Un juif pieux lisait cette parole dans un livre saint : " Dieu protège les sots. " Il pensait : " Est-ce que tout le monde ne dit pas que je suis un âne ? Dieu protège les sots… Je vais pouvoir vérifier immédiatement ce qu'il en est. " Et il saute par la fenêtre. Maintenant, il est étendu par terre, avec une jambe cassée ; il gémit, il se dit : " J'ai toujours su que je n'étais pas un sot. Mais que je sois aussi intelligent, cela, je ne le savais pas. "
Chers amis - réunis dans cette église ou présents sur les ondes - j'ai choisi de vous entraîner dans une réflexion sur la sagesse : elle n'est pas seulement un objectif de formation pour le Centre dont nous célébrons l'anniversaire, elle est une valeur très présente dans la Bible, proposée à chacun d'entre nous. Mais il est vrai qu'elle ne correspond pas exactement au discours dominant, qui répercute surtout le désir de maîtrise de l'homme sur lui-même et sur la réalité. Vous le savez, dans notre société, il ne s'agit pas d'avoir de la sagesse, mais d'être performant, efficace, rapide; il s'agit de faire face à la complexité; il s'agit surtout d'acquérir les techniques et les savoirs les plus actuels, pour se maintenir dans la compétition d'extension mondiale qui sévit… et faire du profit. Dans ce bruyant concert, la sagesse détone.
D'autre part, cette notion de sagesse, que je vous propose de reprendre, présente beaucoup d'ambiguïté. Est-ce un héritage, la somme des richesses culturelles du monde; est-ce une recherche religieuse et philosophique humaine ? La sagesse, n'est-ce pas un mot rempli de prétention ! L'apôtre Paul a débattu de ce sujet avec beaucoup de feu, avec ses lecteurs de Corinthe. Il n'était pas dupe. Dans le chapitre qui précède notre texte, il montre avec passion qu'avec toute leur sagesse, les hommes n'ont pas su reconnaître Dieu, n'ont pas accueilli le Christ, mais l'ont au contraire rejeté et crucifié. De fait, la croix de Jésus condamne cette prétendue sagesse comme une folie. Et il continue en affirmant - c'est une formule superbe, que " la folie de Dieu est plus sage que les hommes, que sa faiblesse est plus forte que les hommes. " Paul sait que ce que la sagesse des hommes cache d'orgueil, de mépris, d'obstination. Plus les hommes se prétendent sages, plus ils veulent se passer de Dieu.
Enfin, quand nous balayons du regard la surface de notre planète, nous constatons des résultats mitigés : en termes de justice, de paix, d'unité, de bonheur, aucune sagesse ne semble avoir su s'imposer.
Ce qui nous surprend, c'est qu'au lieu d'abandonner cette notion de sagesse pour passer à autre chose, Paul la remet brusquement au milieu du tapis. " C'est bien une sagesse que nous enseignons aux chrétiens adultes ", écrit l'apôtre. Il n'hésite donc pas à reprendre ce terme ou cette valeur qu'il a si fortement critiquée. Il faut croire qu'il lui a trouvé quelque validité, quelque utilité. Essayons donc de suivre sa pensée.
La sagesse dont il veut parler se rapporte à l'action de Dieu dans le monde. Sagesse mystérieuse, qui ne peut venir que de Dieu même, et qui est restée longtemps cachée en lui. " Aucun des princes de ce monde ne l'a connue ", écrit l'apôtre. Elle est " ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme. " La première chose que nous avons à faire, c'est d'avouer que cette sagesse n'est pas en notre pouvoir, que, d'emblée, nous ne l'avons pas.
Sinon, nous serions plus au clair sur le sens de notre vie, sur notre manière de nous comporter, sur notre façon de travailler; nous saurions mieux orienter nos engagements, nous ne serions pas aussi indécis. Nous serions plus déterminés face à l'injustice, à la violence, aux forces de mal qui se développent devant nos yeux.
