" Encore un peu, et tu vas me persuader de devenir chrétien ! ". Le roi Agrippa résiste à la force de conviction de la prédication de Paul, qui semble si sûr de lui ! A moins qu'il ne résiste aussi à l'appel de Dieu lui-même qui le cherche, comme il cherche chacun, vous et moi. Mais qu'est-ce qui pousse Paul à parler ainsi de sa foi, dans les palais des puissants où on l'amène pour s'expliquer, comme dans les prisons, auprès des esclaves fugitifs ou des geôliers ? Il le dit souvent dans ses lettres ou ses discours, ce n'est pas à cause de sa formation d'homme de lettres et de discours, ni de son désir personnel de faire parler de lui. Non, sa motivation à parler de sa foi vient d'abord de son étonnante rencontre avec le Christ, sur la route de Damas. Comme si une lumière avait traversé sa vie, changeant complètement l'orientation de sa pensée, avec une vue toute neuve sur son passé et sa foi traditionnelle. C'est comme si sa vie passait de l'état de négatif photo, sombre et avec les contrastes inversés, à un développement en couleurs sur papier brillant ! Et ce n'est pas seulement une expérience spirituelle personnelle, il reçoit aussi un message à transmettre, en fait un trésor à partager. Ce message n'est pas des plus faciles à dire. Le Christ lui demande d'appeler les gens à sortir de la nuit d'une vie sans Dieu, pour autant qu'ils s'en rendent compte, pour revenir à Lui et se laisser renouveler dans une existence où tout ce qui sépare et qui détruit par rapport à Dieu, à soi-même et aux autres, peut être vu sous l'angle du pardon et de nouveaux commencements. Ce message universel n'a pas le goût de la conquête qu'on lui a trop souvent fait prendre, notamment dans le sillage des colonisations opérées par le monde occidental. Même si la foi chrétienne, comme d'autres d'ailleurs, se veut universelle dans son appel, elle ne peut pas faire l'économie du témoignage de vie partagée et doit attendre que la rencontre se fasse entre telle personne et le Christ. Il y a là un mystère à respecter, comme on ne peut pas tirer sur une plante pour la faire pousser plus vite. Il n'en reste pas moins que le Christ a envoyé ses amis partager ce message jusqu'au bout du monde. Sans prétention d'un succès assuré, mais avec passion.
Aujourd'hui, dans notre contexte, parler de sa foi, de ses convictions sur le sens de la vie ou de la mort, de la marche du monde, est considéré trop souvent à mon goût comme faisant partie de la sphère privée. Chacun ses idées, dit-on, tant qu'on ne dérange pas les autres. Autant ne pas parler pour créer des polémiques inutiles. Pour ne pas trop s'exposer, on se justifie ou on se rassure en se disant qu'on est croyant, même si non pratiquant. Il y a une incohérence dans cette discrétion de la foi chrétienne. On ne peut pas vivre comme chrétien tout seul ! Et nos Églises se meurent de cette discrétion, qui est souvent aussi de l'indifférence. Que ceux qui se disent croyants non pratiquants se manifestent un peu plus, aussi dans leurs remises en questions, dans leurs reproches et leurs doutes, et qu'ils nous aident à changer ce qui doit l'être. Leur silence pèse plus lourd qu'ils ne l'imaginent, notamment face à d'autres mouvements ou religions qui n'ont pas leur langue dans leur poche …
C'est vrai, l'annonce publique de ce message est souvent mal perçue, plutôt reléguée du côté des sectes ou des fanatiques. Paul a été, lui, un fanatique religieux. Contre les chrétiens, il voulait défendre par tous les moyens la pureté de sa foi juive. Mais après sa rencontre avec le Christ, il ne sera plus jamais fanatique. Passionné, ça oui, de Dieu et des hommes que Dieu aime lui aussi passionnément. Paul tentera toujours de soumettre son message et son caractère -ça a été difficile parfois- à cet amour qu'il a reçu et qu'il désire partager. Quand on aime, on ne compte pas, dit-on. Paul, mais d'abord Dieu s'est en effet donné sans compter pour appeler les hommes à la vie, à conformer leurs relations à son projet d'amour initial pour cette création : en faire un espace de rencontre et de partage. C'est une folie, une utopie, si l'on regarde l'état actuel du monde. Mais l'espérance qui naît d'une relation d'amour avec Dieu dépasse souvent les découragements devant la situation du monde, et pousse à s'engager sur un chemin de justice. S'il y a de quoi changer la vie d'une personne, il y a aussi de quoi changer la face du monde dans la vie chrétienne. C'est pour cela que des puissants ont souvent voulu s'en saisir pour favoriser leurs propres projets de pouvoir, prenant même la place de Dieu pour juger qui irait au paradis ou en enfer, ou pour justifier des inégalités entre riches et pauvres, imaginer des catégories de gens élus ou au contraire réprouvés. Dieu n'a pas fini de pleurer ces trahisons faites à son amour, et toutes les injustices commises ne sont pas tombées devant les yeux d'un aveugle, ni les cris des persécutés dans les oreilles d'un sourd. L'amour de Dieu va de pair avec sa justice. Mais cet amour-là comporte aussi un risque terrible, celui de la liberté, sinon ce n'est plus l'amour. Liberté d'aimer Dieu ou pas en retour, risque que les humains restent sourds à ses appels. Les oreilles, surtout celles du cœur, ne sont pas l'organe le plus développé chez nous autres…
Dieu, par contre, n'est indifférent envers personne. On croit souvent qu'il ne nous entend pas, qu'il est occupé ailleurs, ou qu'il n'existe tout simplement pas. C'est que souvent nous le cherchons là où il n'est pas, rivés sur nos rêves d'un Dieu magicien, ou sur nos craintes d'un Dieu perçu comme un juge sévère ou un patron trop exigeant.
