Écouter le culte :
« Que pourrais-je te donner ? Demande-le moi !», dit Dieu à Salomon. En apparence, la question est simple et donc la réponse devrait l’être également. En apparence seulement, car ni la question ni la réponse ne sont vraiment simples. En effet, nous avons parfois tant de choses à demander. Et la liste de nos demandes ressemble à celle que dresse les enfants à Noël : et puis encore ceci ! et puis encore cela !
Et puis des fois, il arrive que nous n’ayons rien à demander ! Soit parce que nous avons le sentiment d’avoir tout ce qu’il nous faut ou alors (et c’est malheureusement de plus en plus souvent le cas !) parce que nous ne savons plus que demander ou tout simplement que nous ne savons plus demander. Soit que nous n’osons plus, soit que nous n’attendons plus rien de personne et encore moins de Dieu.
Non décidément la question de Dieu à Salomon n’est pas simple. Car si nous prenons la peine de la laisser résonner en nous, elle nous interroge, elle va loin au plus profond de nous et réveille en nous bien des frustrations ou des pulsions.
« Que pourrais-je te donner ? Demande-le moi !», dit Dieu à Salomon. Pour répondre avec honnêteté et sérieux à cette question, il faut nous interroger et nous demander : « Finalement qu’est-ce que je veux vraiment ? » Ou encore : « Qu’est-ce que je j’attends vraiment pour ma vie ? » Dans quelle direction, est-ce que je souhaite que ma vie se dirige ? Quels sont mes projets ? Demander, c’est exprimer un désir. Quel est mon désir, mon vrai désir ? Celui pour lequel je suis prêt à me battre, celui qui murmure au plus profond de moi, celui pour lequel je suis prêt à risquer une demande ?
Dans quelle direction ce désir m’entraîne-t-il ? Vers les biens matériels, que tout mon environnement culturel me pousse à désirer chaque jour davantage ? Tous les discours économiques et politiques dit « sérieux » ne parlent que de croissance. Mais qui dit croissance, dit consommation et donc un client, moi ou toi, pour acheter, encore et encore. Vais-je me laisser entraîner dans cette direction ? Tout en sachant que cela me mènera, que cela mènera nos sociétés dans une impasse économique et écologique. Qu’à force de consommer, on met en péril la fragile création ?
Et pourtant, je ne peux me passer d’un certain nombre de biens matériels. Dieu m’a créé de chair et de sang. Il faut bien que je mange, que je m’habille, que j’ai un toit, un moyen de déplacement. Il faut bien que mes enfants disposent de quoi grandir, sans oublier que, selon eux, ils sont les seuls de leur classe à ne pas avoir le dernier modèle de la console de jeux en vogue ou encore qu’ils sont les seuls à ne pas regarder la finale de la Coupe du monde de football sur un super écran plat !
« Que pourrais-je te donner ? Demande-le moi !», dit Dieu à Salomon. Ce n’est pas parce que c’est Dieu qui pose la question qu’il faut d’emblée exclure les biens matériels de la réponse. Prendre cette question au sérieux, c’est me laisser interroger par la course à la consommation et prendre position : à quel niveau est-ce que je situe la satisfaction de mes besoins matériels ? Mais la réponse à cette question m’entraîne aussi dans d’autres directions. Je peux demander la santé et une longue vie.
Là encore quoi de plus normal ? Qui d’entre nous peut faire l’économie de cette attente ? Il y a certainement parmi nous des personnes qui luttent au quotidien contre un cancer qui les ronge. Pour elles, cette demande peut s’avérer vitale. Cependant quand je rencontre des personnes ayant atteint un grand âge, j’entends souvent les mêmes questions de leur part : je suis âgée certes, mais je sers à quoi ?
Chaque fois que j’écoute les nouvelles, j’entends que c’est à cause de mon grand âge que les coûts de la santé – et donc les primes d’assurance maladie de chacun – augmentent sans cesse. Ou encore que c’est à cause de mon grand âge, que l’avenir des retraites de toute la société est mise en péril ! Alors je me demande : à quoi ça sert de devenir vieux ? A quoi je sers encore ?
« Que pourrais-je te donner ? Demande-le moi !», dit Dieu à Salomon. Répondre à cette question avec honnêteté et sérieux, c’est accepter de se poser la question : quel sens a ma vie ? Non décidément la question de Dieu à Salomon n’est pas simple et pourtant il me semble qu’elle soit la seule question qui vaille vraiment la peine d’être poser.
