Écouter le culte :
N’y allons pas par quatre chemins, chers frères et sœurs, chers amis, même si les textes du jour ont pu vous paraître, à l’audition, un peu compliqué, en fait, ce qu’ils veulent nous dire est relativement clair et aussi relativement connu.
L’épitre aux Romains par exemple, cette lettre dans laquelle l’apôtre Paul compile l’entier de sa réflexion théologique, l’épitre aux Romains dans ce chapitre 13 dont nous avons entendu un extrait, que nous dit-elle ? Elle nous dit qu’il y est question de l’essentiel, de l’amour du prochain, le fondement de toute notre vie en commun. Au moment où il s’apprête à conclure de longs développements théologiques compliqués, l’apôtre Paul arrive là à l’essentiel pour ses lecteurs de l’époque et pour nous ses auditeurs et lecteurs d’aujourd’hui. L’essentiel, le fondement de la vie, de notre vie les uns avec les autres, c’est l’amour. Voilà qui est à la fois très clair et somme toute pas très neuf.
Il en va de même pour cet oracle du prophète Ézéchiel que nous avons entendu. Certes, le texte est un peu plus compliqué, il parle longuement des méchants et des justes, mais au fond il se termine par quoi ? Il se termine par l’affirmation selon laquelle Dieu veut que nous vivions, que nous soyons considérés comme des justes ou que nous soyons considérés comme des méchants. Dieu ne cherche pas notre mort, mais pour chacune et chacun d’entre nous, il offre la vie.
Bref, deux textes qui, au final, s’avèrent assez clairs et assez unanimes : le Dieu qui nous rassemble ici dans ce culte est un Dieu qui nous veut vivant et qui nous demande d’agir par amour les uns envers les autres. Dieu est amour, et veut que nous vivions de, et dans cet amour. Je l’ai déjà dit, il n’y a rien de neuf là-dedans, l’ensemble du message biblique pourrait se résumer à cela. C’est toujours aussi simple, et puis finalement, c’est toujours aussi difficile à vivre. Difficile à croire et difficile à mettre en pratique au quotidien. C’est notre responsabilité, c’est notre tâche et au bout du compte je pourrais me contenter de cela ce matin.
Je pourrais maintenant me dire : « Après tout, j’ai dit l’essentiel et on pourrait en rester là. » Je pourrais me dire que, après tout, j’ai pas eu beaucoup de temps pour préparer cette prédication, ayant été appelé à la dernière minute, ou presque. Je pourrais me dire : « Je vous ai dit l’essentiel et pour le reste tant pis. Je vais aller m’asseoir et puis je vais laisser Didier Godel, notre organiste, nous faire bénéficier de son talent en lui disant : ‘écoute, tu as encore 15 minutes, amuse-toi à l’orgue et fais nous plaisir’. » Sauf que …
Sauf que, il y a dans Ézéchiel quelque chose qui a retenu mon attention, qui m’a frappé, quelque chose qui m’a fait dire que cela valait la peine de creuser un petit peu.
Dans l’oracle, qui nous est rapporté, Dieu place Ézéchiel comme un guetteur, un veilleur, une sentinelle. Une sentinelle dont la tâche est de donner des avertissements au peuple dans son entier, nous sommes là au-delà de la division entre les justes et les méchants, entre ceux qui écoutent et ceux qui n’écoutent pas. La tâche d’Ézéchiel, sa mission, ce qui donne du sens à sa vie de prophète, c’est d’être une sentinelle, de guetter. De considérer le peuple dans son ensemble et de l’avertir lorsque celui-ci semble faire fausse route, lorsqu’une menace semble le faire dévier de sa trajectoire et lui faire oublier que Dieu est un Dieu qui veut la vie.
C’est une tâche difficile. C’est une tâche ingrate parce que parfois, il faut dire des choses qui ne sont pas simples, des choses qui ne sont pas faciles à saisir, des choses qui ne sont pas faciles à dire parce que cela pourrait engendrer des contradictions, des incompréhensions.
