Ce n’est pas l’homme qui croit en Dieu, mais Dieu qui croit en l’homme

image

Etonnante, cette masse quotidienne d’informations, de messages, tous plus différents les uns des autres, qui sont diffusés sur les ondes d’une même radio. En ce moment, la place est réservée à des Eglises de différentes confessions : elles vous apportent, espérons-le, de bonnes nouvelles, voire même LA Bonne Nouvelle. En principe, leur message devrait trancher avec le reste.
Parce que « le reste », mises à part bien entendu les différentes émissions qui viennent plus ou moins agréablement ponctuer la journée, « le reste », ce sont ces informations, « Les Nouvelles » justement, celles qu’on écoute à heures fixes, à l’heure du repas ou dans la voiture.
Et là, il faut reconnaître que ces derniers temps, nous n’avons pas été particulièrement gâtés : violences quotidiennes accumulées au travers de faits divers. On finit par les banaliser tant elles sont répétitives. Inégalités entre les différentes couches de la population. Elles ont toujours existé un peu partout, mais avec la crise, le fossé s’est encore creusé. Toutes ces foules désespérées dans des îles pourtant paradisiaques, transformées en champs de bataille où l’on combat juste pour survivre. Au sommet de l’horreur, le rappel ponctuel de génocides dont la mémoire refait surface ces temps à l’occasion d’un procès. Après Auschwitz, Dachau, on croyait être venu à bout de la barbarie humaine.
Si Dieu existait, il empêcherait que tout cela se produise. S’il était vraiment « Tout-Puissant » il arrêterait tout ce massacre. Au fond, on se dit « Que fait Dieu ? » un peu comme on dit « Que fait la Police ? » quand elle n’intervient pas là où on voudrait ! Eh bien en fait, Dieu (c’est ce que nous croyons, nous Chrétiens) Dieu a fait tout ce qu’il y avait à faire. On ne pouvait pas rêver mieux, nous, les humains. Il ne nous a pas envoyé un super-gendarme qui aurait imposé ses lois par des traités incontournables, il ne nous a pas envoyé une doctrine universelle et obligatoire pour toutes croyances confondues, ni un traité philosophique indiscutable. Il nous a envoyé un homme. Quand on écoute cet évangile de Marc dont on vient de nous relire un passage, la question nous est retournée :

Ce qui est étonnant, ce n’est pas de croire en Dieu, mais c’est bien plutôt que Dieu croit encore en l’Homme. Ailleurs, on nous dit même que c’est pour avoir tant aimé le monde qu’il lui a envoyé un homme. Un vrai homme, car c’en est un qui rassemble en lui toutes les qualités humaines que l’on peut imaginer. Un homme qu’on aura envie de suivre ; le fait d’entrer en humanité avec lui va redonner espoir, va réveiller en nous des désirs de justice, de courage, des désirs de vivre, des envies de se remettre debout, de ressusciter (c’est ça que ça veut dire, ressusciter). Cet homme, nommé Jésus, il s’est d’ailleurs volontiers désigné lui-même comme « le Fils de l’Homme ».
Seulement voilà, c’est là que tout va commencer à se gâter, car en fin de compte le pire ennemi de l’homme, c’est précisément l’homme lui-même. Totalement invraisemblable, et pourtant, ce qui s’est passé hier, c’est ce qui se passe aujourd’hui de la même manière. Hier, imaginez : un homme qui concentre en sa personne tout ce qu’il y a de plus humain. Un homme dont la présence guérit, libère celles et ceux qui sont sous la tutelle de la peur ou de la culpabilité pour en faire des êtres simplement responsables. Un homme qui traque l’injustice et l’hypocrisie. On devrait lui réserver un accueil triomphal. Eh bien non, au lieu de cela : « Voici que nous montons à Jérusalem et le Fils de l’Homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens. Ils se moqueront de lui, ils cracheront sur lui, ils le flagelleront, ils le tueront. » Le pire ennemi de l’homme, le pire ennemi de cet homme-là en particulier, c’est l’homme lui-même.
Bon, cet homme-là, il faut bien le dire, il ne s’est pas contenté de venir mettre un peu de baume sur nos égratignures. Son message est carrément subversif. Quand il parle de justice, de pouvoir, de partage des richesses, quand il parle des pauvres, des riches, des Romains qui asservissent son peuple, de l’hypocrisie de la religion de son temps, il touche absolument à tout ce qui est sensible à cette époque et il ne va pas manquer d’intervenir dans des domaines définitivement établis et intouchables.

