" Alpenruhe ", " repos alpestre " : comme on peut le voir écrit ici ou là sur un chalet ou un hôtel. Si vous vous promenez dans ces vallées des Alpes d'ici ou d'ailleurs, vous serez peut-être émerveillés par la tranquillité : on entend de loin la rumeur d'une sonnaille, le clocher du village, quelques bourdonnements parfois nous arrivent de la plaine comme pour mieux nous rappeler le calme et la chance qu'on a de pouvoir l'apprécier.
Bon, ça, c'est pour la carte postale ! et chacun de nous pour l'avoir vécu sait que ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, dans cette même chapelle il y a juste quelques mois, nous célébrions le culte en plein Lothar, en plein ouragan, et nous étions là quelques-uns à la bougie, comme tapis dans notre petite église, et les vents arrachaient les arbres, découvraient les granges, détruisaient même des maisons, le pin juste à l'extérieur, ce haut pin de dix ou douze mètres s'est écroulé juste à deux mètres de la chapelle pendant le culte.
La tempête, quand elle souffle ce n'est plus le calme paisible d'une eau de montagne ou la tranquillité d'un alpage. En rencontrant la semaine dernière l'une ou l'autre d'entre vous, j'ai demandé comment on avait vécu ici la tempête. J'ai ainsi noté sur un bout de papier quelques mots qui m'ont frappé et qui reviennent comme cela à l'esprit spontanément plusieurs mois plus tard.
" On était en train de fêter Noël en famille, j'ai eu peur. " " Comment on réagit ? Eh bien, je crois qu'on regarde, comme dans une attitude d'attente, et puis soudain, c'est le toit qui est arraché et ça a coulé. " Quelques mots qui en disent long : reprenons-les ! " On était en train de fêter Noël en famille. " C'était le 26 décembre; la tempête, c'est l'émergence du chaos originel ! Elle vient rompre tout d'un coup la quiétude et la joie de la famille, elle surprend, elle démonte l'ordre habituel, elle brise nos projets. Elle vient en contraste à la sérénité de la fête. Lorsqu'une tempête nous agresse, elle vient quasiment sans crier gare. " La tempête a arraché des toitures, soit de granges, soit de maisons, et ça coule ", me disait-elle. Alors qu'on s'apprêtait à fêter bien au chaud, calfeutré près du fourneau qui crépite voilà que tout d'un coup le chaos pénètre dans notre intérieur, vient violer littéralement nos sécurités. Tout vient à l'eau, la tempête nous met à nu. Et je pense à ces familles qui plus qu'une grange ont perdu leur chalet tout entier et qui ont dû quitter la maison désolée aussi vite que possible.
Et je pense aussi à d'autres tempêtes de la vie ! " Enfin ", nous disait cette personne " la tempête on la regarde, on l'observe, on a peur, on se tapit dans un coin pour échapper, en espérant que ça va passer. Et tout à coup, c'est nous que cela concerne. " On passe de l'état de spectateur à celui qui subit, celui qui est visé par la tourmente. Et c'est un véritable traumatisme, qui peut laisser des séquelles : cauchemars, angoisses, dépression. Il y alors besoin d'en parler, d'être écouté, de vider son sac, en plus bien sûr de recevoir le secours immédiat et le réconfort de l'amitié des siens.
Mais cette tempête, c'est une parabole des tempêtes de la vie, des crises de vie, des moments où pour nous les éléments, les événements s'acharnent. Je pense à celui qui perd son travail et cela arrive encore, malgré la reprise, je pense à celui dont la vie de couple ou de famille est brisée, je pense aux malades bien sûr, dont la maladie arrive sans crier gare, vient briser la sérénité de la fête de la vie, je pense aux gens qui traversent le deuil, la déchirure.
Mais de manière même moins grave, c'est la famille dont les enfants grandissent, s'en vont et c'est tout d'un coup une grande tempête à affronter, tempête des émotions, des changements, il y a beaucoup de tornades qui nous surprennent dans la vie et à un moment donné on ne peut simplement les regarder de loin, on est concerné directement. Dans chaque vie, il y a ces contrastes entre le calme et la tempête. Et personne ne sait vraiment comment il sortira d'une vraie tempête.
La tempête, c'est tout le contraire du psaume 23, psaume des pâturages et de la quiétude : " Il me conduit au calme près de l'eau, il restaure mon âme ! " Et il ne suffit pas de dire : Voilà Dieu pourvoit, Dieu ne m'évite pas les tempêtes. J'aime bien ce texte du livre des Actes des apôtres qui raconte la tempête que subit le bateau de Paul, car ce texte est profondément chargé de vérité spirituelle et humaine.
