Chers amis, chers frères et sœurs,
Le président de la Convention sur l'avenir de l'Europe, Valery Giscard d'Estaing, excluait vendredi dernier toute référence à la religion dans l'article 2 de la Constitution européenne qui énonce les valeurs fondamentales de l'Europe. On connaît la réticence chronique de plusieurs pays européens devant toute mention d'une référence religieuse dans un de ces grands textes censés asseoir l'Union européenne sur des bases reconnues par tous. Ainsi déjà en décembre 2000 au moment de la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclamée au sommet de Nice, les Quinze avaient après des débats houleux renoncés à mentionner dans le préambule l'héritage religieux de l'Europe.
Chez nous en Suisse - on le sait -, la référence à un passé chrétien ne fait pas plus recette, nous avons pu le voir encore tout récemment lors de la discussion autour de la nouvelle Constitution vaudoise qui veut bien mentionner la Création mais sans nommer de Créateur.
Ainsi dans une Europe hérissée de cathédrales et de clochers et dont le territoire a été depuis plus de mille ans jusqu'à ce jour quadrillé en paroisses, on recule devant la mention d'un passé religieux, on aimerait renoncer à toute référence aux valeurs chrétiennes.
Le premier à s'en plaindre est sans aucun doute le Vatican, mais les protestants peuvent-ils rester de marbre devant cet abandon ? Que signifie ce refus de tout sentiment d'appartenance à un passé commun qui a pour nom chrétienté ou christianisme dans un temps où, à d'autres endroits de la planète, la religion ne fait pas seulement partie des références, mais prétend dicter sa loi à l'ensemble d'une population, et je pense ici tout naturellement à l'Islam.
L'attitude des Membres de la Convention européenne reflète en fait la profonde crise d'identité et plus particulièrement du sentiment d'appartenance que nous observons chez une grande partie de nos contemporains. L'époque est révolue où l'Etat et l'Eglise étaient intimement liés, où la culture et la religion étaient confondues, où l'on ne faisait pas la différence entre je suis et j'appartiens !
Aujourd'hui, l'heure est à l'individualisation des croyances, ce qui s'exprime le plus souvent par la célèbre formule: "Oh M. le Pasteur (ou M. le Curé!), moi je suis croyant, mais pas pratiquant !"
On a passé de la religion au religieux, de la confession à la croyance et la foi de nos contemporains est plus apparentée au bricolage, au collage, voire même au braconnage qu'à une décision d'appartenir désormais à une famille religieuse. On peut donc croire sans se rattacher à une Institution, on peut se déclarer chrétien sans appartenir à aucune Eglise.
Après la dictature d'une Eglise toute puissante qui a tenu d'une main de fer l'Europe (c'est souvent ainsi que nos contemporains perçoivent l'Eglise dans sa dimension historique), c'est le triomphe du Je, le triomphe de la subjectivité en matière religieuse, du droit à croire comme on veut, ce que l'on veut. C'est le triomphe de la spiritualité du caddy, où l'on se concocte sa petite religion personnelle dans le supermarché religieux d'aujourd'hui.
Mais peut-on vraiment croire sans Eglise ? Cette religion self-made, fabriquée par soi-même, cette religion du Je peut-elle tenir la route d'une existence ? A-t-elle un avenir ? Peut-elle survivre à celui qui la pratique, et surtout qu'apporte-t-elle au sein d'une société qui manque si cruellement de points de repère aujourd'hui ? L'Eglise, la paroisse et les pratiquants, les fidèles appartiennent-ils donc au passé ?
C'est là que les textes entendus ce matin peuvent orienter notre réflexion et alimenter notre espérance. Moi j'aime l'histoire de ce jeune homme, Jacob qui fuyant sa famille, la maison de son père, prenant ses distances avec son frère Esaü est rattrapé par Dieu. Un Dieu qui se révèle dans une expérience personnelle à ce Jacob endormi, un Dieu qui révèle à cet individu qui a coupé les ponts avec sa communauté d'origine, qu'il est le Dieu de ses ancêtres, Abraham, Isaac. Et qu'il est aujourd'hui, son Dieu à lui, Jacob ! Et qu'il sera le Dieu de ses descendants.
Dieu se révèle à Jacob comme un Dieu qui bénit, qui le bénit lui personnellement (alors qu'il ne l'a en rien mérité !), mais qui bénit en lui l'humanité tout entière ! Ah mes amis ! Comme j'aimerais être l'objet d'une telle révélation : Dieu en ligne directe.
