"M'aimes-tu ?"

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Après sa résurrection, Jésus est apparu plusieurs fois à ses disciples. Le texte de Jean 21 rapporte l'une de ces apparitions. Notre récit se déroule au bord du Lac de Tibériade, là où les disciples vivaient avant d'être appelés par Jésus. Là où Jésus vécut à Capharnaüm. Là où Jésus a relevé la belle-mère de Pierre. C'est à nouveau là que Simon-Pierre dit : "Je vais pêcher". Pierre retourne à sa barque. Un jour, Pierre avait quitté sa barque et ses filets pour suivre Jésus. Aujourd'hui, il retourne à sa barque. Certes, il n'est pas question ici de contester une partie de pêche. Vous comprenez bien que ce retour à sa barque est d'un autre ordre. Tout comme les disciples d'Emmaüs, Pierre ressasse sans cesse en son cœur : " Nous avions cru que c'est lui, Jésus, qui délivrerait Israël. "
Aujourd'hui, nous parlons de plus en plus des " distancés de l'Eglise ". Tant de personnes ont, un jour, été enthousiasmées par l'évangile. Tant de personnes ont été engagées dans des mouvements de jeunesse comme les unions cadettes ou les unions chrétiennes. Combien ont été enthousiasmés par l'Evangile et, à la suite du Seigneur, se sont engagés au service de l'église locale ou même de la mission. Pleins de feu, ils participaient aux rassemblements de Taizé ou à ceux de la Ligue pour la Lecture de la Bible. Sans regret, ils ont opéré des choix de vie et renoncé à bien des choses pour suivre Jésus. Puis, progressivement ou brusquement, ils sont retournés à leur barque et à leurs filets. Eux aussi, " ils ont cru que… ".
Mais voilà, ils ont été déçus du pasteur. Déçus aussi par certains chrétiens. Ils n'ont pas supporté tel ou tel changement liturgique. Et, pourquoi ne pas le dire, beaucoup ont été déçus de Dieu. Ils avaient cru que le Seigneur guérirait leur maman. Ils avaient cru que le Seigneur sauverait leur enfant, qu'il leur épargnerait le chômage et qu'il allait sauver leur couple. Secrètement, ils pensaient obtenir plus de réussite pour les services rendus au Seigneur et surtout à son église ! Il y a toujours tant de " bonnes raisons " pour reprendre sa barque et ses filets.

Pierre a repris sa barque et ses filets. Lui aussi " avait cru que… " De plus, il est encore ulcéré par son reniement. Si jamais Jésus était vraiment ressuscité, ne serait-il pas, lui l'apôtre Pierre, écarté à jamais de la route de Jésus. Deux fois déjà il a vu Jésus ressuscité, mais le doute est encore là et surtout la peur de le rencontrer. C'est pourquoi il reprend sa barque et ses filets. Quand on retourne à sa barque et à ses filets, bien souvent on n'y retourne pas tout seul. On prend l'initiative et d'autres disent : " Nous venons avec toi. " Nous assistons au mouvement inverse de l'appel des disciples. Au début de l'Evangile de Jean, André dit à Pierre : " Nous avons trouvé le Messie. " Pierre fut conduit vers Jésus qui lui dira ces paroles bouleversantes : " Tu es Simon, fils de Jonas, tu seras appelé Pierre. " Jean 1, 42. Fort de cette parole, Pierre avait laissé sa barque et ses filets pour suivre Jésus.
Trois ans après, il reprend sa barque et ses filets et les autres disciples disent : " Nous allons aussi avec toi. " Lorsque André est allé vers Jésus, il a emmené Pierre avec lui. Par la suite, Pierre a amené tant de personnes à Jésus. Maintenant, au bord du Lac de Galilée, c'est l'inverse. Pierre revient en arrière, il retourne à sa barque et il entraîne les autres avec lui. Le feu comme la tiédeur se communiquent.
" Cette nuit-là, ils ne prirent rien. " L'humidité, le froid et la fatigue viennent encore s'ajouter à leur détresse intérieure, à leur sentiment d'échec et de reniement. Oui, il y a des nuits dans nos vies. Nuits d'angoisse, nuits de douleur physique et morale.
" Cette nuit, ils ne prirent rien. " La détresse et l'angoisse devaient ronger leur âme. Pierre a bien dû se rendre compte qu'il était revenu en arrière, lui qui avait juré qu'il suivrait le Seigneur jusqu'à la mort s'il le fallait. Toute la nuit, Pierre a dû remuer ces pensées dans sa tête et dans son cœur. Pierre avait décidé de laisser pour toujours sa barque et ses filets. Combien Pierre a dû repenser à ces trois années passées avec le Seigneur. Certes, il n'y avait pas eu que des jours faciles, bien sûr. Mais il avait si souvent vu la gloire et la puissance de Dieu. Comment en était-il arrivé là ?

