Croissance. Mot magique ! Croissance : augmentation des biens, des possibilités de vie, pensons-nous. Il nous faut des courbes qui grimpent, c’est la preuve de la vitalité de notre économie. Là où la croissance s’arrête, on s’inquiète aussitôt, on parle de stagnation ou même de récession. Croissance des résultats financiers, des innovations techniques, des découvertes scientifiques – c’est l’indice du dynamisme d’une économie saine. Comment ne pas s’en réjouir ? Tout le monde – ou presque – en profite.
Mais souvent les choses se gâtent : la croissance s’emballe et se multiplie de manière désordonnée ; elle ne peut plus s’arrêter et se comporte comme une monstrueuse maladie qui va étouffer celui qui en est porteur. Toujours plus de profits, toujours plus grands, toujours plus de bouches à nourrir et toujours plus de destructions dans notre environnement et celui d’autres pays. Là, la croissance nous échappe, elle dévore ceux qu’elle devait servir. Elle devient le moloch qui demande chaque jour un tribut plus lourd à ceux qui l’adorent.
Cela, c’est notre monde, qui fonctionne sur le mode « toujours plus ! ». Qu'en est-il dans le monde de Dieu ? Écoutons sur ce sujet une petite histoire que Jésus a racontée. Elle est tirée de l’évangile de Marc, au chapitre 4, les versets 26 à 29 :
« Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui jette la semence en terre. Qu’il dorme ou qu’il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, on y met la faucille, car c’est le temps de la moisson ».
Cette petite histoire nous parle de quelque chose que nous pouvons observer dans nos jardins ou dans les champs ; en même temps, elle nous parle de quelque chose que nous ne connaissons pas : la réalité de Dieu dans ce monde. Et voilà qui sort de l’ordinaire, qui est intéressant et même autrement plus important que ce que nous voyons autour de nous – car la réalité de Dieu a davantage d’avenir que la nôtre.
Une semence cachée dans la terre. Depuis toujours, l’homme a cherché dans la réalité qui l’entoure des preuves de l’existence de Dieu. Il a cru en trouver d’évidentes, ou bien il a cru ne pas en trouver. Pour les uns, qu’il y ait tant de mal et de souffrance dans le monde est bien la preuve qu’un Dieu bon ne peut pas exister ; d’autres croient que la réalité de Dieu a pu se cacher dans un homme, Jésus de Nazareth, et son message, et ils voient des signes de cette réalité parmi les hommes, et parfois en eux-mêmes. Mais il est vrai pour celui qui ne croit pas comme pour celui qui croit que, dans notre monde, tout semble parler contre cette réalité de Dieu : la haine et la violence, le mépris, la cupidité et l’égoïsme croissent bien plus facilement et abondamment que l’altruisme, la générosité et le respect. Dans les développements souvent si peu harmonieux de notre monde, il est difficile d’imaginer qu’une autre croissance les habite et que c’est à elle que l’avenir appartient. Mais, sous les apparences, la semence est bien là.
C’est la première chose que l’on peut retenir de la parabole de Jésus : notre histoire humaine n’est pas abandonnée au seul accroissement destructeur et stérile. Elle enferme une promesse. Dans un champ que nous croyions voué à la mort, il y a semence de vie, et personne ne pourra plus l’enlever. Elle est enfouie, elle peut paraître étouffée et fragile dans la masse qui la contient, mais elle résiste à toutes les sécheresses et tous les hivers, au martèlement des armées en guerre aussi bien qu’à l’oubli dans les foyers. Elle est l’avenir du monde, même s’il ne le sait pas, elle est ce qui rend cette terre féconde et digne d’être aimée, qui mérite qu’on lui accorde malgré tout notre espérance.
Et c’est la seconde chose qu’on peut dire : non seulement la semence grandit, mais elle le fait indépendamment de nos efforts. Nous, les hommes, trouvons que la nature est souvent trop lente. Nous avons voulu l’améliorer, nous avons sélectionné des semences à croissance rapide, nous administrons aux animaux des hormones et aux plantes des accélérateurs de croissance qui donnent des viandes et des fruits rapidement mûrs, mais sans saveur. Nous sommes impatients et voulons amener la nature à vivre à notre rythme. Mais nous ne pouvons forcer sans dommage les temps nécessaires à la maturation : il faut 9 mois pour qu’un enfant se tisse dans le sein de sa mère, et il est fortement déconseillé de raccourcir ce délai !
Il n’a pas manqué, il ne manque pas de croyants qui estiment qu’il faut hâter la venue du Royaume de Dieu. Ces gens zélés ont plutôt préparé quelques petits et grands enfers. Prendre les choses en main, agir ici ou là quand on a l’impression que Dieu en fait décidément trop peu, lui montrer où est le mal et l’éradiquer soi-même – c’est tout simplement vouloir remplacer Dieu, c’est le moteur de tous les fanatismes. Mais Dieu, Lui, agit autrement : il se fraye au rythme qu’il choisit, il se fraye sans violence, pour ne rien détruire des fragilités humaines, sans forcer les libertés et nos propres rythmes personnels, il se fraye à travers la terre humaine souvent si dure et si aride, le chemin qui prépare la moisson.
Quelle paix, quelle joie pour nous de croire que Son Royaume vient, et que nous n’y sommes pour rien ! Alors que les églises européennes se vident, que le découragement gagne ceux qui restent, que pasteurs et prêtres prédisent la disparition de communautés quelquefois séculaires – qu’il est bon, qu’il est reposant de placer sa confiance en Celui qui a promis que jamais, il ne nous abandonnerait. Cela devrait faire de nous des chrétiens décontractés, certes non pas inactifs, mais non plus tourmentés par les résultats de nos semailles.
Chers paroissiens, chers auditeurs, c’est aussi en chacun de nous que Dieu a déposé la semence du Royaume. Il y a en nous quelque chose qui demande à grandir, malgré nos échecs. Mettre notre confiance en Dieu davantage qu’en nous-mêmes nous permet de nous regarder autrement, d’échapper au cynisme et au désespoir. En nous aussi habite la promesse de Dieu – et veut porter du fruit par nous.
C’est aussi vrai pour notre paroisse de Winterthur. Malgré l’érosion menaçante, malgré son vieillissement, malgré la lassitude qui gagne parfois les responsables, nous sommes porteurs ensemble d’une parcelle du Royaume qui vient à nous. Dans la fragilité de notre église, nous pouvons garder confiance : Dieu y poursuit son œuvre comme partout dans le reste de la communauté chrétienne dont le Christ est la tête, communauté avec laquelle nous prions en communion de foi et d’espérance : « Notre Père, que Ton règne vienne ! »
Amen !
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