On entend Dieu dans le silence

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Faire une prédication le dimanche entre Ascension et Pentecôte présente toujours quelques difficultés. J’essaye toujours de suivre l’année liturgique et les prédications pour Ascension et Pentecôte ont une matière bien définie ! Pour la Fête de l'Ascension il y a les récits de l’ascension de Jésus vers son Père. Ayant terminé son séjour comme ressuscité, ayant terminé son ministère de convaincre ses disciples qu’il était vraiment ressuscité, expliquer le pourquoi et les réconforter, il part avec la promesse de l’arrivée du Saint Esprit. Pour Pentecôte, il y a le récit fantastique de l’arrivée du Saint Esprit avec une force qui envoie les disciples dans la rue pour proclamer leur Seigneur.
Mais pour le dimanche entre Ascension et Pentecôte, n’est pas si simple. Nous avons, je pense, un peu de difficulté d’imaginer la situation et les émotions des disciples. Nous connaissons la fin de l’histoire, eux pas. Tout à coup, Jésus est absent, disparu. Que penser ? Que faire ? J’ai beaucoup de sympathie, beaucoup de tendresse pour les disciples. Ils étaient, pour la plupart en tout cas, les hommes simples, pas très sophistiqués, pas très intellectuels. Ils avaient vécu les événements très perturbants, l’espoir que Jésus était le messie, la trahison, l’arrestation, le reniement, la maltraitance, la passion, la mort, la résurrection et maintenant, l’ascension. Jésus est de nouveau loin et invisible. Leur situation, il me semble, avait beaucoup de ressemblances avec la déprime des disciples qui ont suivi le chemin vers Emmaüs. Peur, incertitude, doute concernant leurs propres expériences et doutes concernant l’avenir. Si Jésus était parti pour le bon ? Si l’avenir avec le Saint Esprit comme force universelle n’était qu’une illusion ?
Leur situation, avec la peur non seulement du silence, mais de l’absence de Dieu, m’a entraîné dans une réflexion au sujet de l’absence et des silences de Dieu pour moi – et pour nous. J’ai trouvé un écho non seulement dans le récit d’Emmaüs, mais dans le livre de Job avec ses grandes questions au sujet de l’existence du mal dans un monde où Dieu, le créateur qui aime sa création travaille comme tout puissant et tout connaissant dans un monde où il y a le mal, souffrance, injustice et violence : « En rêve la nuit, quand les pensées sont confuses… un frisson de terreur s’est emparé de moi… me donna sur tout le corps la chair de poule… un silence d’abord. » La terreur c’est l’absence, le silence de Dieu.

Souvent, nous trouvons Dieu dans la contemplation de ces textes bibliques que nous avons reçus. Nous les étudions pour trouver le réconfort et nous avons raison, mais il y a toujours le danger que nous utilisions cela pour montrer notre science et notre intelligence. Moi-même, j’ai passé trois ans de ma vie en faisant un doctorat sur les doctrines de prédestination, mais à la fin j’avais l’impression que si j’avais un grand respect pour l’intelligence de mes prédécesseurs reformés du dix-septième siècle, je n’avais pas ou peu avancé dans ma compréhension de Dieu. Ou si nous regardions le cosmos, la nature ? On peut très bien imaginer que le Créateur se manifeste dans le cosmos, dans la mathématique ? Mais ce n’est pas facile de le discerner. La personnalité du Créateur se manifeste certainement dans les lois de la physique, mais moi, j’ai besoin d’un Dieu plus proche, plus chaleureux.
Et si on trouvait Dieu dans le silence ? Dieu, je crois, n’est jamais absent, mais c’est surtout dans le silence qu’on l’entend car c’est dans le silence qu’on écoute. Les disciples abattus et déprimés en route pour Emmaüs étaient accompagnés par Jésus, mais ils ne l'ont pas reconnu. Dans le livre de Job, Eliphaz le Téman dit : « un silence d’abord, puis j’entendis sa voix »
Nos relations avec Dieu sont souvent les relations d’adolescents avec leurs parents. Si Dieu n’est pas très présent pour nous, nous avons la certitude que c’est sa faute : quand c’est peut-être la nôtre. Nous ne remarquons pas la présence de Dieu, car il n’est pas la personne que nous imaginons que nous cherchons. En effet, il n’est pas la construction de notre imagination. Pas la réponse à nos besoins orgueilleux ou égoïstes. Il n’est pas forcément à côté de nous pour nous rendre la vie plus simple ni pour nous aider à concrétiser un Dieu que nous avons créé dans nos imaginations. Il est là pour répondre à nos besoins, mais par sa sagesse et ce n’est pas à nous de lui donner les instructions. Nous sommes obligés d’attendre humblement sa voix et sa présence dans notre intelligence et dans notre cœur. Il est là. Il est toujours là et c’est à nous d’avoir la foi d’attendre.

