Comment emplir les pages de notre cahier de vie

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Vous savez qu’aujourd’hui, on parle beaucoup du : « Droit des générations futures », de l’état dans lequel nous laisserons le monde à nos enfants, à nos petits-enfants et à tous ceux qui les suivront. Penser à l’avenir, de manière responsable, et plus encore : chercher à laisser ou à donner le meilleur, c’est bien sûr une démarche chrétienne.
Et quand on accompagne des jeunes catéchumènes, qui en sont au commencement de leur vie chrétienne, au début de leur existence, on a conscience que demain se prépare dès maintenant. On sait que les enfants, les jeunes écoutent, observent, enregistrent une part de ce qu’on leur transmet, de ce qu’on dit et de ce qu’on fait.
En tant que parents, grands-parents, éducateurs, catéchètes, parrains et marraines, diacres, pasteurs, nous occupons une place essentielle, nous avons une fonction déterminante. Qu’on le veuille ou non, on est toujours, plus ou moins, un exemple pour les autres.
D’ailleurs, c’est ce qu’on dit aux parents qui demandent le baptême pour leur bébé ; dans la célébration, on insiste : « Vous resterez pour votre enfant un exemple et un appui. Vous prierez pour lui. Vous l’instruirez et le soutiendrez… ».
Alors, la question qui accompagne notre célébration, c’est celle de la transmission, et celle du don : qu’est-ce que nous donnons, de nous-mêmes ? Qu’est-ce que nous donnons, de Dieu aux autres et particulièrement aux enfants et aux jeunes ? Parmi tout ce que nous avons reçu, comme principes, comme valeurs, comme amour et comme espérance : qu’est-ce que nous avons l’envie ou le courage ou le besoin de leur partager, de leur faire comprendre, de leur offrir – d’essentiel, d’indispensable, de vital – pour qu’à leur tour ils s’engagent et passent le témoin ?

Il y a quelques semaines, un soir de fatigue devant la télé, luttant contre le sommeil, et errant d’une chaîne à l’autre avec la télécommande, malgré la somnolence, l’indignation et la peur vont me réveiller ! Car les images qui, tout à coup, défilent sous mes yeux me transportent : au centre symbolique du monde, en ce lieu que j’aime tant – et que je vous encourage à visiter une fois dans votre vie – pour voir, au moins pour voir, pour vous laisser enchanter et pour comprendre un peu: voilà donc des images de Jérusalem !
Et même, au centre du centre : la caméra nous entraîne à l’endroit où était bâti le grand temple juif de Salomon et d’Hérode et où se trouvent maintenant le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa.
Là, au cœur de la foi, en cet endroit qui a peut-être vu notre père Abraham portant dans ses bras Isaac, et le roi David, et Jésus le Christ, et Mahomet dans un voyage nocturne, sur cette esplanade du Temple ou : « Haram Esh Sharif », esplanade des mosquées, je vois des enfants palestiniens, la tête ceinte d’un foulard aux couleurs de l’islam imprimé de versets du Coran.
Ce sont des petits. Ils ne savent pas encore lire. Mais face à la caméra, ils récitent sans les comprendre des paroles sacrées du Coran. Puis ils prononcent, sans pouvoir les déchiffrer, des slogans hostiles à leurs frères juifs, qui prient eux aussi, à quelques mètres de là, au mur occidental, au Mur des Lamentations.
Alors c’est vrai que c’est un choc de voir ces petits avec leurs beaux visages – héritiers bien malgré eux d’un conflit qui les dépasse – et les entendre rabâcher des mots où se mêlent la haine et la peur. A-t-on le droit d’endoctriner des enfants ? Peut-on vraiment imaginer, proposer une catéchèse libre et ouverte ? Est-ce qu’une nouvelle génération se lèvera pour s’opposer à la répétition des violences ? Est-il possible de prendre le contre-pied absolu ? D’enseigner aux enfants, aux jeunes, aux catéchumènes de toutes les religions, non le relativisme ou l’indifférence, mais, avec des convictions, une vraie tolérance, un esprit de dialogue, de paix, de compréhension et d’accueil ?

