« C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet, l’Esprit Saint, ne viendra pas à vous ; si au contraire, je pars, je vous l’enverrai. » dit le Christ à ses disciples.
Il est loin, loin de nous, au ciel, auprès du Père, « à sa droite », dit la tradition ; nous avons parcouru sa vie – à travers les fêtes, de Noël à l’Ascension – même au-delà, jusqu’à Pentecôte. Tout est accompli, tout se retrouve en Dieu, au ciel, et nous voici, seuls, sur terre, les uns avec les autres, les uns devant les autres.
Devant moi, vous, cette assemblée bien particulière, résidents, patients, travailleurs, bénévoles et quelques paroissiens de Lavigny et de l’autre côté, devant vos postes de radio, vous, chers auditeurs, chères auditrices.
Devant moi : Alex, Bernard, Marilyne, Gaëlle, Sylvie, Edmond, Walter…, devant moi ces résidents et patients de Lavigny, dont beaucoup ne parlent pas, ou peu, et qui, dans notre monde, dans notre société, sont des « sans voix », des « invalides » – quel mot terrible, d’ailleurs, « invalides » – « interdits », selon le Code civile suisse, sans voix. Et nous parlons d’intégration…
Comment intégrer quelqu’un qui, pour le lieu dans lequel il souhaite d’ailleurs être intégré, n’a rien à dire ? Qu’est-ce que cela vous fait, chers amis ? Alors, les invalides de ce côté, les valides de l’autre … et Dieu est absent !
« Seigneur, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle, chante ta splendeur …
… par la bouche des tout–petits … »
… par la bouche des tout-petits … dit le psalmiste (Ps 8).
Comment donner une voix à ceux qui n’ont pas de parole ? Comment intégrer ceux qui sont interdits, dans une société, un État qui exclut ? Comment rendre présent le Christ absent ? C’est ce qui nous est soumis en ce dimanche de la Trinité, par l’évangile du jour, le discours d’adieu – difficile, c’est vrai – que Jésus adresse à ses amis.
« Il faut, dit-il, que je m’en aille, afin que le Paraclet puisse venir à vous, le Paraclet, ’Esprit de vérité… » « Il faut que je m’en aille, que je ne sois plus visible, que je me retire pour ne pas faire obstacle, autrement vous me regardez moi, et non pas autrui, celui et celle qui vit avec vous, à côté de vous. Il faut que je m’en aille, afin que vous puissiez vous recevoir, adopter, vivre la vérité, vous, pleinement, vous sans moi, afin que vous puissiez vous, poursuivre ce que j’ai reçu moi-même, que j’ai accompli, c’est vrai, mais que je vous transmets, maintenant. »
Alors, au travail, chers amis, c’est le moment. Dieu a fait ce qu’il jugeait bon à faire, il nous remet son œuvre et il nous fait confiance. Eh oui, je me dis à moi-même, c’est le moment de mettre en pratique la parole que tu prêches. « Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière.» C’est l’heure de la vérité et l’Esprit de vérité, celui qui s’appelle le Paraclet, prend la parole.
Le Paraclet ! C’est lui qui rend présent le Christ absent. C’est lui, l’Esprit de vérité, qui touche ma conscience et qui met en évidence, tout au fond de moi, ce que je sais, mais que je ne peux pas ou que je ne veux pas admettre, ni devant moi, ni devant les autres, par peur, par orgueil, par paresse.
Le Paraclet, c’est l’Esprit Saint, c’est le Christ, c’est Dieu lui-même, dans sa fonction d’avocat. Dieu avocat, Dieu qui appelle, Dieu qui nous appelle à côté de ceux et celles qui ne savent pas se défendre par eux-mêmes.
Le Paraclet, Dieu avocat, c’est le tuteur, le tuteur général, qui défend, d’une manière inconditionnelle, les intérêts de ceux et celles qui risquent d’être ou qui sont exclus, exclus de la Cité.
