Visages de tendresse dans le psaume 103

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À votre avis, pourquoi le psalmiste commence-t-il sa louange à Dieu par cette curieuse expression "O mon âme, bénis le Seigneur !" À moins d'être schizophrène pourquoi s'exhorte-t-il ainsi lui-même ?
Comme souvent dans la vie, une partie de la réponse ne se trouve pas dans la logique rationnelle, mais dans l'humour et la poésie. Ainsi l'humoriste allemand, Karl Valentin, déclare :" Aujourd'hui je me rends visite à moi-même, j'espère que je trouverai quelqu'un à la maison !" Or souvent la "maison" de notre personne est vide, nous ne sommes pas présents à nous-mêmes. Nous ne savons plus où nous sommes, ni où nous en sommes. Nous ne sentons pas ce que nous sentons, nous ne vivons pas ce que nous vivons, nous ne réalisons pas ce qui se passe en nous. Et nous voulons prier à partir d'une maison vide ! Le premier appel de Dieu à l'homme est : Où es-tu ?
Voilà pourquoi le psalmiste, avant de s'adresser à Dieu, commence par s'adresser à son âme avec ces mots, que je vous lirai dans la langue originale pour en apprécier la musique et les sonorités. (Lecture du texte en hébreu.) On dirait un secret très doux, murmuré comme une berceuse ! C'est avec tendresse qu'il se parle comme une mère à son enfant ; ainsi par cet amour il s'apprivoise, se redonne vie; il se rend présent, non partiellement mais entièrement.

Quand le psalmiste dit "O mon âme ", l'âme ne désigne pas la partie religieusement immatérielle de lui-même, mais désigne dans la langue hébraïque d'abord la gorge, puis le souffle, avec ses fluctuations, ses hauts et ses bas, ses émotions, les soupirs et les désirs, les besoins, sa soif fondamentale et aussi tout ce qu'il vit !
Dans la parabole du fils perdu, c'est quand enfin il entre en lui-même qu'il découvre son besoin et ainsi le chemin vers son père. D'ailleurs, le verset du Psaume 103 poursuit ainsi : "... que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom." "Tout ce qui est en moi..." dans le texte hébreu, le mot employé désigne d'abord les affects, les entrailles, la partie émotive (joie, tristesse), puis la partie qui réfléchit et prend des décisions. C'est une zone intérieure, profonde qui inclut aussi l'ombre avec ce que nous n'aimons pas (nos révoltes, nos apathies, nos mauvaises humeurs). Mais dans cette attention, ce visage de tendresse avec lequel il se tourne vers lui-même, il s'accueille, il s'accepte tel qu'il est dans sa totalité. Et c'est sa réalité qu'il l'oriente vers Dieu. "Mon âme, bénis le Seigneur et tout ce qui vit en moi... !" donc aussi le négatif, il le relie au Dieu de l'alliance (le Dieu tout Autre), " celui qui est là avec " nous sans nous juger.