Aux nuits de souffrance s'ajoute souvent la culpabilité. Le célèbre Docteur Paul Tournier, l'un des fondateurs de la médecine de la personne a écrit le livre " Vraie ou fausse culpabilité ". Au cours des nuits de souffrance et de stérilité qui suivent les retours à la barque et aux filets, comme il est difficile de discerner entre vraie et fausse culpabilité. Pourtant, après cette nuit, il y a eut un matin. Quelle grâce pour les matins de Dieu qui suivent nos nuits stériles et angoissantes. Après nos nuits de souffrance, quelles qu'en soient les causes, il y a un matin de Dieu. Après la nuit, il y a un matin où le Seigneur se tient sur le rivage de nos souffrances.
Le matin venu, Jésus se trouvait sur le rivage. Cependant, les disciples ne le reconnurent pas. Tant de fois, nous ne reconnaissons pas la présence de Dieu. Tant de fois, nous nous sentons abandonnés par Dieu. Tant de fois nous voyons de nos yeux, nous entendons de nos oreilles et pourtant nous ne reconnaissons pas le Seigneur. Tant de fois, tenaillés par nos souffrances, nos questions, nos révoltes, nos reniements, nos alternances entre vraie et fausse culpabilité, nous sommes incapables de reconnaître le Seigneur qui se tient si près de nous. Les disciples n'étaient qu'à cent mètres du rivage.
Soudain, portée par l'eau, il y a eu cette interpellation. " Enfants, n'avez-vous rien à manger ? ". Jésus aurait pu dire tant d'autres choses. " Ça devait arriver ! " " Vous ne comprenez toujours pas ? " Ou même le fameux " Ouais ! "
Quel amour ! L'amour d'un Seigneur qui voit ses enfants dans la souffrance, qui voit ses enfants affamés - et vous comprenez bien de quelle faim il s'agit ici ! Privés volontairement ou non de la Parole de Dieu. Affamés de la présence de Dieu, le Seigneur nous dit encore aujourd'hui : " Enfants, n'avez-vous rien à manger ? " Oh quel amour du Père, du Seigneur qui nous rencontre avec ces paroles si profondes. Dieu lit dans nos cours, il voit les soifs et les faims qui nous habitent.

" Enfants, n'avez-vous rien à manger ? " Les disciples lui répondirent : " Non ! " Tant de personnes disent : " Tout va bien ! " Tant de personnes répondent à la question de Dieu au travers des pasteurs, des évangélistes mais aussi des frères et sœurs en Christ. " Ne ressentez-vous pas le besoin de Dieu dans vos vies ? " " Tout va bien, merci ! " Ou parfois plus directement. " Dieu ! Non merci ! "
Tant de personnes dépensent temps et argent pour combler leur vide intérieur. Séminaires en tous genres, psychotechniques, méditations ésotériques, endoctrinements bizarres, tout est bon pour atteindre la plénitude promise ! Mais le pain vivant descendu du ciel et l'eau vive offerts par Jésus de Nazareth : " Non merci !". Pourquoi ne pas avoir l'humilité de dire d'abord à Dieu - si on ne veut pas le dire à quelqu'un d'autre - " Oui, j'ai faim et soif de ta présence. " Les disciples ont eu le courage de dire : " Non, ça ne va pas. "