Et pourtant. J’ai peur de son absence. Il y a quelque temps, j’ai participé dans un service interreligieux à Auschwitz, en hiver dans le froid et dans l’atmosphère insoutenable d’un crime si énorme que mon imagination ne peut pas le comprendre. Dieu était à Auschwitz ? Je le crois. Mais, comme un homme avec la capacité de poser les questions sans réponse facile, je me suis demandé comment il était présent pendant le temps de tuerie et pourquoi il n’intervient pas avec force dans notre monde avec ses génocides et ses crimes contre l’humanité. Car Auschwitz est un symbole, mais il y a toutes les autres horreurs, Biafra, le 11 septembre, Rwanda, le Cambodge des khmers rouges, Dresde, Hiroshima; les catastrophes naturelles, le tsunami, les tremblements de terre, la grippe espagnole, la peste. Ou les horreurs plus personnelles, plus intimes, la mort d’un enfant, la mort d’un adolescent la nuit de Noël.
Je crie pour la justice et je crie pour une explication. Si Dieu est présent dans notre monde, Pourquoi ? Je peux imaginer un Dieu indifférent, mais je ne crois pas qu’il est indifférent. Il n’était pas indifférent à la souffrance de Jésus sur la croix. Et ce n’est pas mon expérience qu’il est indifférent à mes souffrances. Mais je cherche explication et le réconfort avec un espoir que s’il n’y a pas d’explication maintenant, je l’aurais plus tard dans l’au-delà.
Car si Dieu le créateur qui aime sa création est vraiment absent, je perds tout – mon humanité, ma capacité de souffrance, ma capacité de poser les questions. Je n’ai pas la réponse, mais j’ai la présence du Saint Esprit qui m’offre le réconfort et qui m’entoure d’amour et de tendresse. Et je me tourne vers la Bible et je trouve que les autres ont vécu les mêmes expériences que moi. En route pour Emmaüs, les disciples brisés ont trouvé la vérité étonnante que Jésus était a côté d’eux et qu’il a pris leurs souffrances et leurs questions au sérieux. Et quand Eliphaz avait écouté dans le silence, il entendait une voix. Dieu est à côté de nous et il se révèle, si on écoute. Si on est assez tranquille pour sentir sa présence et d’écouter sa voix, sa parole.

Le Dieu qui se révèle est l’idée centrale de ce groupe de religions qui dominent notre civilisation, le judaïsme, le christianisme, l’islam et la foi baha’ie. Pour les chrétiens comme nous, la révélation de Dieu est surtout perceptible dans la personne de Jésus. Dieu se révèle dans une personne qui partage notre vie avec la joie, la beauté, le bonheur et l’espoir. Mais Jésus partage non seulement les bonnes choses, mais aussi le silence et la peur de l’absence de Dieu. Jésus disait sur la croix « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ?» Donc, dans mes moments de déprime spirituelle, quand je suis confronté par une souffrance qui m'est incompréhensible, je sais que j’ai un sauveur qui partage mes souffrances, qui les comprend, et surtout un sauveur qui ne les trivialise pas et qui m’entoure de toute son affection.
Dieu, qui est à côté de moi quand tout va bien est surtout là quand j’ai peur, quand je ne comprends rien. Je ne suis pas un rêve dans le cerveau de Dieu. Il m'a créé et il respecte mes questions, tout comme Jésus a respecté les questions sur le chemin d’Emmaüs, quand la tristesse, la déprime et le désarroi sont transformés en espoir et dans la joie de la compréhension que Dieu est toujours avec nous, et qu’il nous aime.

Évidemment, j’aimerais tout savoir, tout comprendre. Mais je ne suis pas Dieu, je suis une personne qu’il a créée avec un cerveau capable de poser des questions. Avec la foi, je sais que ce n’est pas mon destin de tout comprendre dans ce monde, mais j’ai compris que je suis aimé et que Dieu n’est pas silencieux, que Dieu est présent dans ma vie et dans le monde. J’aimerais tout savoir, tout comprendre, j’aimerais voir Dieu résoudre les conflits et les problèmes de notre temps, combler mes désirs. Mais il n’est pas comme ça : Dieu nous responsabilise. Il ne fait pas tout pour nous. Ce serait trop facile.
Dans cette année Calvin, il est temps de nous rappeler d’une idée centrale de la Réforme – la responsabilité individuelle. Dieu nous montre la justice et nous offre l’idée de la paix et de la tolérance, mais c’est à nous de réagir. Dieu nous appelle comme ses sœurs et ses frères pour le servir dans le monde. Ayant compris qu’il est là et qu’un meilleur monde est possible, c’est à nous de mettre notre peur et la déprime derrière nous et de sortir comme les apôtres pour proclamer salut, amour, grâce et paix.
Après le silence, Eliphaz entendit une voix. A Emmaüs, les émotions des disciples se transformaient en joie. Crucifixion, Résurrection, Ascension et Pentecôte. Sortons ensemble les uns avec les autres et avec le Saint Esprit pour transformer le monde !

Alléluia ! Amen !

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Avec la participation de
Orgue
Paul-Louis Siron
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