Dieu était venu à sa rencontre

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Comme toujours avec l'Evangile, le récit biblique peut être lu à plusieurs niveaux. C'est bien ce qui différencie la Bible du langage dominant d'aujourd'hui. Un langage qui se veut simple, direct, démonstratif et précis, il n'y a qu'à penser aux publicités qui couvrent les panneaux d'affichage de nos rues ces derniers temps !
C'est bien encore ce qui fait que nous pouvons lire et relire jour après jour ces récits bibliques pour nous en nourrir, pour éclairer chaque jour à nouveau différemment nos vies. Le récit de ce jour n'échappe pas à la règle. Lui aussi peut être lu à plusieurs niveaux.

Dans un premier niveau de lecture, on peut voir dans ce récit de la rencontre entre Syméon et Jésus la preuve que Jésus est bien le Messie attendu. " L'Esprit Saint était sur Syméon… " écrit Luc : c'est dire que Syméon était un prophète. Syméon, prenant l'enfant dans ses bras et déclarant qu'ainsi il a vu le salut préparé par Dieu, c'est bien la preuve que Jésus est le Messie.
Dans un second niveau de lecture, on peut voir dans ce récit le passage à la nouvelle alliance. Syméon, ce juif juste et pieux qui attendait la consolation, c'est-à-dire le salut d'Israël, Syméon en prenant l'enfant Jésus dans ses bras et en déclarant y voir le salut de Dieu, Syméon fait là comme un passage de témoin, de l'ancienne à la nouvelle alliance offerte par Dieu à l'humanité tout entière.

Deux niveaux de lecture. Et deux lectures justes sans doute. Pourtant, aujourd'hui, je voudrais vous inviter à creuser encore un peu. Parce que je crois que jusque-là, notre récit n'a pas encore dévoilé toutes ses surprises. Et la plus grande de ces surprises, c'est d'abord que le vieux Syméon ait pris ce bébé dans ses bras, ce jour-là !
Mais avant d'y venir, une petite anecdote domestique, ou " automobilistique " ! Il y a quelques jours, au volant de notre voiture, j'ai remarqué que la jauge d'essence était bientôt tout en bas. Pas d'inquiétude ! le témoin de la réserve, qui indique qu'on peut encore faire une cinquantaine de kilomètres, n'était pas allumé. Pourtant, passant devant une colonne d'essence, je me suis dit que je pourrais quand même faire le plein, ne serait-ce que pour que ma femme n'ait pas besoin de le faire le lendemain. Et là, surprise ! J'ai mis 31 litres et demi d'essence alors qu'au total le réservoir n'en accepte que 32 !
Encore quelques km, et c'était la panne sèche, la panne d'essence. L'auto n'avait pas de témoin de réserve !
Une anecdote toute personnelle, bien sûr. Mais une anecdote pour dire que ce que le récit d'aujourd'hui nous dévoile, c'est que nous risquons bien nous aussi, aujourd'hui, de tomber en panne. Pas en panne d'essence. Mais en panne d'espérance !

Revenons-en à Syméon, à A Syméon qui prend l'enfant dans ses bras. Oui, je crois qu'elle est là la surprise de ce récit.
Imaginons un peu la scène. Ca se passe sur l'esplanade du Temple de Jérusalem. Une foule énorme. Le grouillement des fidèles et des passants. Les cris des marchands d'animaux, les appels des changeurs de monnaie. Et quelque part dans cette foule, un homme, une femme, un bébé. 40 jours après la naissance de l'enfant, Joseph et Marie viennent au Temple, le présenter à Dieu.
Une foule énorme. Et quelque part dans cette foule, un vieillard inconnu s'approche de la famille et prend le bébé dans ses bras. Dites, vous vous voyez, vous, dans la foule d'un grand magasin par exemple, vous approcher d'une famille pour prendre son bébé dans vos bras ? Ou à l'inverse, vous laisseriez, vous, un inconnu prendre votre enfant dans ses bras ?
Oui, il est là l'extraordinaire de ce récit. Que Syméon ait pris ce bébé dans ses bras. Et que Joseph et Marie l'aient laissé faire ! Et pourquoi Syméon a-t-il pu faire ce geste extraordinaire ? Parce qu'il était porté, poussé par une espérance, une espérance plus forte que tout. Une espérance qui permet de dépasser les barrières sociales, qui permet de casser les tabous comme les grilles dorées dans lesquelles habitudes et confort nous enferment si facilement. Une espérance plus vivante que tout. Une espérance qui permet de s'ouvrir, de s'ouvrir aux autres, de s'ouvrir à l'Autre, avec un grand " A ", de s'ouvrir à Dieu, à sa rencontre, à sa surprise.