Jacob lui, a une réaction surprenante : disons deux réactions surprenantes. Tout d'abord, il a peur. Et là pour se calmer il retrouve des rites religieux tirés de sa mémoire. Il a quand même été au catéchisme ! Il a quand même un passé religieux ! Une pierre dressée, de l'huile, le menhir est en place. Et puis ensuite il fait un vœu - forme laïque de la prière ! Il n'est pas encore prêt à confesser la foi de ses pères.
Tant pis pour la forme, voyons le contenu : Si le Seigneur est avec moi, s'il me protège sur ma route, s'il me donne de quoi manger et m'habiller, s'il me ramène sain et sauf chez mon père, alors le Seigneur sera mon Dieu ! Admirez la profonde spiritualité de notre père Jacob-Israël ! Et son sens de l'appartenance au peuple de Dieu. En vérité, voilà bien un homme moderne qui ne sait bien manier que le JE. Jacob, ce Jacob-là qui marchande avec Dieu ses conditions de participation à la famille des croyants me donne espoir dans la situation qui est la nôtre.
Combien de mes contemporains sont-ils comme Jacob sur la route pèlerins en recherche, ajoutant les expériences spirituelles les plus diverses, aux expériences spirituelles les plus contestables. Et pourtant Dieu est là qui les bénit. Et Dieu les rattrapera un jour comme il rattrapera Jacob ! Gardons cette espérance au fond du cœur et préoccupons-nous de nous-mêmes, paroissiens d'ici ou d'ailleurs, de nos communautés, de nos paroisses, de nos Eglises.
Comment vivions-nous notre appartenance à une communauté, qu'attendons-nous de notre Eglise ? Comment voulons-nous vivre en Eglise ?
Pour ma part, je garderai le texte de l'Epître des Ephésiens comme une utopie, c'est-à-dire comme l'horizon de la vie communautaire, de la vie en Eglise. Il y a un seul corps, un seul Esprit, une seule espérance, un seul baptême, une seule foi. Tout cela se heurte à la réalité et appartient pour moi à l'horizon du Royaume, même si le Royaume est parmi nous de manière mystérieuse et qu'on peut le percevoir parfois !
J'aime mieux le récit de Marc qui nous montre à quoi sert la communauté et l'importance vitale qu'elle peut avoir pour chacun d'entre nous. J'aime ces quatre compagnons sans nom, mais qui pourraient bien s'appeler, Matthieu, Marc, Luc et Jean et qui portent un cinquième, incapable de bouger et qui pourrait avoir pour nom, tiens Jacob pourquoi pas !
Voyant leur foi, Jésus dit au paralysé: Mon fils tes péchés sont pardonnés !
J'aime cette image d'une communauté qui croit et qui croit pour elle-même et pour les autres, pour tous ceux qui sont paralysés spirituellement, incapables de passer du Je au nous, incapables de se défaire de cette antique prétention à être la mesure de toute chose.
J'aime cette foi des amis qui ne bouscule pas la foule, qui ne se fraye pas un passage de force et alors tant pis si la référence chrétienne ne figure pas dans les chartes fondamentales de l'Union européenne.
J'aime cette foi des amis, cette foi d'une communauté discrète, entreprenante, qui ne se laisse pas arrêter par les foules de ceux qui font barrage, mais qui sait arriver à son but par un moyen ingénieux et audacieux.
Alors je me prends à rêver et à prier pour que Dieu renouvelle dans nos paroisses et dans nos Eglises d'Occident cette audace et cette ingéniosité dans le témoignage et l'action.
Alors je me prends à rêver et à prier pour que Dieu renouvelle dans nos paroisses et dans nos Eglises d'Occident cette prise de conscience que seuls, nous ne pouvons rien faire, que nous avons besoin les uns des autres, que nous avons besoin d'une communauté où l'on porte le souci les uns des autres, où l'on dépasse ce besoin insatiable de satisfaire son moi pour découvrir la joie d'une foi partagée et d'une action commune.
Alors je me prends à rêver et à prier pour que Dieu renouvelle dans nos paroisses et dans nos Eglises d'Occident la foi aux miracles. Alors peut-être qu'à une telle communauté Je voudra bien appartenir !
Amen !