Pour ce dimanche, c’est une série de paroles de Jésus qui sont livrées à notre réflexion. Des paroles fortes, dures parfois, qui ont été mises côte à côte par l’évangéliste.
Aussi, ce dimanche, j’aimerais vous proposer une prédication sous forme d’une succession de petits tableaux.
Premier tableau
Moi, ça m’étonne toujours de ne pas voir plus de borgnes - ou d’unijambistes ou de manchots - chez les personnes qui prônent une lecture tout à fait littérale de la Bible. Que disait le texte d’aujourd’hui? «Si ton œil entraîne ta chute, arrache-le !»...
C’est vrai : qui de nous n’a jamais péché ?
Alors, il se pourrait bien que, face au texte biblique, une lecture littérale ne suffise pas si je refuse d’imaginer un monde de mutilés. Il se pourrait bien que j’aie à faire des choix, que j’aie à me poser des questions quand je lis la Bible : quel est pour moi le centre de la volonté divine ?
En d’autres mots, il se pourrait bien que j’aie à faire une lecture responsable de la Bible.
Ou encore, que j’aie à me prendre en mains… tout en sachant bien les limites de ces mains...
Second tableau
Moi ça m’étonne toujours d’entendre un chrétien dire, au nom de sa foi, qu’un autre chrétien n’a pas la foi.
Si nous agissions selon nos propres envies, selon notre propre nature, cela ne m’étonnerait pas. C’est tellement ancré en nous que de vouloir classer entre les bons et les méchants, que de vouloir mettre des étiquettes sur les gens, pour reconnaître à coup sûr ceux qui sont comme nous et les autres.
Mais quand on se réclame du Christ, avant de juger la foi d’un autre chrétien, il devrait y avoir cette parole qui se dresse devant nous : «Celui qui n’est pas contre nous est pour nous.»
C’est qu’elle est tellement contraire à nos habitudes, cette parole ! Nous ce qu’on dit, c’est : «Celui qui n’est pas avec nous, celui qui ne fait pas partie de notre groupe est contre nous…” comme les disciples l’ont dit ce jour-là : «Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas.»
«Celui qui n’est pas contre nous - même s’il n’est pas avec nous - est pour nous »
Voilà qui ouvre bien des horizons, non ? Voilà qui rajoute bien du monde à notre définition de «croyant», non ?
Troisième tableau
Moi, ça ne m’étonne pas tellement de voir que les disciples de Jésus se soient querellés pour savoir qui était le plus grand.
C’est ce que nous faisons, c’est ce que je fais si souvent... et avec de bonnes excuses, bien sûr.
Un peu comme les disciples l’ont fait ce jour-là sans doute. C’est que cette querelle entre eux, je ne crois pas qu’elle était simplement bête et méchante. Non, les disciples essayaient de rivaliser de zèle pour suivre au mieux leur Seigneur : c’est ce qu’à l’école on appelle une «saine émulation» et ce que dans le langage dominant d’aujourd’hui on appelle une «bonne concurrence».
Quatrième tableau
Le centre du texte d’aujourd’hui - ce centre qu’il nous faut chercher lorsque nous lisons la Bible - je le vois très exactement dans la réponse que Jésus a donnée à ses disciples et à leur querelle.
Une réponse en acte et en paroles.
Jésus prend un enfant, le place au milieu du cercle de ses disciples, et il l’embrasse.
Puis il explique son geste :
«Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé.»
Oui, il est très exactement là le centre de l’Evangile de ce jour. C’est quand je reçois un enfant que je reçois Jésus. C’est quand j’accueille un enfant que j’accueille Dieu au centre de ma vie.
Parce que, c’est quoi un enfant ?
Un gentil bambin, souriant et craquant ? Non, ce serait trop facile.
Un de ces malheureux à qui on veut bien faire l’aumône d’une piécette ou d’un regard ? Non, c’est une compréhension trop générale et trop moralisante.
Non, moi je crois que c’est «cet enfant» qui doit être pris au pied de la lettre. C’est quand j’accueille un enfant bien concret que je reçois Jésus.
Un enfant comme cet enfant que Jésus a pris dans ses bras, simplement parce qu’il se trouvait près de lui.