Le Paraclet, Dieu avocat, est l’interprète de ceux et celles que les bâtisseurs – nous, qui ne sommes pas interdits, nous qui avons le privilège de participer activement à la construction de notre société – rejettent.
Le Paraclet, l’Esprit de vérité, fait de la pierre que les bâtisseurs rejettent, la pierre angulaire, celle qui porte l’ensemble de l’édifice.
Le Paraclet défend les faibles, les petits, et il accuse les forts, les grands, là où ceux-ci ne défendent pas, ou insuffisamment, les faibles, les petits.
Aujourd’hui, ici même, chers amis, chers auditeurs et auditrices, je le crois, le Paraclet – Dieu, l’avocat des exclus – nous dit : « Je sais que vous êtes tous, au fond de vous-mêmes, de bonne volonté. Vous voulez une société juste, une démocratie où chacun, chacune a sa place. Mais, entre votre aspiration à la liberté et votre sens de responsabilité, par peur pour votre propre avenir, vous devenez égoïstes. Par crainte d’être exclus vous-mêmes, vous préférez exclure autrui, pour rester vous-mêmes dans la course.
Vous voulez une société libérale, une société qui accorde un maximum de liberté à tous. Soit. Mais allez jusqu’au bout ! Une société libérale, telle que vous la voulez, ne peut pas exclure qui que ce soit de la liberté, sauf évidemment, ceux qui s’excluent eux-mêmes, intentionnellement. Pour une société, telle que vous la voulez, il n’y a pas d’invalides, il ne peut pas y en avoir, sinon votre société n’est pas libérale, parce que tout un chacun risque et cela à tout moment de devenir « invalide », plus, pas valable, rejeté, exclu. Nous en faisons l’expérience, tous les jours, ici à l’hôpital de Lavigny.
Vous parlez d’intégration : vous ne pouvez pas intégrer dans une société qui, dans son fonctionnement profond, exclut. Si vous, qui participez pleinement à cette société, qui n’êtes pas interdits, ne changez pas et attendez seulement que les autres s’intègrent dans votre modèle, qui – je le répète - exclut il n’y aura jamais une vraie intégration, dans une société qui mériterait le nom de « libérale ». L’intégration – celle qui se veut vraiment « intègre », « entière » – est une intégration nouvelle :
C’est une intégration où il n’y a pas d’un côté la société et de l’autre des exclus à qui on demande de s’intégrer dans cette société qui, elle, ne bougerait pas, mais une intégration qui concerne tout le monde, dans une société qui se veut communauté, où chacun s’intègre en quelque chose de nouveau, encore à trouver, encore à construire, qu’il cherche avec l’autre, et où il fait de sorte que l’autre puisse aussi s’y intégrer.
Pour cela, vous devez devenir et être Paraclet les uns des autres, avocats, tuteurs et interprètes, pour que tous aient leur place et selon leurs besoins. La société libérale, celle qui mérite ce titre, est une société juste, où chacun prend garde pas seulement à lui-même et aux siens, mais aussi aux autres, une société où il y a un dialogue entre tous, même avec ceux et celles qui ne parlent pas, une société dans laquelle des Alex, Bernard, Marilyne, Gaëlle, Sylvie, Edmond, Walter ont aussi leur place, et cela, sur la place publique, et pas seulement ‘en institution.»
Dimanche de la Trinité :
« Soyez un comme je suis un » dit Dieu, avec ce dialogue au sein de l’unité, entre le Père et le Fils, en communion avec l’Esprit Saint, le Paraclet, l’Esprit de vérité, l’avocat des exclus. Cette société, dans laquelle il y a ce dialogue, entre le père et le fils, la mère et la fille, entre le grand et le petit, le fort et le faible, cette société-là, finalement, s’appelle « Église ». Église au-delà des églises, religion au-delà des religions, institution juste, au-delà de toute institution. Cette société est la communauté de ceux et celles qui croient que l’intégration de tous est possible et qui font de sorte qu’elle devienne réalité, ici, aujourd’hui, dans un esprit de vérité.
Amen !
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