L'homme à l'épreuve de la vieillesse

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Chers résidents, chers auditeurs chers amis, chers frères et sœurs, Il n’est pas facile de parler du présent dans les EMS, d’évoquer la vie au jour le jour. Le temps du souvenir, le bon vieux temps, le rêve de l’âge d’or, c’est et c’était le bon temps et le bon tempo ! Mais parler des pertes, évoquer le dépouillement et le déclin, éviter des mots plus crus, plus laids qui font mal et dire les angoisses, les crises, la mémoire qui s’en va, comment le faire ? Le rétroviseur, on veut bien, mais le miroir non, ça fait peur : c’est ça ce que je suis devenu ?
Et je me souviens avec émotion de cet homme délicat, fin, intelligent qui me disait sans fin : "Je suis déçu ! Déçu de la vie, si c’est là qu’elle nous mène ! Déçu que ma vie s’achève dans un tel fiasco, dans de telles angoisses, dans une telle solitude. Il faut dire qu’il n’est pas facile d’avancer en âge. On se fait déborder de tous côtés. Le monde semble aller toujours plus vite et moi toujours plus lentement. Et quand je suis submergé d’angoisses, rien ne semble pouvoir m’apaiser."

Rien vraiment ? Oh! comme j’aime ce texte du livre de Samuel que nous avons entendu. C’est vrai, j’aime ce vieux roi Saül. Un jour lui aussi a été jeune, beau, dépassant tous les autres d’une tête. L’écrivain biblique nous le montre maintenant sur le déclin, souffrant d’un mauvais esprit venu du Seigneur, en proie à des démons venus d’on ne sait trop où. L’écrivain biblique qui ne peut voir Dieu que comme une espèce de super Roi tout puissant dit que c’est lui qui envoie le mauvais esprit comme un sorcier qui jetterait un sort.
L’apôtre Paul se montre infiniment plus prudent, nous l’avons vu. L’esprit de Dieu lui-même gémit, comme s’il y avait en Dieu une blessure, dont l’origine ne nous est pas accessible. Mais au temps de Samuel, la maladie qui ronge l’âme, la maladie psychique est l’œuvre d’un mauvais esprit. Signe que Dieu a rejeté celui-là même qu’il avait choisi. Même si aujourd’hui, à la lumière de la psychologie moderne on serait tenté de réhabiliter Saül, toujours est-il que le premier Roi d’Israël présente de graves troubles !
De ces troubles mystérieux qui touchent l’être intérieur et qui de nos jours encore sont si souvent sources de mécompréhension de la part de l’entourage.
Vous savez, si je me casse une jambe, tout le monde me dira : "Oh mon pauvre Marc, mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?" Et on me fera un joli dessin sur le plâtre. Mais si à l’intérieur de moi-même je me sens brisé, en mille miettes, si je me sens incapable de me lever, de bouger ou que je pique de noires colères, commence à crier et à m’agiter, qui me comprendra ? Si je ne suis plus maître de moi-même, qui me dira : « Ah, mon pauvre Marc ! »
La fin tragique de Saül a de tout temps fasciné les dramaturges et musiciens : sous la plume d’un auteur du 18e s. on entend ce cri de détresse mis dans la bouche de Saül, mais qui semble si proche de tant de personnes âgées atteintes dans leur santé psychique :
"Je ne sçay qui, dyable, me tient,
Mais je suis tresfantastique,
Si perplex et melencolique
Que j’ai l’entendement cassé.
Qui esse qui m’a tant brassé ?"
La vieillesse dans un EMS est au jour le jour le temps de la démaîtrise. Je ne maîtrise plus mon corps, je ne maîtrise plus mon esprit et les troubles de mon corps troublent mon esprit, tout est parfois si étrangement lié. Est-ce que, comme le disent tant de psaumes et Jésus lui-même sur la croix, Dieu m’a abandonné ? Qu’est-ce qui pourra m’apporter une réponse à cette question ? Qu’est-ce qui pourra m’apporter la paix ?
J’aime ce texte de Samuel, car dans la rencontre du jeune musicien et du vieux roi, il nous invite nous, les plus jeunes, à prendre grand soin des aînés, à les accompagner, à les porter même si parfois ce « porter » confine au « supporter » : supporter celui qui perd progressivement la maîtrise de son corps ou de son âme, que ce soit matériellement, physiquement ou psychiquement.
David, en venant au chevet de Saül, fait partie de ces compagnons solidaires qui portent ceux qui n’en peuvent plus dans un élan de foi et d’amour. Il fait partie de ceux qui témoignent par leurs gestes et leurs dons particuliers une capacité d’être artisans de paix, même s’ils sont incapables d’empêcher le temps de faire son œuvre de destruction sur les corps et les esprits.
J’aime ce texte du livre de Samuel car il nous parle de quelque chose d’essentiel, d’aussi essentiel que les soins médicaux indispensables. Il nous parle de la musique. Il nous parle de cette petite musique de la harpe, qui n’a rien à voir avec la trompette ou le tambour, la douce musique d’une harpe de berger. Voyez-vous si David est resté dans la mémoire d’Israël et des chrétiens l’archétype du Messie, ce n’est ni pas à cause de ses conquêtes militaires ou féminines, mais à cause de sa harpe.
Chez David, ce n’est pas la lance ni la couronne qui est importante, c’est la musique qu’il joue à Saül pour l’apaiser, c’est la harpe qui plus tard entraînera le peuple à la foi et à l’amour pour Dieu. Cette petite musique que joue David, c’est la musique de la douceur, de la paix, de l’accompagnement solidaire. Saül, malgré les angoisses qui torturent son âme de roi sur le déclin qui ne maîtrise plus rien, retrouve l’espace d’un instant l’apaisement grâce à la petite musique de la harpe de David.
David, sans le savoir est le pionnier de que l’on appelle aujourd’hui la musicothérapie, qui aux côtés de l’arthérapie ou de la zoothérapie ou autres innovations, essaie aujourd’hui d’apporter soutien et réconfort à ceux qui vivent ce temps de la démaîtrise. J’aime ce texte du livre de Samuel, car il nous indique un chemin à suivre à nous tous qui vieillissons et qui un jour peut-être seront mis au défi de vivre au jour le jour la vieillesse comme ce temps de la démaîtrise.
Eh oui, que serait ma vie, si dès maintenant j’apprenais à quitter les angoisses de celui qui refuse les limites imposées à la vie humaine ? Que serait ma vie, si dès maintenant j’apprenais à quitter les angoisses de celui veut à tout prix garder sa couronne, sa puissance, sa jeunesse, que serait ma vie, si dès maintenant j’apprenais à écouter la petite musique de la harpe de David.
Cette petite musique qui m’apaise, car elle chante dans mon cœur que rien, ni la vieillesse, ni la faiblesse ni les mauvais esprits, qu’il viennent d’en haut ou d’en bas, ni la mort ni la vie, non rien, ne pourra jamais me séparer de l’amour de Dieu.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Christiane Rupp, harpe; Cornelia Seeger Tappy & Christine Habermacher, cantatrices