46. 46 noms, 46 ancêtres de Jésus-Christ selon Matthieu. 46 noms pour dire l'origine de Jésus-Christ. Peut-être avez-vous entendu, parmi toute cette liste, des noms connus. Peut-être avez-vous trouvé certains noms un peu étranges, en tout cas difficiles à prononcer. Peut-être vous êtes-vous laissé bercer par le rythme de cette liste. Peut-être vous êtes-vous profondément ennuyé à la lecture de cette liste ! Peut-être vous êtes-vous laissé distraire à l'évocation d'un nom qui vous a ramené certains souvenirs de récits de l'Ancien Testament.
C'est en tout cas, vous en conviendrez, chers amis, chers auditeurs, une entrée en matière directe pour un début d'évangile qui tranche avec les autres évangiles.
Je peux presque m'imaginer, à la lecture de cette généalogie, assis dans un cinéma, en train de lire distraitement le générique d'un film. Ce générique d'ailleurs n'en finit pas de me donner la liste de tous ceux qui ont participé à sa création. Et tout en me calant dans mon siège, je me réjouis de voir la fin de ce générique pour entrer dans le vif du sujet.
Enfin, après ce long " zoom avant ", on parvient au premier gros plan de l'œuvre, à savoir Jésus-Christ, sans conteste le personnage principal de ce générique, excusez-moi, de cette généalogie !
Je pourrais certainement continuer encore un peu à exploiter cette comparaison générique / généalogie. Sil y a beaucoup de concordance entre ces deux types de listes, il y a aussi de grandes différences ! Un générique est, en général, une liste exhaustive des participants à une œuvre. On mentionne tout le monde, et gare au réalisateur qui oublie le stagiaire du 3e assistant du preneur de son… Une généalogie est une liste d'ancêtres, avec le poids des histoires qu'elle comporte.
Or ici, Matthieu nous livre une généalogie triée, choisie sur le tas. En effet, tous les noms connus par l'Ancien Testament n'apparaissent pas, et il omet pour sa construction quelques générations… Mais cela n'est rien à côté d'un phénomène encore plus étrange : Matthieu ajoute des noms, et pas n'importe lesquels ! Ceux de 4 femmes, étrangères de surcroît, et qui ne sont certainement pas les noms les plus reluisants qu'il pouvait ajouter à cette généalogie. Jugez plutôt : " Judas engendra Pharès et Zara, de Thamar… Salmon engendra Booz, de Rahab, Booz engendra Jobed, de Ruth, … David engendra Salomon, de la femme d'Urie ".
Tamar s'est fait passer pour une prostituée auprès de son beau-père, Juda, afin d'assurer à son mari défunt une descendance issue du clan familial. Rahab est la prostituée de Jéricho, qui hébergea les deux espions envoyés dans la ville par Josué. Ruth est devenue la femme de Booz après s'être glissée dans sa couche sur un champ de moisson. Et la femme d'Urie, Bethsabée, envoûta David par sa beauté, si bien qu'il envoya Urie à la mort afin qu'il puisse épouser Bethsabée… Etrange pedigree royal, ne trouvez-vous pas ?
Et pourtant. Pourtant Matthieu a choisi de nous transmettre ces noms-là ! Il nous faut donc dépasser le simple contenu de cette liste des ancêtres de Jésus pour comprendre le sens et le pourquoi de cette généalogie. Et nous pouvons aussi nous poser la question : à quoi sert une généalogie ?
Pour répondre à cette question, je vous propose un petit détour par aujourd'hui. Il est vrai qu'aujourd'hui, on se définit par nos titres, acquis à la sueur de notre front, on se définit par notre métier, par notre statut social : " je suis pasteur, retraité, comte de, docteur, maman de jour… " Mais plus personne ne dit : je suis le descendant de… et de… etc. jusqu'à un illustre ancêtre qui pourrait être Charlemagne !
Or, l'évangéliste Matthieu commence son évangile par cette énumération. Pour lui, c'est important. A l'époque, c'est important. Une généalogie rappelle à tous que la vie humaine n'est pas, comme celle de la nature, un éternel recommencement. Mais l'humain vient de quelque part, et il va à quelque part.
Ainsi, ce sont les archives familiales que nous livre Matthieu. Et ce faisant, l'évangéliste commence son œuvre en nous donnant des indications très précieuses : Jésus est un descendant direct de David et d'Abraham. Qu'est-ce que cela signifie ?