Pour Paul, ce qui le pousse à annoncer ce message, à part l'amour de Dieu pour toute sa création, c'est aussi la situation difficile du monde telle que Dieu la voit. Si tout allait bien, Dieu ne se donnerait pas tout ce mal ! Il aurait volontiers évité la Croix, lieu où il a pris sur lui toutes les injustices. Dieu voit avec tristesse ce monde, ainsi que Paul l'exprime, qui se laisse dominer par le pouvoir de choses qui mènent à l'obscurité et à la mort, choses personnifiées dans la figure de Satan.
Le message contient un enjeu de taille, c'est la vie éternelle. On pourrait le résumer ainsi : avec qui, et où voulez-vous passer l'éternité ? Ce sont nos choix de vie qui vont notablement influencer cette destinée, et notre relation avec Dieu. Paul se place là dans la tradition religieuse de son peuple, mais on retrouve quasi universellement cette image de l'humanité comme regardant du mauvais côté, là où il fait sombre, et pas du côté de la lumière. Et cela fait bien quelques centaines de milliers d'années que l'homme réfléchit sur sa destinée après la mort. Il doit bien y avoir quelque chose de vrai là derrière. Aujourd'hui, dans nos sociétés trop rationalistes, nous nous sommes souvent coupés de ces profondes racines qui remontent à l'aube de notre création.
Alors, notre monde avance à tâtons dans le noir et se console ou, pire, se bat constamment autour de ce qu'on trouve de brillant sur cette route incertaine, par exemple l'or, qui fait s'allumer tant de convoitises, le feu des puits de pétrole ou des incendies de la déforestation, ou encore les lumières des scènes médiatiques qui font briller et aussi s'éteindre des stars éphémères, étoiles filantes de l'économie, de la politique ou du spectacle. Pour quel résultat enfin ? Le gain -provisoire- des uns se réalise presque toujours sur une perte pour les autres. Et ce fort déséquilibre cause de nombreuses souffrances et conflits interminables.
Nous aspirons tous à une autre lumière qui nous tracera un meilleur chemin à faire ensemble. On trouve dans un Psaume cette déclaration de foi : ta parole, Seigneur, est une lampe devant mes pas, une lumière qui éclaire ma route. Malgré tout, ce message de lumière s'est frayé un chemin dans un monde souvent sombre et il surgit encore intact aujourd'hui, au milieu de nous. Une lampe n'est pas faite pour être mise sous un seau, dit l'Evangile. Alors, des hommes, des femmes, des enfants continuent de porter la flamme de la foi dans leur vie et dans le monde, osent annoncer et partager cette apparente folie de la foi chrétienne. Comme la fièvre joyeuse et communicative d'avoir découvert un trésor. Imaginez votre réaction si vous gagnez le gros lot à la Loterie. Le premier moment de stupeur passé, vous allez finir par y croire et vous ne resterez pas longtemps non-pratiquant ! Vous allez réaliser de beaux projets… Imaginez alors Paul, et tous les croyants, nous autres, qui ont reçu bien plus que le gros lot, la vie éternelle avec Dieu, et en bonus une motivation incroyable pour la vie d'ici-bas. Vous comprendrez que ça puisse donner un peu d'excitation ! Cette passion bouscule un peu, dérange parfois, parce que comme devant Agrippa, ce message demande une réponse personnelle, non pas à une philosophie, pas à la croyance naturelle qu'il y a peut-être bien quelque chose au-dessus de nous, mais à la personne même de Jésus Christ.
La foi chrétienne n'est pas naturelle, elle est une révélation que nous sommes appelés à chercher, toujours dans l'idée que Dieu ne nous a pas programmés pour être des marionnettes devant lui, mais des êtres de relation. La Bible contient une promesse pour tous les chercheurs de cette relation avec Dieu : qui cherche… trouve. Annoncer et vivre ce chemin ensemble est notre vocation.
C'est peut-être une folie aussi, en un sens, car la foi ne repose pas sur des preuves visibles, simplement des signes dans des vies transformées par la présence de Dieu. Mais cette folie apparente contribue grandement à rendre heureux. C'est peut-être cela aussi, encore plus que les arguments de Paul, qui a attiré l'intérêt du roi Agrippa, le poussant à réagir. Et vous, qu'en dites-vous ?
Amen.