La Chapelle des Terreaux à Lausanne retrouve sa vocation première

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Depuis très longtemps, negro spirituals et Gospels songs rythment la vie du peuple noir américain. Et si ces chants religieux expriment une forte espérance, les histoires, les contes, et l’humour évoquent parfois le Christ comme pour bien exprimer une forte conviction noire qui fait écho à la bonne nouvelle de l'Evangile : jamais le Dieu vivant, dont Jésus révèle le visage, n'aurait soutenu l'esclavage ou la ségrégation et le racisme qui suivirent. Voici par exemple une histoire comme on aimait à les raconter dans les années 50 au sein des communautés noires.
Un Noir passablement religieux, prénommé Sam, fut invité par le pasteur blanc de sa ville à participer au culte dans son église le dimanche suivant. De cette manière disait le pasteur, beaucoup de paroissiens viendraient au culte, puisqu’habituellement les Noirs n’y étaient pas admis. Le dimanche suivant, l'église était pleine à craquer, mais Sam ne se montra point. Le lundi, lorsque le pasteur croisa Sam, l'informa de la nombreuse assistance, il lui demanda pourquoi il ne s'était pas montré. Sam lui répondit :« Dans la nuit de samedi à dimanche, j’ai fait un rêve, je voyais le Christ à qui je parlais de cette invitation. Le Christ m'a alors confié qu'il avait tenté d'entrer dans cette même église durant cinquante ans, sans succès. Alors j’ai changé d'avis. Puisque le Christ ne pouvait y entrer, j'ai pensé que ce n'était pas un bon endroit pour moi. »
La stratégie du pasteur blanc était pourtant très convaincante, tout était en place pour que son église apparaisse ouverte à tous. Et pourtant cette conversation inattendue avec le Christ sème le trouble.

Et s’il allait de même cette nuit de Noël... Tout est en place. Depuis des semaines des forêts de petits sapins ont envahi la Riponne. Les rues sont illuminées, les vitrines sont décorées, le Lausanne Palace s’est métamorphosé en paquet-cadeau comme chaque année à pareille époque, la cathédrale de Lausanne a revêtu un costume hollywoodien !
Tout est prêt pour la nuit de Noël. Alors : Joyeux Noël ! Joyeux, non ?
Non, car cette histoire de la naissance de Jésus est l’histoire de gens pour qui il n’y a ni place ni temps. Non parce tout ça ne dit rien de l’essentiel. Non, parce que j’aimerais tant que Noël soit plus que des lumières vite éteintes, des décorations vite rangées et des solidarités vite oubliées. Non, parce que cette nuit j’aimerais que ce rappel d’une naissance me concerne.
Tout est prêt pour la nuit de Noël. Seulement, il n’y a pas de place ! Pas de place pour Joseph et Marie. Ni dans les auberges, ni dans les caravansérails ! Pas de place !
Pas place pour les vieux parce qu’ils sont trop vieux et qu’ils coûtent trop cher !
Pas de place pour les jeunes parce qu’ils sont trop jeunes et qu’ils n’ont aucune expérience. Pas de place pour les chômeurs parce qu’ils ont perdu leur place ! Pas de place pour les pauvres parce qu’ils sont mal placés ! Pas de place pour les étrangers parce qu’ils prennent des places ! Pas de place pour les réfugiés parce qu’ils sont déplacés ! Pas de place pour les 523 Bosniaques parce qu’on est déjà bien assez de Vaudois ! Pas de place pour les handicapés, parce qu’ils ne sont pas à leur place ! Pas de place pour les rêves parce qu’ils ne tiennent pas en place ! Vraiment désolé, pas de place !

Pas de place dans notre société où faire une place à quelqu’un, c’est déjà lui décerner une identité. Pas de place dans notre société où faire une place à quelqu’un, c’est déjà lui accorder un rôle, lui consentir un rang. Pas de place dans notre société où faire une place à quelqu’un, c’est reconnaître qu’il compte. Jésus naîtra donc sans statut. Dès ses premiers jours, ce Jésus est condamné à n’être qu’un errant. Le voici dès le début sans domicile fixe. Le voilà avec ses parents contraint et forcé à prendre la route pour se réfugier en Egypte ! Et adulte, il découvrira bien que « si les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids, lui, il n’a pas où reposer sa tête » (Luc 9, 58).
Notre société est si affairée, si à l’étroit dans ses calculs qu’il ne lui reste pas une place où hier Marie aurait pu mettre son enfant au monde, pas une place où aujourd’hui quelques réfugiés pourraient définitivement reprendre souffle, pas de place où quelques sans domicile fixe pourraient tranquillement se poser ! À Lausanne par exemple, on a démonté quelques bancs précisément pour que ceux dont on ne veut pas ne trouvent plus place assise au centre-ville !
Et s’il n’y a plus de place pour l’humain, soyez sûrs qu’il n’en reste plus pour Dieu. À moins que justement la seule place que Dieu revendique soit précisément parmi ceux qui ne trouvent pas de place. Allez savoir ?