C’est pourtant un touche à tout et subversif par surcroît. Toute la première moitié de l’évangile de Marc est parsemée de ces signes, de ces symboles forts qu’il donne aux hommes et aux femmes de son temps pour les inviter à retrouver leur humanité avec lui. A rester libres par rapport à ceux qui menacent de les asservir. Cela ne va pas sans égratigner au passage ce qui mérite de l’être.
Pour lui, par exemple, le pouvoir, c’est un anti-pouvoir (déjà lorsqu’il vient au monde, c’est sous les traits d’un enfant et non d’un puissant de ce monde). Vous voulez le pouvoir ? Ce ne sera pas pour maintenir les autres sous votre dépendance, mais pour mieux être à leur service.
Les richesses, où est le problème ? Il y en a bien assez pour tout le monde. Donnez-moi vos 5 pains et vos 2 poissons. Dans votre optique rétrécie, il n’y aura jamais assez, mais dans une optique de partage, il y a de quoi nourrir les 5000 personnes qui sont là et il y aura encore des restes. Cette histoire de la multiplication des pains, l’évangile de Marc va même la raconter 2 fois, dans les chapitres qui précèdent, comme s’il fallait en souligner l’importance permanente et définitive.
Regardez le partage des richesses, s’il y a un problème qui est d’actualité, c’est bien celui-là. L’homme , non content de ne pas savoir gérer la planète, continue à l’exploiter de façon sauvage au profit d’une minorité dominante et au mépris de toutes les sonnettes d’alarme.
Très récemment, on pouvait lire dans un hebdomadaire français la prise de position d’une centaine de scientifiques volant au secours du Pôle Nord : on ne s’émeut même plus du réchauffement de la planète, ce sont déjà 5 pays limitrophes du Pôle Nord qui sont en compétition pour exploiter les fonds sous-marins une fois que la banquise aura disparu. Le plus grand prédateur de l’homme, c’est bien l’homme lui-même.

Et quand un peu d’humanité s’introduit dans ce monde de brutes, on la sent tout de suite menacée. Il y a quelques mois, les Etats-Unis élisaient leur président. Par la couleur de sa peau et par son désir de répartition plus équitable des richesses, il a réveillé des sentiments dignes des plus humaines aspirations. Et immédiatement, on s’est pris à espérer ardemment qu’il soit entouré d’une solide garde rapprochée. Car du même coup, revenaient en surface la figure de tous ces Luther King et autres qui ont lutté pour davantage d’humanité, de justice et d’égalité et qui ont fini par y laisser leur vie.
Au fur et à mesure que le Fils de l’Homme suscite l’espoir autour de lui, l’opposition des milieux dirigeants se durcit. Son action publique dans le milieu explosif de la Judée et de la Galilée fait de lui une cible toute désignée. Les forces qu’il coalise contre lui sont toutes puissantes. Les scribes s’accommodent très mal de l’influence grandissante qu’il exerce sur le peuple ; les Pharisiens s’opposent à l’interprétation des Ecritures, orientée entièrement au service de l’homme et qui vient si souvent contredire leur doctrine. Marc le rappelle bien : « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’inverse. »
Rien de bien nouveau ! Déjà à cette époque, les hommes et les femmes étaient enfermés dans des corsets, des carcans, des codes et des doctrines, des anathèmes qui passent systématiquement à côté de la vie. Bref, en pénétrant dans l’arène où Rome faisait la loi, le Fils de l’Homme savait qu’il marchait vers sa croix. Il l’annonçait même. Et ensuite, ajoutait-il en parlant de lui : « 3 jours après, il ressuscitera. » Eh oui, c’est la suite toute naturelle de ce qui précède.
Jésus, cet homme-là, durant toute sa vie terrestre, a passé son temps à remettre les gens debout, à les remettre debout dans leur santé physique, dans leur santé morale, dans leur dignité, dans leur responsabilité, en les déliant de leurs servitudes, de leurs culpabilités. Bref, il leur a donné des avant-goûts de résurrection.
Quoi de plus naturel dès lors que cet homme qui a été débusquer les moindres recoins d’humanité chez ses contemporains pour les remettre d’aplomb, quoi de plus naturel qu’il annonce lui aussi sa résurrection en même temps que sa mort. Dans l’histoire de l’humanité, chaque fois que, au nom d’une justice plus réelle, d’une fraternité plus généreuse, l’homme s’est retrouvé insulté, persécuté, torturé, parfois même mis à mort, ce n’est pas la mort qui a eu le dessus, ce n’est pas la mort qui a eu le dernier mot, c’est la dignité de l’homme qui refait surface et c’est l’homme qui se remet debout et qui retrouve son Chef de file.