Je sais que le chemin est très compliqué. Je sais que chez nous, la plupart des jeunes ont d’autres préoccupations que d’apprendre à connaître et à respecter les convictions des autres – surtout leurs convictions religieuses – d’ailleurs, nos jeunes savent-ils eux-mêmes qui ils sont et ce qu’ils croient ? Je sais aussi qu’ailleurs, la pression des souffrances, des injustices, des humiliations est parfois si douloureuse qu’elle défigure le visage du frère.
Pourtant, je voudrais nous replacer, nous : parents, familles, éducateurs, devant la nécessité de transmettre un esprit de respect et de dialogue. Il faut que l’Esprit-Saint nous conduise, et puisque nous sommes le jour de la Pentecôte, que l’Esprit-Saint crée cette harmonie entre nous et entre tous, qui permet à chacune et chacun de se faire comprendre et de comprendre l’autre. Mais d’abord, avec Doris, Daniel, et Martine, nous partageons 3 textes qui parlent de la transmission de la foi :
o Deutéronome, chapitre 11, les versets 18 – 21 ;
o Jérémie, chapitre 31, 33 & 34 ;
o Evangile de Jean, chapitre 14, 23 – 26.

C’était un 12 juin, un vendredi. Ce matin-là, elle s’était levée à 6 heures, déjà prête pour fêter son 13ème anniversaire ! Au bout d’une heure, n’en pouvant plus d’attendre, elle avait fait irruption dans la chambre de ses parents. Je crois qu’elle était heureuse, avec les cadeaux qu’ils lui avaient préparés : des livres, quelques bijoux sans valeur, un puzzle, des bonbons. Mais ce qui la remplit vraiment de joie, ce fut un cahier, un journal intime, relié de rouge et de blanc.
Très vite, elle allait y consigner ses pensées, ses projets, ses rêves et jusqu’aux moindres détails de leur vie quotidienne. On était à Amsterdam, en 1942. La guerre traversait le monde. Et, à cette époque, personne n’aurait pu imaginer que ce simple cadeau, à une toute jeune fille, ce cahier de rien du tout allait servir à tenir la chronique d’une période comptant parmi les plus sombres qu’ait connu l’humanité.
Anne Franck allait écrire dans ce cahier, parler à ce journal intime pendant deux ans. Jusqu’à ce que l’endroit où elle se cachait soit découvert. Arrêtée et déportée, la jeune juive est morte, en mars 1945, au camp de Bergen-Belsen !
A présent, ce jour de l’anniversaire d’Anne Franck, en 1942, semble loin de nous, tout autant que la Seconde Guerre mondiale ! Pourtant, aujourd’hui aussi, des cadeaux seront offerts aux baptisés et aux confirmands. Tout comme d’autres jeunes, à travers le monde, qui fêtent ces jours-ci leur confirmation, leur baptême, un diplôme ou leur anniversaire, recevront aussi quelque chose.
J’ai souvent rappelé – et je ne suis ni le seul, ni le premier – que les plus beaux cadeaux ne sont pas matériels. Aux jeunes en particulier, on peut espérer transmettre des valeurs. Une force, un courage, une confiance, une espérance, et bien d’autres suppléments d’âmes qui vibrent au cœur de l’Evangile. On ignore quel sera leur avenir. Mais on espère qu’ils parviendront à s’entendre, qu’ils auront la capacité de vivre ensemble.