1. Tout d'abord, être descendant du roi David, c'est être descendant d'une lignée royale, rien que cela ! Mais rappelons-nous aussi que David, avant d'être un grand roi, était le petit dernier de la famille de Jessé que l'on oubliait au champ ! Le grand roi David était le plus petit avant de devenir roi.
Et rappelons-nous aussi que, selon les prophètes, le Messie doit venir de la ville de David, de la lignée de David. Evoquer David dans la généalogie de Jésus, c'est dire la conformité de Jésus au projet annoncé.
2. Ensuite, être descendant d'Abraham, c'est être directement héritier de la promesse faite à Abraham par Dieu. La saga d'Abraham commence ainsi en Genèse 12 : "Le Seigneur dit à Abram : Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand ton nom. "
Etre descendant d'Abraham, c'est la promesse d'être héritier du peuple élu. C'est la promesse de faire partie du plan de Dieu pour l'humanité. C'est la promesse de vivre depuis des siècles sous le regard de Dieu. Etre descendant d'Abraham, c'est se savoir descendant d'une promesse divine qui n'a de cesse de se réaliser.
Ainsi, à travers ce premier verset : " livre des origines de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham ", Matthieu nous donne un signal fort pour lire son évangile. Il nous dit : Jésus est à recevoir dès le début comme le Messie, c'est-à-dire comme celui qui doit venir pour son peuple, pour sauver son peuple. Une simple évocation de deux illustres ancêtres a suffi à nous révéler cela.
Quelques omissions. Des ajouts. Quelques célébrités. Il est clair maintenant que Matthieu n'est pas un historien au sens où nous l'entendons aujourd'hui, mais un homme de foi qui écrit son évangile pour nous dire qui est le Christ auquel nous croyons. Il veut éclairer notre foi. Imaginez un instant que l'on se lance dans la lecture de cette généalogie avec le regard de la morale ou de l'historien. Résultat : on ferme le livre et l'on s'en va avant même la fin de l'histoire ! Car ces omissions, ombres sur le passé, et ce détour par 4 femmes aux mœurs irrégulières est incompréhensible.
Par contre, si nous prenons le regard de la foi, celui que nous propose Matthieu, alors nous pouvons mieux recevoir ce texte et le lire à la lumière de l'amour de Dieu pour l'humanité.
Car il ne faut pas oublier que Dieu intervient pour nous libérer. Dieu vient par amour. Ainsi, ces " touches féminines " dans cette généalogie toute masculine sont le signe de cette intervention de Dieu dans l'histoire humaine. Dieu a un projet pour l'humain. Et chaque fois que la généalogie est menacée, Dieu intervient. Dieu intervient de manière " irrégulière ", " immorale ", pour maintenir et assurer la lignée de son Messie.
Et ces femmes, bien que n'appartenant pas directement à la lignée royale de David, étrangères d'ailleurs au peuple de l'Alliance, sont l'objet d'une intervention spéciale de Dieu. Dieu a un projet pour l'humanité, et il fait tout, malgré la faiblesse humaine, pour que ce projet se réalise. Ne dit-on pas que Dieu écrit droit avec des lignes courbes ?
Quelques omissions, des ajouts. Des célébrités. Mais il y a aussi 40 autres ancêtres de Jésus qui sont pris dans la masse et dont les noms se scandent au rythme du verbe "engendra". Il y a ce chiffre donné en résumé de toute cette énumération : 14. Il y a 14 noms entre Abraham et David, 14 noms entre David et la déportation, et 14 noms entre la déportation et Jésus. Que veut nous dire l'évangéliste lorsqu'il insiste sur ce chiffre 14 ?
Comme bien souvent, les chiffres sont voués à de multiples interprétations. L'une d'entre elle, c'est de dire que le chiffre 14, c'est 2 fois 7 générations. Ainsi, les 3 périodes de 14 générations sont aussi 6 périodes de 7 générations. Elles annoncent la venue d'une 7e génération que Jésus inaugure. Et le chiffre 7, c'est celui de l'accomplissement, de la perfection.
Mais au-delà des chiffres, je suis particulièrement interpellé par la portée symbolique de cette construction. Car lorsque Matthieu calcule des phases dans l'histoire, il dit à ses lecteurs, il nous dit, que cette histoire a un plan construit, il nous dit que cette histoire est planifiée longtemps d'avance au regard de Dieu.
