trois postulations, seule une m'avait été favorable (et encore c'était un poste à 50 %), alors, pour finir, je voudrais essayer à nouveau de me " vendre " un peu.
Mais comme je suis conscient qu'après 23 ans je suis devenu un pasteur plutôt du genre " usagé " et qu'en plus, avec mes 50 ans révolus, je commence à entrer dans le groupe des personnes qu'on n'a pas trop envie d'embaucher, alors, et avec une petite touche d'autodérision, si je me conforme aux règles modernes du marketing, je vais essayer de me vendre, mais plutôt au rayon (à ce moment, je sors un sac plastique d'un grand magasin où l'on peut lire, en gros et avec un point d'exclamation : " SOLDES ") de ce qu'on appelle les soldes !
Amen !