Un enfant comme cet enfant-là qui n’a peut-être pas rendu son baiser à Jésus, allez savoir...
Un enfant comme ces enfants que nous n’avons pas pris avec nous aujourd’hui, parce qu’ils sont trop petits, parce que nous avons eu peur qu’ils fassent des interférences sur les ondes.
Un enfant... toutes ces personnes, enfants ou adultes, qui sont là, à côté de nous. Et en particulier, toutes ces personnes dont nous pensons qu’elles risquent de déranger le bon ordre... notre bon ordre. Et en particulier tous ces petits, tous ces sans-grade, tous ces oubliés dont nous n’attendons rien ou plus rien.
Alors, le Christ, je peux sans doute le rencontrer de différentes manières : à travers l’Ecriture, dans la prière, en partageant le pain, au travers du témoignage de ses témoins...
Mais si je prends vraiment au sérieux le récit d’aujourd’hui, alors je dois être persuadé que là où je le rencontre le mieux, c’est quand je prends dans mes bras un de ces petits qui me dérangent parfois...
Cinquième tableau
Reste une question: qu’est-ce qui fait l’unité de ces paroles entendues aujourd’hui ?
Cette unité, je la comprends en un seul mot: «humilité».
Mais pas cette caricature d’humilité dont on affuble parfois encore les chrétiens. L’humilité de ces hommes et de ces femmes habillés de sombre, sérieux, voûtés, tristes, les yeux collés au sol.
Non, au contraire, l’humilité joyeuse de celui qui sait qu’il n’a plus à chercher à être grand devant les autres - grand de piété, grand de foi ou grand de réussite - et cela parce que le Christ est venu prendre les petits, les enfants dans ses bras.
L’humilité qui retourne les valeurs habituelles. L’humilité de celui qui se sait grand lorsqu’il est «le dernier de tous et le serviteur de tous». L’humilité de celui qui connaît le bonheur de pouvoir faire grandir l’autre...
Et c’est cette humilité-là qui seule compte. Parce que sans elle, la vie n’a plus de goût. Parce que si par ma grandeur, je fais chuter un seul de ces petits, alors ma vie ne vaut pas la peine que je la vive : autant qu’on m’attache au cou une grande meule...
C’est cette humilité qui seule compte.
Parce que c’est elle qui me permet de croire que «celui qui n’est pas contre nous est pour nous.» Parce que c’est elle seule qui me permet de croire que Dieu peut venir me rencontrer au travers de n’importe quelle personne, même si elle ne fait pas partie de mon groupe ou de mon église.
C’est cette humilité qui seule compte.
Parce que c’est elle qui me permet de prendre dans mes bras ceux qui m’entourent, même ceux qui me dérangent.
Parce que c’est elle seule qui me permet de croire que les autres, même les plus petits, même les plus inattendus peuvent eux aussi me faire grandir, peuvent me rendre plus riche, plus humain.
Comme dernier tableau, une image.
Une image que je garde d’une visite chez une jeune grand-maman.
Pendant que nous discutions, mon regard a été attiré par un petit pot décoré dans lequel poussait une petite herbe.
Ayant remarqué mon regard, la dame m’a expliqué la présence de cette herbe dans son salon.
Elle avait sarclé le jardin avec sa petite-fille : oui, elle avait passé la journée à enlever les mauvaises herbes qui envahissaient son jardin.
Et sa petite fille avait pris une de ces herbes que nous appelons «mauvaises» pour la mettre dans un pot et l’offrir à sa grand-maman.
Eh bien, voyez-vous, cette herbe n’avait plus rien de mauvais, portée par l’amour de la petite fille.
Et je suis sûr que la grand-maman n’a plus jamais regardé «une mauvaise herbe» avec le même regard.
Eh bien, l’humilité à laquelle nous appelle le Christ, c’est celle qui croit que Dieu est cette petite fille qui met chacun d’entre nous dans un pot rempli du terreau de son amour pour nous offrir les uns aux autres.
Et alors, plus jamais je ne pourrai croire que ceux que je rencontre ne sont que de la «mauvaise herbe» !
Amen.