Voilà l'apôtre, en juste chrétien, embarqué contre son gré, dans le bateau du monde, de ses persécuteurs : c'est le symbole du chrétien engagé dans les luttes du monde, luttes que parfois il voudrait éviter. Qu'on le veuille ou non être chrétien c'est être embarqué avec le monde, avec ses projets, ses objectifs, et ses tempêtes. Nous sommes ainsi engagés dans toutes sortes de projets, nous avons des buts, des rêves, et nous avançons dans la vie, sans crainte, une légère brise nous porte en avant. Et on avance paisiblement, sûr de nos compétences, sûr de notre fait.
Mais soudain, brusquement sans crier gare, un vent violent descend des montagnes de l'île. Et on la reconnaît bien cette tempête qui surprend, qui violente, qui nous entraîne au loin, qui nous perd, comme le bateau de Paul. Et chacun alors de mettre du sien, pour jouer les pompiers, à grand peine on prépare les canots de sauvetage, on lutte contre les éléments. Et on commence à perdre ce qui nous est précieux, on doit se séparer de notre cargaison, la jeter à la mer, comme le font les marins du récit - la tempête dénude. Jusqu'à ne plus savoir ni le jour, ni la nuit, ni qui on est, ni où on va, ni si on va s'en sortir, jusqu'à n'avoir plus qu'une chose qui compte : le salut de la vie, de l'âme, jusqu'à se retrouver face à la vérité de nous-mêmes !
Quelqu'un disait à la suite d'un divorce : " Je me sentais comme un arbre évidé de son cœur, arraché, à terre, dont la sève circulait dans sa seule écorce et dont les racines reposaient sur le sol en attente d'une nouvelle terre. Ce deuil remettait en cause l'essentiel de ce qu'avait été ma vie jusqu'à lors ! " Les tempêtes de la vie, qu’elles soient de vent ou de ruptures, ou de maladies ou de deuil, toutes ces tempêtes, nous arrachent, nous enlèvent jusqu'à la moindre sécurité, nous défont de nous-mêmes. Et c'est vraiment comme par miracle que peut-être, par la grâce de Dieu, on devient malgré tout capable d'entendre la parole de l'apôtre qui proclame : " Prenez courage car aucun de vous ne perdra la vie, le bateau seul sera perdu. " C'est vraiment par grâce, par miracle que l'on peut reconnaître cette présence invisible de Dieu lorsqu'au milieu de la tempête, un homme marche comme si de rien n'était sur l'eau pour nous faire accoster sur la bonne rive. Et la même parole de Jésus résonne dans le texte de l'Evangile : " N'ayez pas peur ! " Mais avant ce miracle-là, eh bien la tempête nous bouscule, nous harcèle et personne, pas même l'apôtre Paul, n'est à l'abri. Elle et une irruption du chaos.
L'expérience de la tempête met en évidence nos véritables besoins, besoins de sécurité, de calme, besoins de la chaleur de la famille, chaleur d'un abri, besoins d'une vie qui a ses régularités et qui n'est pas continuellement agressée. Personne ne nous demande d'être assez fort pour ne pas en avoir besoin, au contraire. Dieu désire cela pour nous (c'est le sens du psaume du berger). En contrecarrant nos plans, en intervenant dans nos fêtes, en bousculant notre joie familiale, la tempête ne fait que souligner l'importance de tout cela, elle nous en rend plus conscients.
Les tempêtes sont des manifestations du chaos, qui tout d'un coup sans qu'on sache vraiment pourquoi et comment fait irruption dans la création de Dieu. Chaos de nos sécurités, chaos de notre humanité, chaos psychologique et spirituel. Besoin de salut ! Les tempêtes de la vie, quelles qu'elles soient, nous obligent à rechercher de l'aide, à crier au secours, à parler à d'autres, à faire face à la peur ou à l'angoisse.
Je rêve que notre Eglise sache, comme Paul l'a fait, " être avec " dans la tempête, être capable d'écoute et de partage, cette écoute et ce partage ce " être avec ", c'est cela je crois qui peut aider le plus. C'est cet " être avec ", sans théorie ni jugement, qui permet à l'autre de ne pas perdre tout à fait pied dans sa tempête de vie, d'être et d'entendre finalement cette parole du Christ qui nous rejoint et qui dit : " Prenez courage, n'ayez pas peur, c'est moi, vous n'êtes pas seuls ! "
Amen !