Écouter le culte :
Jean-Christophe Jaermann (JCJ)
Dis-donc, ces textes, c’est pas tout simple à comprendre quand on les entend comme ça, juste lus une fois. Ça me paraît pas mal compliqué, la Bible. Et pour toi ?
Frédéric Steinhauer (FS)
Oui, pour moi aussi parfois, ça dépend dans quel passage, je ne comprends pas tout du premier coup. Je dois m’arrêter, réfléchir, relire, chercher dans mes références, dans un dictionnaire biblique, un commentaire, lire les notes de bas de page. Il y a un langage avec lequel se familiariser, des mots-clés qui ouvrent… des univers de sens ! La Bible n’est pas comme un roman ou un journal. Et puis il y a le décalage culturel ! Rends-toi compte, plus de 2'000, 3’000 ans même, suivant les textes, et ça se passe dans le Moyen-Orient, on n’est pas dans notre Nord Vaudois familier !
JCJ : Mais là, juste pour ce qu’on a lu aujourd’hui, explique-moi un peu. Dans le passage du remplacement de Judas, les autres disciples ont une drôle de manière de lire la Bible, on dirait qu’ils piquent des mots presque au hasard : « Qu’un autre prenne sa charge », tiré d’un Psaume, apparemment rien à voir avec leur histoire récente. C’est vrai, j’ai été voir, ce Psaume parle bien d’un méchant qui doit être mis de côté et remplacé, mais pourquoi est-ce qu’ils ont tout le temps besoin que l’Écriture s’accomplisse à la lettre ? Ça me paraît un peu artificiel !
FS : C’est vrai, on peut se poser des questions sur leur utilisation des textes, mais souvenons-nous qu’ils avaient une autre culture littéraire que nous, ils ne pratiquaient pas l’explication de texte comme on le fait aujourd’hui, avec référence au contexte, au style, au public à qui ça s’adresse, etc.
JCJ : Alors, quand on entend parler de Vérité, comme tout à l’heure dans le texte de l’Évangile de Jean : « Ta parole est la Vérité », ça semble un peu léger comme parole. Pour pousser un peu, si je cherche bien, je pourrais même trouver, en rassemblant quelques versets, la recette du gâteau aux pommes !
FS : Ouh là, tu y vas un peu fort ! Dans l’Évangile de Jean, il y a justement ce que je te disais : des mots-clés. Le mot « Parole », par exemple, c’est tout un monde, et le mot « Monde » aussi, c’est tout un monde, il a plusieurs significations.
JCJ : Là, tu m’embrouilles, ça redevient compliqué pour un type comme moi, qui ne suis pas très littéraire.
FS : Acceptes-tu d’y consacrer un peu de temps ? Ces textes ne sont pas du « vite lu, vite jeté » comme le journal 20 minutes, il y a plus que de la simple information. Ce n’est pas du fast food littéraire ! Je te donne une image : ces mots comme « la Vérité, la Parole, le Monde, l’Amour », ce sont des mots comme des boutons de fleurs, ils doivent éclore peu à peu, au fil du temps qu’on passe à les regarder danser sous le souffle inspiré de la plume des écrivains bibliques.
JCJ : Là tu deviens poète, où vas-tu m’emmener ?
FS : Restons un instant sur la Parole et sur la Vérité. Pour l’Évangile de Jean, ce ne sont pas juste des mots, c’est carrément la personne-même de Jésus, qui est venu redire comment Dieu voit les choses, même les choses écrites, au seul filtre de l’Amour.
C’est ce qu’on a lu aussi tout à l’heure dans la lettre de Jean : Dieu se rend lisible, visible même, dans la personne de Jésus et dans l’amour partagé entre les croyants. Ça va plus loin que le seul texte écrit. La Bible n’est pas qu’un livre de papyrus, de parchemin ou de papier avec des mots écrits à l’encre, c’est un livre d’air, de souffle et d’Esprit. Et c’est cela la Vérité : les mots sortent du texte, ils ont une vie et renvoient tout le temps à ce Dieu d’amour, et à la personne de Jésus, qui a osé affirmer cette célèbre phrase : «Je suis le chemin, la Vérité, la vie.»