Cependant, dans un second temps, entendons ce que l'apôtre affirme avec audace : la sagesse, qui vient de Dieu, nous est révélée par l'Esprit. Quand il est présent, cet Esprit nous donne de comprendre jusqu'aux profondeurs de Dieu, de connaître les dons de sa grâce. Une intelligence spirituelle qui ne peut s'enseigner qu'en termes spirituels à des spirituels. Quelque chose que bien des personnes considèrent comme une folie inacceptable. Mais, tranche l'apôtre, ceux qui ont reçu l'Esprit qui vient de Dieu savent de quoi ils parlent.
Nous atteignons ici un point délicat, car Paul semble diviser les chrétiens en deux catégories, les ordinaires et les avancés. Et faisant allusion à ces derniers, il s'écrie : " Nous, nous avons l'Esprit du Christ. " Nous ! Faisons-nous partie de ce " nous " ? Sommes-nous de ceux que l'Esprit visite, pour répercuter quelque chose de la sagesse de Dieu ? En faisant cette distinction entre deux stades de la vie chrétienne, je suis persuadé que Paul ne veut pas désunir, mais qu'il nous adresse une pressante invitation à saisir une possibilité que nous n'avons peut-être pas assez prise au sérieux : recevoir une lumière, un éclairage spirituel plus intense concernant notre existence.
Nous pouvons être convaincus, connaissant Paul, qu'il n'a rien d'autre en vue que l'Évangile de Jésus-Christ : c'est le récit que nous avons entendu dès notre jeune âge, qui commence avec le Dieu de l'Ancienne Alliance, qui continue avec la vie de Jésus-Christ, sa mort, sa résurrection, et qui aboutit à l'appel à la foi. Mais, dans ce passage, il présente l'Évangile comme sagesse, non comme une doctrine, des dogmes, un catéchisme, mais comme un éclairage, un dévoilement, une clé de compréhension, une sonde qui nous fait toucher le cœur de l'existence. Nous pourrions parler ici de la naissance de la spiritualité dans la vie des croyants. Cependant, la spiritualité peut être interprétée facilement comme un mouvement de fuite hors du monde, et dans l'histoire il en a souvent été ainsi. La spiritualité a souvent incarné un mouvement montant vers le ciel, et, parfois, il en est encore ainsi aujourd'hui. Tandis que la sagesse, dans la Bible, est quelque chose qui descend sur les hommes, sur la terre; elle n'a pas d'autre but que de s'ancrer profondément dans toutes les dimensions de notre existence.
Cette sagesse vient rencontrer et interpeller nos sagesses humaines. Elle vient les critiquer quand elles se ferment sur elles-mêmes et se posent en valeur absolue. Elle dévoile leur démence, quand elles font dans la démesure. De façon positive, elle les oblige, dans le même mouvement, à se recadrer et à se dépasser. Paul ne donnerait pas à l'Évangile ce nom de " sagesse " s'il n'y avait pas cette rencontre avec nos propres essais, tentatives plus ou moins réussies ou avortées, de donner sens à notre vie. Cette rencontre, qui est confrontation et dialogue, doit nous intéresser au plus haut degré !
Nous avons besoin que se réalise cette rencontre de l'Évangile comme sagesse avec les éléments de sagesse humaine qui expliquent la psyché humaine, le fonctionnement de notre société, les mouvements de la terre ou du cosmos. Un Centre de rencontre tel celui de Sornetan a pour but de faciliter cette confrontation. Elle est désirée par tous, je crois, car, finalement, personne ne vit d'équations ou de frigidaire (comme disait Saint-Exupéry) ou de comptes en banque. Ce dialogue doit aussi se vivre dans nos paroisses, dans nos maisons. Luther disait que spirituellement, dans l'ordre de la foi, nous sommes tous des prophètes, des prêtres, des rois. Il aurait pu ajouter : des sages. Cependant, restons vigilants et lucides. La croix du Christ reste au cœur de la sagesse évangélique. Le chemin de la sagesse passe par la folie de la croix. C'est en passant par un dépouillement et une contestation permanentes de nos acquis, que nous avançons vers les clartés.
Amen !
Sagesse révélée par l'Esprit
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