Lorsque nous sommes droits avec le Seigneur, il nous parle. " Jetez le filet du côté droit. " Si nous avons faim et soif de Dieu, ne craignons pas ses paroles claires et précises. Nous sommes dans un temps où l'on rejette les impératifs de Dieu ! On n'en veut plus ! Dans la nuit de nos détresses, nous acceptons éventuellement le secours du Seigneur, mais si ce Seigneur nous donne un ordre, alors là nous réagissons. Si nous avions le courage de reconnaître notre faim et notre soif de Dieu, nous aurions peut-être aussi l'humilité d'accepter les ordres du Seigneur. " Jetez le filet. "
Et ce n'est pas tout : " Jetez le filet du côté droit de la barque. " Que le Seigneur nous console et relève notre courage, c'est son ministère. Mais qu'il nous donne des ordres et pire encore, des ordres professionnels; alors, comme entendu souvent : " Il ne faut pas exagérer. " De plus, pour un pêcheur professionnel, jeter le filet le matin; quelle plaisanterie ! Pire encore, le jeter à gauche ou à droite ne devait pas changer grand-chose, surtout depuis une petite barque. " Jetez le filet du côté droit de la barque. " Ils ne savent pas encore que c'est Jésus. Mais, peut-être qu'en eux, quelques souvenirs commencent à se réveiller. Un jour, ils avaient déjà entendu cette parole : " Jetez vos filets. " Ils obéissent sur-le-champ. Obéir à la Parole de Dieu sans même tout comprendre, quelle bénédiction.

Le miracle se produit. Alors l'apôtre Jean ouvre les yeux en premier et s'écrie : " C'est le Seigneur ! " Pierre se rhabille en vitesse et plonge pour arriver le premier sur le rivage. Imaginez la scène ! Pendant que les autres viennent tranquillement au bord en tirant le filet chargé de poissons, Pierre part à la nage. Pierre, je vous l'ai dit, est tenaillé par une question. J'ai déjà vu le Seigneur deux fois, maintenant c'est la troisième fois. Mais quelle est ma relation avec lui ? Voudra-t-il encore de moi qui l'ai trahi trois fois ? Il est tellement ulcéré par cette question qu'il plonge pour gagner du temps.
Lentement, les autres disciples arrivent s'attendant peut-être à trouver Jésus en grande discussion avec Pierre. Non, et je reconnais tellement l'amour de Jésus. Jésus n'entame pas une longue discussion avec eux mais il leur donne à manger. " Venez, mangez ! " Jésus accomplit la parole d'Esaïe 55,1-3 " O vous tous qui avez soif, venez vers les eaux, même celui qui n'a point d'argent ! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer. Pourquoi pesez-vous de l'argent pour ce qui n'est pas du pain ? Pourquoi peinez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc et mangez ce qui est bon, et vous vous délecterez de mets succulents. Tendez l'oreille et venez à moi, écoutez, et votre âme vivra.
Le Seigneur connaît nos besoins. Avant de leur donner à manger cette nourriture que personne ne peut donner, il veut déjà les restaurer parce qu'il a vu leur fatigue. Il a vu qu'ils étaient déçus, transis de froid, fatigués. Alors il a préparé ce repas pour eux. " Venez, mangez. "

Au cours de ce repas, personne n'ose rien dire. Angoissé par l'absence de paroles à son égard, peut-être que Pierre se tient à l'écart. Ni reproches, ni pardon. " Est-ce que Jésus m'a pardonné ? " " Est-ce que c'est possible que Jésus me pardonne après tout ce que j'ai fait ? " Enfin arrive ce dialogue bouleversant d'amour, mais aussi cette question qui pourrait nous engager bien au-delà de ce que nous pouvions imaginer ! " Après qu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : " Simon, fils de Jonas m'aimes-tu? "
Quel choc! Pierre avait préparé toute une série de réponses aux probables questions de Jésus. Il avait certainement l'intention de lui demander pardon. Rien, sinon une seule question : Pierre a répondu trop rapidement : " Tu sais que je t'aime. " Alors Jésus a dû reposer deux fois la question jusqu'à ce que Pierre comprenne que Jésus faisait appel au premier amour dont Jean nous parle en Apocalypse 2, 4. " Simon, fils de Jonas m'aimes-tu ? " Je n'hésite pas un instant pour dire que cette question est la plus importante de toute notre vie. Aujourd'hui, le Seigneur nous pose aussi cette question : " M'aimes-tu ? " Chers paroissiens, chers auditeurs, chers lecteurs, sans précipitation, avez-vous sincèrement répondu à cette question ? Ne voudriez-vous pas le faire maintenant ?

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christophe Haug
Musique
Groupe musical liturgique accompagné par Christophe Haug au piano; Isabelle Joos, flûte traversière; Hélène Blanchoud, clarinette; Luc Coulet, guitare