Dans notre récit, il y a encore ces 2 disciples. « 2 petits malins » (l’un s’appelle Jacques, l’autre s’appelle Jean, ce sont nous dit-on les fils de Zébédée, «2 petits malins » car ils essaient de prendre des raccourcis : « Accorde-nous, disent-ils, de siéger dans ta gloire, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche. » Rien que ça ! Ils veulent d’ores et déjà se réserver deux bonnes places (de toute façon, il n’y en a que deux, de places, gauche et droite et tant pis pour les autres, nous on a réservé !). Oui, mais voilà, nous dit l’histoire : vous voulez être les plus grands, vous voulez le pouvoir, la sécurité, une place garantie pour l’au-delà? Ne vous trompez pas de direction. Il y a une seule démarche et elle est incontournable, soyez les serviteurs les uns des autres, mettez-vous au service de l’homme. Ca veut dire quoi , cette histoire ?
Il y a mille manières d’être au service de l’homme, sans forcément s’appeler Mère Teresa ou entrer dans une entreprise humanitaire. Je vous en propose une seule, car elle est à la portée immédiate de chacune et chacun d’entre nous. Etre au service de l’autre, ce pourrait être : garder intact notre désir de sauvegarder ce qu’il y a d’humain partout où l’humain est menacé. Garder intacte notre indignation face à l’exploitation des uns par les autres.
Ca peut nous coûter cher, nous rendre impopulaires, nous voir jugés, exclus; on doit parfois payer cher nos prises de position. Surtout quand l’argent ou le pouvoir politique sont de la partie. Mais, au fait, dites un peu, quand on parle de l’humain qui est menacé, n’oublions pas que parmi ceux qui ont mené Jésus jusqu’à la croix, il y avait les scribes et les pharisiens, c'est-à-dire les pouvoirs religieux de l’époque. C’est quand même un comble quand on y réfléchit !
Alors là, si on sent que toute cette histoire nous concerne un tout petit peu, eh bien, gardons intact notre pouvoir d’indignation quand une doctrine, faite de peurs, (toujours les mêmes ; elles tournent en général autour de la sexualité et de la différence de l’autre), gardons notre indignation face à cette marée montante de scléroses qui ont plus à voir avec des fanatismes qu’avec une foi vivante.
Nos intolérances peuvent être meurtrières. C’est le récit de la Passion qui se répète en permanence. Que chacune de nos confessions veuille bien balayer devant sa porte, même si, ces temps-ci on est tenté de regarder de préférence devant la porte du voisin. Tout cela reste valable pour chacun. Comme disait un chanteur belge au moment où son pays subissait une montée d’intolérance : « Il est temps, mes amis, de reboiser l’âme humaine. »

Amen !

Détails

Avec la participation de
Resp. liturgie : Loyse Andrée Gretillat
Orgue
Marina Fuchsloch
Musique
Elizabeth Tribes