Extériorité ou intériorité ?

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Chers sœurs et frères en Christ,

Le dimanche d'aujourd'hui, entre l'Ascension et la Pentecôte, constitue symboliquement un temps de l'attente : le ressuscité est monté au ciel, et l'Esprit-Saint n'est pas encore arrivé. Nous pourrions aussi parler en terme de temps de transition : le Christ qui était apparu pendant 40 jours aux disciples s'est dérobé à leur regard. S'ils ne le voient plus, s'ils n'ont plus de contact direct avec lui, ils sont appelés à entrer dans une autre forme de relation, une relation qui pourra se tisser à partir de la venue du Saint-Esprit à Pentecôte.
Ce temps d'attente et de transition, nous le connaissons bien ; notre foi chrétienne se situe quelque part entre l'Ascension et Pentecôte. En effet, Jésus-Christ ne se donne plus à voir, et pourtant, nous attendons qu'il se manifeste. Jésus-Christ ne se donne plus à voir, mais nous sommes appelés à le rencontrer, autrement, par l'action du Saint-Esprit.
En somme, notre foi nous amène à vivre notre attente de Dieu, notre attente de cette plénitude et de cette liberté que nous promet l'Evangile, comme un passage du visible à l'invisible ou bien, comme un passage de l'extériorité à l'intériorité.

Notre texte de prédication s'inscrit bien dans ce temps d'attente et de transition entre l'Ascension et Pentecôte, temps d'attente et de transition où se joue notre foi, notre relation à Dieu. L'apôtre formule dans ces lignes qu'il adresse aux Ephésiens une prière. Il prie Dieu d'agir par son Esprit, afin que se fortifie en eux l'homme intérieur, et que le Christ habite en leurs cœurs. Et ce faisant, il prie implicitement les Ephésiens de s'ouvrir à cette relation tout à fait particulière avec le Christ qui advient dans l'intériorité, par la foi.
Cet appel à nouer une relation intérieure et profonde avec le Christ s'accompagne d'une promesse, qui non seulement répond aux attentes qui peuvent habiter les Ephésiens, mais dépasse même toute attente. Ainsi l'apôtre écrit-il : "A celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire. "
En quoi consiste cette promesse ? Là encore, nous sommes renvoyés à l'invisible, à l'intériorité. Cette promesse, c'est l'amour de Dieu, un amour qui cherche à s'enraciner au plus profond de notre être, un amour qui cherche à transformer notre regard sur le monde, à nous ouvrir de nouveaux horizons, nous pourrions aussi dire, à donner une autre dimension à notre vie, une dimension supplémentaire.

En effet, en décrivant l'impact de cet amour, l'auteur de l'épître aux Ephésiens énumère 4 dimensions : "Ainsi vous aurez la force de comprendre, avec tous les saints, la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur. " Aux trois dimensions du monde visible, l'apôtre en ajoute une quatrième ; il cherche à nous faire comprendre que lorsque nous sommes fondés et enracinés dans l'amour de Dieu, nous parvenons à voir au-delà de ce qui est visible, au-delà de ce qui saute aux yeux.
Et il ne s'agit certes pas d'un hasard si l'auteur de notre texte introduit à cet endroit " tous les saints ", autrement dit, tous les membres de la communauté. Cette intériorité transformée par l'action du Saint-Esprit nous ramène aux autres.
En somme, pour l'auteur de l'épître aux Ephésiens, la démarche de foi suppose une profonde transformation intérieure. Cette transformation entraîne un regard nouveau sur l'extérieur, sur le monde et sur les personnes qui nous entourent, un regard déterminé par l'amour qui parvient à discerner, derrière les apparences et au-delà de ce qui ce qui relève d'une connaissance directe, une autre dimension de la vie ou pour reprendre les mots de l'apôtre : " la plénitude de Dieu même ".

Tout cela peut nous sembler bien abstrait maintenant, mais si nous y réfléchissons, nous savons bien que l'amour constitue le plus puissant moteur de vie qui soit ; nous savons combien nous nous sentons libres, voire transformés, et combien notre regard sur la vie et sur les autres change lorsque l'amour nous saisit au plus profond de nous-mêmes. Et nous savons aussi que l'amour surpasse toute connaissance et nous ouvre à une dimension d'invisible et de mystère.
Nous le savons et pourtant, nous pouvons avoir tant de mal à vivre ce cheminement de l'Ascension à Pentecôte, du visible à l'invisible, de l'extériorité à l'intériorité. J'irais même jusqu'à parler en terme de défi dans la mesure où ce cheminement suppose un changement radical de notre manière d'appréhender le monde, les autres, et nous-mêmes.
En effet, n'avons-nous pas tendance à nous focaliser sur l'extériorité, et à vivre en fonction de ce qui est visible ? La société dans laquelle nous vivons nous pousse en tous cas dans ce sens. Si l'apôtre souligne l'importance de l'homme intérieur, nous vivons dans un monde qui semble idéaliser l'homme extérieur.