De même que le Psalmiste se parle à lui-même non pour se critiquer davantage et se démoraliser, ce psaume nous invite à nous accorder à nous-mêmes un visage de tendresse de la part de Dieu : Dieu, qui nous pardonne, nous guérit, nous fait sortir de nos tombeaux… et en énumérant tous ses bienfaits, n'oublie pas que tu es aussi un bienfait ! On raconte que dans des situations extrêmes, des personnes s'en sont tirées parce qu'elles ont pu s'encourager.
Jean Monbourquette dans son livre "Aimer, perdre, grandir" propose une démarche étrangement semblable à celle du psalmiste. Après avoir conseillé d'accueillir notre "enfant intérieur" et l'avoir encouragé à exprimer sa peine et ses émotions, il propose un exercice simple pour calmer un dialogue intérieur culpabilisant : "Retire-toi dans un endroit tranquille, détends-toi et commence à réciter (oui, je dis bien "réciter") la liste des êtres qui t'aiment (personnes, animaux, plantes, objets) : Paul m'aime… Thérèse m'aime… Ma fougère m'aime… Maman m'aime… Mon chien m'aime… Ma peinture m'aime, etc. En peu de temps, tu seras surpris des changements qui s'opéreront en toi."
Et si nous tentons cette expérience à la fin d'une journée de faire la liste de tous les bons et beaux moments, voici que l'impression première, le "négatif" de la photo va s'effacer pour faire place à une image lumineuse. Non seulement nous aurons l'impression de vivre plus consciemment, mais nous goûterons et apprécierons davantage ce que nous vivons.
Nous nous émerveillerons des largesses divines qui tout en sourdine ont accompagné notre journée. Ainsi plus nous bénissons Dieu, plus nous voyons apparaître ses cadeaux comme l'enfant a la joie de découvrir ses friandises pascales enfouies dans la verdure ! Les tonalités grisâtres ou en noir et blanc de notre vie feront place à toute une gamme de couleurs.

C'est l'arc-en-ciel que déploie le Psaume 103 en déclarant : " Il est tendresse-compassion, le Seigneur, lent à la colère, d'une fidélité pleine de bonté ! "(v. 8) Alors que Moïse déjà avait demandé de voir la gloire, c'est-à-dire la personne de Dieu, le Seigneur lui avait répondu : " Je suis miséricorde et bienveillance (les mêmes mots que dans le Psaume 103) plein de générosité et de loyauté pour des milliers de générations, supportant la faute, la révolte et le péché, sans les nier, mais poursuivant la faute des pères chez les fils et les petits-fils sur 3 ou 4 générations ". Ainsi les rabbins disent qu'en mettant les choses au pire, nous arrivons à une arithmétique où la grâce est toujours 500x plus grande que la rigueur envers la faute. " Il n'est pas toujours en procès, il ne cultive pas une rancune infinie "(v.9). Ici dans le Psaume " la bonté du Seigneur est de toujours à toujours pour ceux qui le craignent "(v. 17), non d'une peur négative, mais d'un respect attentif. Il n'y a plus que la grâce ouverte comme un abri et couvrant toutes les générations.

Voilà ce qui est au-dessus de nous : un ciel dégagé des nuages qui l'assombrissaient. Et pour reprendre l'image précédente, celle de l'arc-en-ciel, qui vient pendant que la pluie tombe encore quelque part, mais après le gros de l'orage et la tempête, imaginons quelqu'un qui découvrant un bout de cet arc-en-ciel depuis l'intérieur de sa maison tenterait d'en découvrir d'autres perspectives en allant dans d'autres pièces. Il se demanderait si l'arc-en-ciel est aussi grand qu'il l'espère et finalement il sortirait de chez lui et en verrait alors toute l'étendue sur la nuée.

C'est la pluie qui a permis l'arc-en-ciel et en ce jour de fête des Mères, où tous les enfants fêteront leur maman, j'aimerais évoquer la mémoire de ma belle-mère, Julia Glardon-Burnand qui, par une phrase restée célèbre dans la famille, remontait le courage de ses enfants incertains de l'issue de leurs projets, en disant : " Y a sûrement quelque chose de formid' qui surgira au dernier moment !"
Le cœur des mères est étrangement au cœur du nom de Dieu, le saviez-vous ? C'est ce que le Psalmiste découvre emporté dans son élan lyrique (v. 11 - 13) - poète rime avec prophète - par un raccourci étonnant, il arrive directement au coeur de la révélation théologique : la découverte du nom de dieu : "Comme la tendresse d'un père pour ses enfants ainsi le Seigneur a de la tendresse pour ceux qui le révèrent." Ce mot tendresse, qui vient en hébreu du mot matrice, exprime l'élan instinctif d'amour qui lie une mère à ses enfants. Ainsi Dieu est défini comme un Père qui a des entrailles de mère !