En tous cas, grâce à Anne Franck, on sait qu’un cadeau presque anodin peut révéler beaucoup de lumière et soulager l’humanité, y apporter un souffle d’émotion et d’inspiration. Parce qu’une adolescente inconnue, condamnée à rester enfermée dans une chambre a – non seulement accepté le cadeau qu’on lui offrait – mais plus encore : elle l’a rempli de toute son âme. Elle l’a habité d’une joie sans partage.
Et nous, quel cadeau offrons-nous à nos enfants, à nos petits-enfants, aux jeunes dans les paroisses ? Et quel usage font-ils de ce qu’ils reçoivent ? Comme ce fut le cas pour Anne Franck, j’ai l’impression que ce que nous pouvons offrir aux catéchumènes, ce que nous donnons aux jeunes dans l’Eglise, c’est aussi très peu de chose. Seulement une Bible, avec tellement de pages qu’on n’ose pas s’y aventurer ! Quelques week-ends et des camps, qui entrent souvent en concurrence avec des activités plus plaisantes. Des cultes où les pasteurs n’en finissent pas de parler !
Et quelques mots qu’on leur jette, comme des bouteilles à la mer : tu aimeras, tu partageras, tu pardonneras, tu ne renonceras jamais ! D’ailleurs, ce que l’on offre aux adultes n’est pas forcément plus exaltant, jugez plutôt : des rencontres de prière, des études bibliques, encore des cultes et des demandes, parce qu’on a besoin de votre aide – si vous êtes d’accord pour aider, pour rendre tel service.

Pourtant, je crois, nous savons que ce sont ces presque rien qui comptent le plus et qui font vivre. Ces cadeaux insignifiants ! Ces mots prononcés à la fin d’une rencontre, cette proximité aimante malgré la distance, ces bons regards ou ces sourires qui encouragent et relèvent. Des cadeaux spirituels – dons de l’Esprit-Saint et bons pour l’esprit. Bons pour le moral et bons pour la vie !
Cet appel inconditionnel à partager l’amour. L’invitation qui nous grandit à accepter et accueillir les différences. Le refus du même, de la conformité. Le refus de l’ignorance, parce qu’elle conduit toujours à la méfiance et à la peur. Le refus de l’oppression, des injustices, des intolérances. Et l’éducation protestante à la protestation, à la liberté de conscience pour soi et pour tous.
Et l’apprentissage de l’œcuménisme, du dialogue interreligieux, de la diversité et des démarches qu’on ose entreprendre pour découvrir l’autre. En prenant le risque – oui le risque ! de lui tendre une main fraternelle.
C’est une religieuse catholique : sœur Véronique Margron, Dominicaine, qui est Doyenne de la faculté de théologie de l’Université catholique d’Angers (Ouest de la France) qui vient d’écrire (et je la cite) : « Ne vouloir être qu’une tête, qu’une race, qu’un discours, qu’une manière de faire et de vivre a provoqué des barbaries inouïes : peur de la différence, de l’incertitude, de l’ambiguïté… ». Pourtant, dit-elle, l’incertitude, l’ambiguïté et la différence font partie de l’humain – la différence fait partie de l’humanité !

Alors, quand aux catéchumènes on a demandé ce qu’ils avaient retenu de leurs années de formation, parmi les réponses qui revenaient souvent, à part : « Je sais pas » ! Il y avait celle-ci : « J’ai appris à vivre en communauté, j’ai appris à vivre avec d’autres. »
Ne pas vivre pour soi seulement. Porter son regard vers son prochain. Sortir un peu de son égoïsme naturel, c’est déjà un cadeau qu’ils ont reçu ! Quel cadeau offrons-nous aux jeunes ? Que cherchons-nous à leur transmettre ? Que désirons-nous leur partager ?
Dans une ville de taille moyenne comme Martigny, la plupart des religions sont représentées. Parmi les jeunes qui vont à l’école avec les catéchumènes de notre paroisse réformée se trouvent des chrétiens catholiques, évangéliques, orthodoxes, anglicans, luthériens, quakers, mais aussi des bouddhistes, des hindouistes, des musulmans.
Et c’est un défi de vivre ensemble. Surmonter nos préjugés. Rencontrer l’autre, et l’apprécier. Car il faut bien que quelqu’un commence, ouvre le dialogue, ouvre les esprits et s’expose à la rencontre. Voilà : quels que soient notre âge et notre situation, chacune et chacun, nous avons reçu, en cadeau, comme un journal intime, un grand cahier de vie, dont chaque nouveau jour tourne les pages.
Puissions-nous y écrire les mots de l’Evangile, les mots dictés par l’Esprit-Saint, les mots mêmes de Jésus-Christ. Car c’est Lui qui nous enseigne. C’est Lui qui nous apprend à vivre et à aimer.

Amen !

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Avec la participation de
Orgue
(sans)
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