Et moi, j'ai bien peur que ce soit de cette espérance-là que nous soyons en panne aujourd'hui. Oui, en panne d'espérance, d'espérance véritable, celle qui nous ouvre, nous porte, nous pousse en avant. Celle qui seule nous offre la paix. " Seigneur tu me permets de m'en aller en paix ".De mourir en paix, sans doute sur les lèvres de Syméon. Mais d'aller en paix encore, d'avancer dans notre vie en paix.
Oui, j'ai peur que nous tombions en panne d'espérance aujourd'hui, en panne de cette espérance-là. Parce que, comme notre voiture, il n'y pas de témoin de réserve pour cette espérance-là. Si nous la perdons, ce sera trop tard.
Alors oui, bien sûr, nous ne manquons pas d'espérances de toutes sortes dans notre monde. Oui, tous nous espérons quelque chose : la santé, un travail, gagner plus, s'acheter le dernier objet à la mode, acheter le dernier jouet à la mode à nos enfants ou petits-enfants, etc. La liste de ces espérances-là n'a pas de fin. Et en aurait-elle une, la société nous inventerait d'autres désirs encore.
Mais l'espérance, la véritable espérance, celle qui nous ouvre aux autres, à l'Autre, la seule qui peut nous offrir la paix, l'apaisement de nos désirs tyranniques, de nos petites haines et mépris quotidiens, cette espérance-là, l'avons-nous encore ? Nous porte-t-elle encore, nous pousse-t-elle encore, cette espérance ? Vers cet enfant, ce bébé à prendre dans nos bras, sur notre cœur, pour qu'il nous parle de paix, de tendresse et d'amour ?

Parce qu'elle est là la seconde grande surprise que nous réserve ce récit. Dans l'objet de l'espérance de Syméon. Parce que toute son espérance, cette immense espérance, elle trouve sa réalisation dans un gamin, de deux pauvres bougres perdus dans la foule, dans la personne d'un gamin d'un mois !
Alors oui, bien sûr, le gamin grandira, il fera de grandes choses : la plus grande de ces choses étant d'ailleurs, nous dit l'Evangile, d'accepter de mourir sur une croix comme le dernier des brigands !
Oui, elle est là la seconde surprise de ce récit. Elle est là l'originalité indépassable de la foi chrétienne : de faire porter toute son espérance sur ce Jésus-là !
En panne d'espérance; oui, moi j'ai peur que notre monde tombe en panne d'espérance. Pas en panne de fanatisme, ni en panne d'idéologie, ça non, nous le savons malheureusement bien !
Et c'est sans doute le grand malheur de notre monde que de confondre espérance avec idéologie et fanatisme, qu'ils soient religieux, politiques ou économiques.
Et pourtant, aujourd'hui, Syméon pourrait encore jouer le rôle de témoin d'essence, enfin de témoin lumineux d'espérance. Pour nous rappeler que l'espérance chrétienne ne trouvera jamais sa réalisation dans quelque idéologie à la mode ou dans quelque fanatisme. Notre espérance ne se réalisera que dans une étable, entre quelques bêtes ou alors sur une croix servant de perchoir à quelque rapace ! Notre espérance ne se réalisera que dans les petites choses de notre monde, dans les petits gestes quotidiens de pardon et d'amitié. Là et nulle part ailleurs. Et c'est ce chemin-là, loin des chemins glorieux de ce monde, c'est ce chemin, de la crèche à la croix, qui seul nous offrira la paix et la vie véritable.

Pour conclure, je voudrais encore vous lire l'histoire d'un " anti-Syméon " si j'ose dire. Cette histoire, ce sont des parents qui l'avaient offerte à leurs enfants lors de leur confirmation. Un anti-Syméon qui pourrait bien nous dire comment Noël peut encore se produire aujourd'hui dans nos vies.
" Un vieil homme, las de sa vie qui ne lui avait apporté que des problèmes d'argent et de santé - jamais de joie ni de bonheur - était au bord du désespoir lorsqu'il rencontra un enfant qui lui demanda pourquoi il était tant désespéré. Pourquoi il était si triste et dépité ? L'enfant lui dit alors qu'il devait prier : que Dieu l'aimait lui aussi, qu'il l'entendrait et lui viendrait en aide.
Le vieil homme n'avait jamais prié et ne croyait pas que Dieu existe, mais dans son désarroi il se dit qu'il allait essayer. Il se mit en quête d'une église et s'avança vers la porte pour pénétrer dans la maison de Dieu. Mais la porte était fermée. Il avait beau pousser, taper, essayer et réessayer d'ouvrir, la porte restait fermée.
Au plus profond de son désespoir, presque en colère, se disant qu'il ne pourrait jamais aller à la rencontre de Dieu, il secoua la porte et la poignée dans tous les sens et dans un mouvement contraire la porte s'ouvrit ! Cette porte, s'ouvrant vers lui plutôt que devant lui, lui fit comprendre que, s'il ne pouvait aller à la rencontre de Dieu, Dieu était venu à sa rencontre. "

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Bernard Heiniger
Musique
Choeur mixte de la paroisse, dir. Mme Marie-Claire Charpilloz (15 pers.)