Mais s’il n’y a pas de place, est-ce qu’il y a au moins du temps ? Du temps pour accueillir ce jeune couple dont la femme est enceinte ? Du temps pour écouter les histoires lourdes de ceux qui frappent à la porte de notre pays ? Du temps pour se montrer attentif à ceux qui, juste une fois, aimeraient être entendus ?
Vous avez dit du temps ? Non, pas davantage !
Sinon serions-nous obligés de courir pendant tout le mois de décembre ? Et n’accusons pas les jours qui soi-disant « raccourciraient ». C’est tout faux ! Simplement jusqu’au 21, ils ont moins de lumière, c’est tout.
Pas de temps ! Pas de temps pour les vieux qui ont fait leur temps ! Pas de temps pour les jeunes pour qui le temps viendra bien assez vite ! Pas de temps pour les chômeurs qui devraient comprendre qu’on a autre chose à faire ! Pas de temps pour les pauvres qui eux en sont riches ! Pas de temps pour les étrangers qui repasseront plus tard ! Pas de temps pour les réfugiés qui pourraient s’adresser ailleurs ! Pas de temps pour les 523 Bosniaques parce qu’on arrive déjà pas à s’occuper de tous les Vaudois ! Pas de temps pour les handicapés qui ne se rendent pas compte ! Pas de temps pour les rêves qui ne rapportent rien ! Vraiment désolé, pas le temps !
Pas de temps dans notre société où chaque minute compte. Pas de temps dans cette société qui, comme le disent avec discernement les Africains, a l’heure – parfois même l’heure exacte - mais pas le temps. Pas de temps dans notre société où il est nécessaire de préciser quelle année, quel mois, quel jour, voire même à quelle heure vous êtes né, tout cela pour exister véritablement. Jésus naîtra donc sans fiche d’identité, sans date, sans jour, sans preuve de son existence dans un registre.

Notre société est si occupée, si coincée dans ses horaires, ses calendriers et ses plannings qu’il ne lui reste pas un temps où hier Marie aurait pu mettre son enfant au monde, pas de temps où quelques paumés pourraient conter leurs mésaventures, pas de temps à consacrer où quelques vieux pourraient avouer leurs fatigues et partager quelques souvenirs usés.
Et s’il n’y a pas de temps pour l’humain, soyez sûrs qu’il n’en reste plus pour Dieu. A moins que justement le seul temps que Dieu revendique soit celui de ceux qui ne le calculent pas, ceux pour qui l’expression time is money ne veut rien dire. Allez savoir ?
Oui, c’est certain, Dieu vient au plus mauvais moment ! Il aurait pu attendre que Joseph et Marie soient mariés, installés, que son entreprise de charpente se soit développée. Il aurait pu attendre que vous soyez moins stressés, que j’ai repris souffle après ce mois difficile. Il aurait pu attendre que nous soyons prêts, disponibles, frais, reposés, pour être véritablement attentifs. Au lieu de débouler sans crier gare, il aurait pu attendre, non ?
Non ! Il n’a pas voulu attendre, car c’est précisément au cœur de nos « pas de temps, pas de place » que Dieu vient ! Autant dire que Dieu n’attend pas que je lui cède la place ou que je lui offre mon temps ! Mais Il vient quand même pour vous rencontrer coûte que coûte ! Du coup Noël, ça peut être cette nuit, comme n’importe quel jour !
Il n’attend pas que nous ayons un créneau à lui proposer, tant il sait bien que demain signifie si souvent pour nous jamais.
Oui, c’est certain, Dieu vient au plus mauvais moment. Dieu vient au plus mauvais moment non pas pour suppléer à mes manques d’espace et de temps. Dieu vient au plus mauvais moment, mais non pas pour rééquilibrer à ma place l’espace et le temps que j’octroie à mes proches, aux vieux et aux jeunes, aux chômeurs et aux pauvres, aux étrangers et aux réfugiés ou aux handicapés ou aux autres que j’oublie.
Dieu vient au plus mauvais moment non pour me culpabiliser, mais pour me monter que chaque moment permet sa rencontre. Non, Dieu vient au plus mauvais moment, car c’est le meilleur moment, le seul susceptible d’ébranler mes fondements. Dieu vient au plus mauvais moment, car c’est le meilleur moment pour que l’espace et le temps ne soient plus des dimensions à conquérir et monnayer, mais à recevoir. Dieu vient au plus mauvais moment, car c’est le meilleur moment pour me réveiller à la vie.
Dieu vient toujours par surprise, pour que je puisse avoir prise sur ma vie. Pas de place, pas de temps. Tant mieux, puisqu’Il vient.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Daniel Favez (piano)
Musique
Carlo Bounous (contrebasse)