Ainsi, lorsque Matthieu nous dévoile cette généalogie de Jésus, construite de manière quasi linéaire, il nous dit : Dieu a dirigé l'histoire, sous-entendu l'histoire de l'Ancien Testament, en vue de l'avènement du Christ. Dieu intervient dans l'histoire de l'humanité pour nous libérer. Et la 7e génération que Jésus inaugure annonce le temps de l'accomplissement.
J'aimerais revenir sur les deux premiers mots qui ouvrent cette généalogie, qui ouvrent cet évangile, et qui ouvrent pour finir le Nouveau Testament : " Livre des origines de Jésus-Christ ". Et je ne peux m'empêcher, lorsque je lis un livre, d'aller voir la toute fin de ce livre, je suis curieux. Peut-être êtes-vous comme moi ? Et la toute fin de l'Evangile de Matthieu est très intéressante. Elle se termine par les mots : "achèvement du temps" dans cet envoi du Christ auprès de ses disciples : "et moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps".
" Livre des origines " et " jusqu'à la fin des temps ". Toute l'histoire de l'humanité est comprise dans ces quelques mots : des origines de l'humanité jusqu'au Christ, et du temps du Christ ressuscité jusqu'à la fin des temps. L'évangile est pris comme en étau au milieu de ces temps. C'est l'évangile qui fait la transition entre ce temps d'avant le Christ et ce temps d'après le Christ.
Ainsi, lorsque l'évangéliste Matthieu commence son évangile par la généalogie de Jésus, il nous ouvre à un temps nouveau, et il sait que ce temps se poursuivra par un autre temps qui sera celui du Christ ressuscité.
Essayons de reprendre quelques éléments découverts au fil de cette lecture :
Tout d'abord, Matthieu s'adresse à nous en tant qu'homme de foi, et non pas en tant qu'historien. Ceci nous donne les clés pour comprendre pourquoi l'évangéliste omet quelques noms et en ajoute d'autres. Il inclut des étrangères dans l'histoire du peuple de l'Alliance et il rappelle l'importance qu'elles ont eue pour maintenir la continuité entre Abraham et Jésus.
Ensuite, Matthieu nous dit que Jésus est issu d'une famille avec ses histoires, ses hontes et ses célébrités. Mais il nous dit aussi que Dieu a un projet pour l'humanité malgré les détours humains, malgré les histoires, les hontes et les célébrités. Dieu maintient sa promesse malgré une humanité qui peine à lui rester fidèle.
La généalogie de Matthieu nous dit encore avec force que Jésus-Christ est le Messie, et ce dès les premiers mots de l'évangile, par la mention de deux illustres ancêtres Abraham et David qui introduit cet évangile.
Et enfin, ce début de l'évangile de Matthieu nous ouvre à un autre temps, celui de la promesse qui se réalise en Jésus-Christ, le Messie annoncé par les prophètes.
Reste la question pour nous aujourd'hui : que m'apporte finalement cette liste de 46 ancêtres du Christ ? Je crois qu'elle m'invite, finalement, à me rappeler que je suis, que nous sommes tous " fils de ", que nous sommes tous " engendrés ". Qu'est-ce que cela représente pour nous ? Un poids, un soutien, une honte, un simple passé, une origine, bourgeoise ou modeste ?
Il est parfois des ancêtres dont nous ne sommes pas fiers, des passés de parents lointains que l'on aimerait taire, des histoires familiales peu reluisantes. Bref, nos généalogies ressemblent bien souvent à celle de Jésus-Christ !
Mais ce qui est fantastique, c'est que Dieu peut aussi écrire droit avec nos histoires courbes. Et plus encore, il nous a déjà inscrits dans son projet d'amour malgré notre passé. C'est ça l'amour de Dieu pour tous.
A la lecture de cette généalogie, je découvre encore autre chose : je suis l'enfant de mes parents, certes, mais aussi d'une foule d'hommes et de femmes qui ont croisé ma vie et sur lesquels je peux m'appuyer, car ils font partie de mon engendrement. Combien sont-ils à avoir forgé ma vie, mon caractère, mes peurs, mes rêves, mes qualités, ma foi ? Combien sont-ils à m'avoir porté dans mon existence, et à être inscrits dans les origines de ce que je suis ?
Suis-je prêt à ouvrir ma généalogie pour que chacune et chacun de ceux qui m'ont engendré y trouvent place ? Et le Christ qui vient, fait-il partie de ma généalogie ?
Amen.