La réponse non plus n’est pas simple. D’autant moins simple d’ailleurs qu’à lire cet entretien de Salomon avec Dieu, il semble que certaines demandes n’auraient pas été agréées par Dieu ! Rappelez-vous de la réponse que Dieu fait à Salomon, juste après que ce dernier ait demandé la sagesse pour gouverner : «Puisque tu as demandé cela et que tu n’as pas demandé pour toi la richesse, que tu n’as pas demandé la mort de tes ennemis, mais que tu as demandé le discernement pour gouverner avec droiture…» (v. 11).
Du coup, voilà que pourrait surgir une inquiétude : quoi demander à Dieu, qu’est-ce qui serait juste et par conséquent exaucé ? Surgirait également le risque de préjuger d’avance de la pertinence de telle demande, pas tant d'ailleurs entre des choses supposées « matérielles » ou « spirituelles » qu’en fonction d’un critère que le texte lui-même nous propose.
En effet, il semble que Salomon soit exaucé parce qu’il ne demande rien pour lui, mais pour les autres. Me serait-il donc interdit de demander quelque chose pour moi-même ? Et dans ce cas, comment demander quelque chose pour moi tout en n’ayant l’air de demander pour des raisons altruistes ?
Du coup, voilà que la prière court le risque d’être bien rationnelle, voire calculatrice, jusqu’à finalement substituer les places de chacun, quand celui qui prie en vient en quelque sorte à gérer lui-même les choses, à se mettre à la place de Dieu au fond, à prétendre savoir mieux que Dieu ce qui sera agréé et ce qui ne le sera pas.
Ciel, que tout ceci semble compliqué d’un coup ! Encore davantage quand l’évangile selon Mathieu fait retentir la parole de Jésus dans sa désarmante simplicité : demandez et l’on vous donnera ! Comment sortir de ce qui semble une impasse ? Sans doute en revenant encore une fois au texte du livre des Rois, pour y découvrir que la question adressée par Dieu à Salomon l’est dans un cadre d’un rêve, et la nuit :
c’est-à-dire en un temps d’obscurité, mais aussi de repos et en un espace quelque peu inaccessible, en tout cas non maîtrisable, d’où jaillit des forces souterraines mais puissantes.
Alors certes la prière ordinaire n’est pas un rêve, mais la prière tient du rêve en plusieurs choses. Car comme le rêve, la prière est bien un lieu d’abandon, de repos, de nuit, de relâchement, de pauvreté, d’impuissance. Salomon ne dit-il pas dans son rêve : « Moi qui ne suis qu’un tout jeune homme, et ne sais gouverner. » (v. 7). Prier, demander c’est se reconnaître limité, incapable par nos propres moyens uniquement d’atteindre nos objectifs. Et c’est peut-être pour cela que nous avons du mal à savoir demander. Parce que nous avons du mal à nous reconnaître limités. Nous avons du mal à reconnaître que nous avons besoin d’un autre pour être.
Mais si la prière de Salomon part de ce constat, elle n’y reste pas, bien au contraire. Salomon commence par louer Dieu pour sa fidélité envers son père David. Il confesse ainsi que sa propre existence est en fait don venu de Dieu en réponse à la loyauté, la justice et la droiture de son père envers Dieu. Bref, au lieu de se focaliser d’abord sur ce qui lui manque, sur ses frustrations, Salomon commence par reconnaître tout ce qu’il a déjà reçu et cette reconnaissance entraîne la louange et la louange devient le socle sur lequel s’enracine la demande. C’est sur le fond de cette louange, d’une vie donnée et reçue comme un cadeau, comme une grâce, que Salomon présente sa demande.
La prière tient encore du rêve en ce qu’elle nous entraîne à un discernement, à une mise à jour de ce qui nous tient à cœur, une mise à jour d’autant plus claire qu’elle part de la reconnaissance de ce que nous avons déjà reçue. Sur cette base, nos demandes ne nous paraissent plus insensées ou futiles car nous découvrons que nous y sommes attendus, accueillis, mais aussi interrogés sur nous-mêmes et nos désirs les plus profonds. La prière conjugue donc une spontanéité et une innocence d’une part, quand elle est cet élan venu du plus profond et nous tourne vers Dieu ; d’autre part, une clairvoyance, un discernement et une intelligence qui prennent également leur source en Dieu. C’est ce mélange de spontanéité et de clairvoyance, d’innocence et d’intelligence que Jésus nous invite à retrouver quand il affirme : « Demandez et l’on vous donnera. »
Finalement, la question initiale : « Que pourrais-je te donner ? Demande le moi !» nous renvoie à une ultime autre question : qu’est-ce qui, dans ma demande, laissera de la place à Dieu ? A ce qu’il a déjà fait pour moi et qui est un indice de ce qu’il veut pour moi ? Qu’est-ce qui dans ma demande traduira la confiance concrète que je lui accorde ? Qu’est ce qui dans ma demande rejoindra ces mots : que ta volonté soit faite ? Amen !