Les magazines regorgent d'articles traitant de la perte de poids et prodiguent inlassablement des conseils de beauté. Les personnes sont alors reconnues pour ce qu'elles présentent d'elles, et pour ce qu'elles produisent. Dans cette perspective, nombreux sont ceux qui cherchent à être reconnus ou bien, qui sont condamnés à justifier leur existence, en fonction de ce qu'ils présentent ou produisent, parce que dans une telle logique, il faut rester attractif et efficace ou mieux encore, efficient parce qu'il ne faut cesser de donner une image positive et dynamique de soi-même pour exister.
Cette focalisation sur l'extériorité peut mener jusqu'à chercher une forme d'intériorité dans l'extériorité même. Dans la plupart des cas, l'enjeu de la publicité se situe moins dans le fait de vendre un produit pour son utilité que pour les valeurs que le marketing confère à ce produit. Ainsi, si je suis encouragé à acheter telle paire de chaussures, ce n'est pas d'abord pour faire du sport, mais pour manifester un style de vie, pour m'approprier les valeurs et l'identité artificielle que le marketing a investi dans les chaussures en question.
Cette approche du monde et des personnes centrée sur l'extériorité induit beaucoup de vide et beaucoup de souffrance.

J'entends souvent des personnes dire qu'elles se cherchent ou qu'elles cherchent à être elles-mêmes pour trouver un sens à leur existence. D'autres craquent sous le poids d'une image à soigner et à entretenir coûte que coûte car lorsque l'aspect reluisant de leur extériorité se trouve compromis, elles ont l'impression qu'il ne leur reste plus rien.
Oui, dans ce contexte, l'interpellation de notre texte mettant en avant l'intériorité se présente à nous comme un défi, un appel à " nager à contre-courant " ; bien plus, notre texte nous place face à une responsabilité.
Cette responsabilité nous concerne tout d'abord nous-mêmes. Nous sommes appelés à prendre du recul par rapport à l'extériorité qui cherche à nous enfermer dans un monde en trois dimensions, et à " soigner " notre vie intérieure. Dans cette perspective, nous n'avons pas à attendre de Dieu des manifestations spectaculaires et visibles, mais à laisser l'Esprit-Saint agir en nous, afin que nous soyons toujours davantage enracinés et fondés dans cet amour qui transforme et renouvelle notre regard.
De nouveaux horizons se présentent alors à nous, et notre vie prend une autre dimension : nous découvrons que nous valons plus, infiniment plus que l'image que nous donnons de nous-mêmes et que ce que nous produisons ; nous découvrons que celles et ceux qui nous entourent valent infiniment plus, eux aussi, que ce qu'ils présentent et produisent ; nous découvrons, au-delà des situations de détresses et de souffrances auxquelles nous pouvons être confrontés, une promesse de vie. Car par sa puissance qui agit en nous, Dieu peut faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer.

Cette responsabilité réside aussi dans notre témoignage. Nous sommes appelés à rayonner ce que nous recevons dans la foi, à intercéder pour les autres comme le fait l'apôtre pour les Ephésiens, à proclamer à celles et à ceux qui se cherchent que le Seigneur les a déjà trouvés.
Oui, il est extrêmement important de porter ce témoignage aujourd'hui, et peut-être plus encore auprès des enfants et des jeunes. Car si les études, les loisirs et un certain confort matériel sont importants dans l'éducation, l'intériorité et un accompagnement spirituel le sont tout autant, et à plus forte raison dans un contexte qui favorise, voire exacerbe une extériorité qui, sans le concours de l'intériorité, se révèle bien vide de sens.
On entend souvent des parents dire qu'ils laissent à leurs enfants le choix de leur religion ou de leurs croyances. Mais la condition d'un tel choix me semble-t-il, c'est d'aborder la question de la spiritualité en se situant soi-même en tant que parents, afin de ne pas laisser les enfants livrés à cette extériorité dépourvue d'intériorité que propose la société de consommation.
En d'autres termes et de manière plus large, si l'on est poussé à acheter des produits qui promettent monts et merveilles, il faut aussi savoir relativiser ces messages publicitaires. La vie, la vraie, contrairement au slogan d'une chaîne de supermarchés français, ce n'est pas ça : elle ne saute pas aux yeux.

La vie, la vraie, advient dans l'amour, un amour que Dieu cherche à nous communiquer au plus profond de nous-mêmes et par lequel il nous porte, un amour qui nous transforme et qui nous permet de poser un autre regard sur l'extériorité, un amour qui ouvre notre vie à une autre dimension, et qui nous permet d'aimer à notre tour.
Alors, mettons-nous en route vers Pentecôte, plein de confiance ! Laissons l'Esprit agir en nous afin que notre homme intérieur se fortifie ! Et " A celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire dans l'Eglise et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles." Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Philippe Laubscher
Musique
Christian Mermet, flûte traversière