Écoute bien : quand il dit « JE SUIS », on a déjà l’oreille qui se tend. « JE SUIS », c’est le nom de Dieu pour la Bible d’Israël. Alors on comprend tout de suite le lien entre Dieu et Jésus, entre Jésus et la Parole, entre la Parole et la Vérité. C’est une vérité de révélation et de relation que personne ne peut posséder, puisque c’est Jésus lui-même. Il veut se laisser découvrir, il ne s’impose pas, comme on a malheureusement cru pouvoir le faire en son nom durant pas mal de siècles, mais on s’est gravement trompés.
JCJ : Alors selon toi c’est quoi, la Vérité ? C’est écrit où ?
FS : Ce n’est pas forcément « quoi », mais « qui », comme je te dis, pas un texte précis : c’est Jésus-Christ lui-même. Tu connais le proverbe chinois qui dit : « lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » ?
JCJ : Non je ne le connais pas. Tu es en train de me prendre pour l’imbécile du proverbe, peut-être… ?
FS : Mais non, rassure-toi, loin de moi cette pensée ! Tes questions sont très sensées, au contraire. Ce que je veux dire, c’est que lorsqu’on lit la Bible, il ne faut pas manquer de lever les yeux du texte et des mots pour regarder à Dieu, à travers Jésus Christ et son message basé sur l’invitation, et même le commandement à aimer : aimer Dieu, et son prochain comme soi-même. C’est peut-être bien ça, finalement la vérité. Tout le monde y aspire, non ? Tout le reste n’est que garniture, comme dit une célèbre publicité suisse. Et cela apporte de la joie : voilà encore un mot-clé de l’Évangile de Jean, la joie…
La Bible n’est pas un texte verrouillé, elle renvoie toujours à une personne, Dieu, ou Jésus, pas à un système codifié de lois et de principes. La religion se veut relation. C’est beau, non ?
JCJ : Ouais, c’est beau… Mais ne ferait-on pas mieux de tout simplifier et de ne laisser que quelques phrases de la Bible, les plus significatives, le « vrai » message de Jésus: la vérité en quelques pages ? Ça économiserait pas mal de lecture, et du papier ! Plus de gens le liraient aussi, tu ne crois pas ?
FS : Non, surtout pas modifier le texte ou le raccourcir ! Jésus a dit qu’il ne venait pas effacer même un point sur le « i » de la Bible d’Israël, mais qu’il venait accomplir ce qu’elle disait. Cette grande histoire de la quête de Dieu par les hommes et de la quête des hommes par Dieu dans la Bible est un héritage précieux de tous ceux qui nous ont précédé sur le chemin de la foi. Toi, moi, nous tous, nous pouvons nous retrouver en eux dans nos propres chemins de découvertes ou de questionnements. Et apprendre aussi de leurs erreurs ! C’est précieux, tout ça, même si ça peut paraître un peu compliqué au premier abord.
JCJ : Oui, c’est précieux. Une dernière chose : explique-moi cette prière de Jésus pour que tous soient UN, parce que je vois que les chrétiens sont pas mal divisés de par le monde, même dans nos villages, ils se reprochent des interprétations différentes de la Bible, justement.
FS : Cette prière de Jésus est une espérance au long cours, et en même temps un défi pour ceux qui le suivent, de rester unis à lui, comme lui l’est à Dieu, malgré des différences et des tensions, puisque la foi chrétienne s’est répandue dans de nombreux pays et cultures.
Il est vrai que des « querelles de chapelle », comme on dit, divisent les chrétiens. Jésus nous appelle cependant à dépasser nos clochers (comme dans l’histoire du sage et du sot) et à réaliser que c’est seulement l’amour entre les chrétiens qui bâtit plus largement l’Église et qui attirera des gens vers lui.
Ce qui a attiré les gens vers le christianisme au tout début n’était pas un nouveau système religieux, mais un message incroyable et neuf, notamment ce commandement d’aimer, avec sa radicalisation dans l’amour même des ennemis.
Il y a d’un côté des radicalismes religieux terribles (bien sûr infiltrés par d’autres idéologies) qui poussent à tuer même des proches, et de l’autre côté il y a le radicalisme de Jésus qui pousse à aimer, bien plus loin que ses proches, même ses ennemis ! Lui est allé jusqu’au bout de la cohérence de sa foi en Dieu et en sa Parole. Au seul nom de l’Amour. C’est peut-être bien plutôt cela, la Vérité, non ?
Amen.