Dans la parabole de Luc 15, le fils prodigue prépare ce qu'il doit dire : la confession de ses fautes (en n'omettant pas le fameux péché d'argent : il a dilapidé l'héritage de son père !), mais il n'en a pas le temps, le père se jette à son cou et l'embrasse. "Surprised by joy" (Surpris par la joie), ce titre d'un roman de C.S. Lewis résume bien son aventure ! La mort est engloutie par la vie, la comptabilité en faillite de nos « Tu dois » est transformée en bénéfice record par la grâce !
Ce que cherchait le père, ce n'était pas la confession du fils, mais la relation avec son Fils. C'est pourquoi il s'exclame : Mon fils "… était mort et il est revenu à la vie. Il était perdu et il est trouvé." (Luc 15, 32). Comme le dit une chanson française :
"On peut vivre sans richesse,
presque sans argent.
Des seigneurs et des princesses
Y en a pas tellement
Mais vivre sans tendresse
On ne le pourrait pas.
Non, non, non, non, je ne le pourrais pas !"
Cette tendresse ne nous affaiblit pas, au contraire, c'est elle qui nous remet debout. Se donner un tel visage de douceur à soi-même, vivre du regard aimant du Père aux entrailles de mère, voilà qui nous permet d'offrir aux autres une présente aimante et accueillante !
En ce jour de fête, l'occasion nous est donnée de dire merci à toutes celles qui ont été là et qui ont été cela depuis notre naissance. Merci à toutes celles et ceux qui sont devenus pour nous à un moment-clé de notre existence, ces anges exécutant les ordres de Dieu (v. 20) : celui de nous venir en aide, et qui nous ont offert ce visage compréhensif et proche dont nous avions besoin et ainsi nous ont aidé à avancer un bout plus loin sur notre chemin.

Ce sont des rencontres-découvertes qui ont des effets boule de neige, ainsi le Psalmiste tel un chef d'orchestre invite à clore par un tutti final l'hymne qu'avait commencé le solo : Bénis le Seigneur ô mon âme. Après avoir été au plus profond de lui-même, il en appelle maintenant aux dimensions les plus vastes. Les anges, les archanges, toutes les créatures sont invités à se joindre à la finale de cette symphonie du Nouveau Monde, ou plutôt de ce monde nouveau. La fin du Psaume 103 offre la vision d'une standing ovation de tout le cosmos, de tous les êtres créés bénissant Dieu.
Au sein de cet immense concert de tout l'univers à la tendresse du Dieu miséricordieux, quelle est la petite partition de triangle, modeste et indispensable, qui nous est accordée de jouer ? Non seulement nous ouvrir à cet amour et le célébrer, mais devenir nous-mêmes visages de tendresse au coeur du monde.
Écoutons le témoignage d'Etty Hillesum, jeune juive employée au bureau d'un camp de transit vers les camps de la mort et qui elle-même mourra à Auschwitz. Elle avait découvert dans cet enfer, le pouvoir de transmettre quelque chose de cette divine compassion.
"Chaque fois qu'une femme ou un enfant affamé, éclatait en sanglots devant l'un de nos bureaux d'enregistrement, je m'approchais et je me tenais là protectrice, les bras croisés, souriante, et en moi-même je m'adressais à cette créature tassée sur elle-même et désemparée. Et je restais là, j'offrais ma présence, que pouvait-on faire d'autre ? Parfois je m'asseyais à côté de quelqu'un, je passais un bras autour de son épaule, je ne parlais pas beaucoup, je regardais les visages.
Toutes mes impressions sont là, comme des étoiles scintillant sur le velours sombre de ma mémoire.
Et si les turbulences sont trop fortes, si je ne sais plus comment m'en sortir, il me restera toujours deux mains à joindre et un genou à fléchir."

Bénis le Seigneur, ô ma vie !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Lucette Burnand (cithare); Les Chantres (9 pers.), dir. François Reymondin