La source de la joie

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Pour retrouver la paix et la joie perdue, comme le suggèrent les paroles de ce negro spiritual, il existe une clé : déposer, là au bord de la rivière, la violence, la haine, toutes ces défenses derrière lesquelles je me cache et me protège. Il me faut beaucoup de courage et d’humilité pour laisser ainsi mes certitudes et mes protections. Je n’ai pas l’habitude de m’abandonner et de faire inconsidérément confiance. Je n’aime pas perdre le contrôle.
Les autorités religieuses du temps de Jésus – et de tous les temps d’ailleurs – n’aimaient pas non plus perdre le contrôle de leurs fidèles, parce que leur rôle, selon elles, consiste précisément à cadrer la foi, empêcher les débordements et bannir les excès, par des règles précises et efficaces.
Jésus, lui, n’accordait pas une importance démesurée aux règles précises et efficaces, je dirai même qu’il n’en avait rien à faire, parce que les règles sont en général au bénéfice de ceux qui les édictent ; et comme ces derniers se soucient aussi peu du bonheur du peuple que de celui de leur bétail, la cause est entendue. Jésus suit la seule règle qui porte du fruit : le respect et l’amour du prochain avant tout autre intérêt. Jésus dérange donc, profondément, parce qu’il croit davantage à la confiance qu’à la coercition.
Lévy, le percepteur d’impôt faisait partie de ceux qui édictaient les règles, il travaillait avec les Romains, il avait le pouvoir, l’argent et le contrôle. Tout aurait pu continuer ainsi, si Jésus n’était pas passé par là !

Nos trois récits, du percepteur d’impôts, du berger et de la femme ont en commun le jaillissement d’une grande joie au sein même d’une situation de désarroi total. C’est évident pour les 2 dernières ; pour Lévy, le percepteur, il nous faut imaginer que tel était aussi son cas, comme pour Zachée son collègue. Comment expliquer l’abandon immédiat de sa fonction et le gigantesque festin qu’il a organisé ensuite, si sa rencontre avec Jésus ne l’a pas sorti d’une situation profondément malheureuse.
Ces trois explosions de joie n’ont rien à voir avec le plaisir que procure tel ou tel événement heureux : une rencontre sympathique, un beau paysage, une belle œuvre d’art, une nourriture agréable. La joie de l’Évangile est d’une autre nature.
Ce qui la définit cette joie, c’est son origine, sa source. Dans nos petites paraboles, cette source réside d’abord dans la joie de retrouver un objet ou un être précieux ; c’est plus intense et plus absolu qu’un moment de plaisir. Ce que vous ressentez est d’une intensité rare, cela explose, on a envie d’en parler à tout le monde, même à ceux que cela n’intéresse pas ! Cette intensité n’est pourtant pas encore la caractéristique première de cette joie particulière à laquelle se réfère Jésus.

Ce qui devrait nous mettre la puce à l’oreille, c’est le parallèle que Jésus fait entre la joie de la femme et celle des anges dans le ciel. Les anges n’ont pas d’argent, ni de brebis, c’est bien connu, ils ne sont pas comme nous, ils ne perdent rien et ils ont beaucoup de chance. Leur joie a donc une autre raison. Jésus l’explique : ils sont heureux de voir un homme et une femme heureux. C’est simple, c’est profond, c’est essentiel ! « Oui, je vous le déclare, dit Jésus, il y a une immense joie chez les anges de Dieu, pour un seul pêcheur qui se convertit.» La joie du percepteur d’impôt, du berger et de la femme fait plaisir à voir certes, mais on a ici bien plus encore. Ce qui fait sauter de joie l’ange Gabriel – les Archanges et pourquoi pas Dieu lui-même – c’est qu’un lien brisé à tout jamais, semblait-il, soit rétabli ; qu’un vide, un désespoir, une situation sans issue, soient surmontés.
Comprenons bien, ce qui a bouleversé le père dans la parabole du Fils prodigue qui suit nos deux histoires, c’est de constater brusquement qu’un lien relationnel, qu’il pensait disparu pour toujours, existait à nouveau avec son fils.
Ce qui a certainement bouleversé Lévy, c’est de constater qu’un représentant de Dieu lui parle personnellement, aimablement, respectueusement, lui qui ne constatait habituellement que méfiance, peur et haine sur les visages qui se présentaient.
La joie que procure le jaillissement d’une relation considérée comme impossible, vous prend aux entrailles, elle sourd du plus profond de vous-même, elle vous envahit et vous submerge. Elle naît de l’entre-deux d’une relation, elle est totalement en vous, elle est indicible, elle est « imprenable » dira la théologienne Lytta Basset. La joie que Dieu suscite en nous ne dépend pas des circonstances, elle nous habite, magistrale parfois, fragile et discrète par contre dans les moments de souffrance.

La force et la puissance de la joie de Dieu ne peuvent jaillir, ô paradoxe, que de la faiblesse qu’engendre le dénuement. C’est dans la faiblesse que la vie nouvelle prend racine. « Ma puissance prend toute sa mesure dans la faiblesse, dit Dieu», ce qui permet à l’apôtre Paul de s’écrier : « lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (II Cor.12, 10).
Je me souviens d’un ami pasteur en Afrique, respecté de tous, mais beaucoup trop blanc, beaucoup trop savant, beaucoup trop fort pour être vraiment proche de ceux qu’il côtoyait, en particulier de son plus proche collaborateur. Il a fallu que cet ami pasteur commette une magistrale erreur, qu’il montre aux yeux de tous qu’il n’était ni tout puissant, ni omniscient, pour qu’un dialogue vrai puisse s’établir. On ne communique pas avec un géant, il faut que celui-ci s’abaisse au niveau de nos fragilités pour qu’une véritable relation de confiance puisse jaillir.
Dieu doit descendre du piédestal sur lequel l’homme le place, pour que quelque chose d’humain et de relationnel s’établisse entre lui et ses créatures. Sa naissance dans une grotte, un lieu de misère, n’est pas un accident, un malheureux concours de circonstances ; c’est une nécessité. Les nantis résidaient à l’hostellerie, les pauvres dormaient dans la nature. Le choix est inéluctable puisque c’est uniquement dans le dépouillement que Dieu pourra rencontrer ses créatures, que les circonstances de la vie auront trop souvent chahutées et désillusionnées, mais prêtes alors à saisir cette main bienveillante que Dieu leur tend.
La joie de l’Évangile s’inscrit toujours dans la chaleur d’une relation qui produit à son tour cette inimaginable découverte : Dieu a besoin de ma joie pour être lui-même parfaitement heureux. Son bonheur dépend du mien. Je suis la source de sa joie, comme il est la source de la mienne. Je suis important à ses yeux. C’est pour cela qu’il est si important pour moi ! Si nous appelions cela, tout simplement… l’Amour ?

Détails

Avec la participation de
Orgue
sans
Musique
Come on, groupe de Negro spirituals