Alors, je me suis demandé dans le train ce matin en venant, je me suis demandé : « Et si Dieu me donnait aujourd’hui une telle tâche de sentinelle ? Si Dieu me la donnait aujourd’hui dans une période et dans une société marquée par ce fichu virus, et encore, je reste poli, et si Dieu me donnait aujourd’hui une telle tâche, je dirais quoi ? »
Eh bien je crois que je vous parlerais de trois réalités :
Je parlerai de la peur, de la peur et des risques qu’elle engendre.
Je parlerai de la vie qui est bien plus que le fonctionnement des cellules.
Je parlerai de l’espérance, de l’espérance à retrouver justement aujourd’hui.
Mais avant de vous parler de ces trois réalités : de la peur, de la vie et de l’espérance, permettez-moi un petit préambule pour clarifier, pour poser les choses d’emblée. Je ne suis pas un conspirationniste, qui voit partout la manipulation ou les tentatives de prise de pouvoir de sociétés occultes. Je ne suis pas un anti-masque, je ne crois pas que le gouvernement cherche délibérément à restreindre nos libertés, qu’il exagère les choses pour mieux asseoir son pouvoir. Je porte le masque, je respecte les mesures prescrites par les autorités, je me lave les mains soigneusement, je les désinfecte, je respecte les distances sociales. Je suis reconnaissant de vivre dans un pays qui dispose d’autorités qui essayent de faire de leur mieux pour combattre la maladie et prendre soin des plus faibles, et pour que ces derniers ne soient pas simplement abandonnés au bord de la route.
Je cherche à rester lucide : nos autorités ne sont pas toutes puissantes, elles peuvent se tromper et commettre des erreurs. Je suis reconnaissant de vivre dans un pays qui a des autorités qui prennent le problème sanitaire actuel à bras le corps et qui disent aussi qu’elles peuvent se tromper, que leurs décisions ne sont pas absolues, que peut-être demain, il faudra changer d’avis ou de consignes. Je suis reconnaissant d’être dans un pays où l’on me traite en adulte responsable et où on me dit que je ne peux pas simplement me défausser sur des structures ou des gouvernements mais que je dois faire ma part.
Et puis je sais que le virus peut être dangereux, je sais qu’il faut être prudent et qu’il ne s’agit pas de prêcher aujourd’hui la désinvolture.
Mais au-delà de cela, je constate que la peur, une peur sourde, une crainte constante s’infiltre de plus en plus dans nos vies, dans nos relations, dans nos cœurs et sur nos lèvres. Alors la peur est une émotion nécessaire à la survie. Heureusement, que nous avons peur, si nous ne l’avions pas, nous serions des inconscients et sans doute que l’espèce humaine ne serait plus là aujourd’hui si elle n’avait pas pu bénéficier de la peur par le passé.
La peur est légitime, la peur est nécessaire, mais je m’interroge toujours lorsque la peur devient ce qui insidieusement commence à diriger nos vies. Parce que la vie, ce n’est pas simplement d’avoir peur, la vie c’est aussi prendre des risques et si nous nous laissons gouverner par la peur alors nous pourrions tenter de fantasmer sur une vie sans risque, une vie avec un risque zéro.
Mais, chers amis, la vie, c’est risqué ! Et s’il y a une chose que cette crise du coronavirus nous apprend aujourd’hui, ou plus exactement nous rappelle, c’est que la vie, c’est un risque. Et que tout l’enjeu, c’est de savoir prendre des risques nécessaires. Des risques suffisants mais pas des risques inconsidérés. Il n’y a pas de vie sans capacité à prendre des risques, il n’y a pas de vie non plus si elle est uniquement basée sur la peur.
Parce qu’au fond, cette peur qui pourrait nous paralyser, c’est quoi ? Au fond c’est la peur de mourir. Et c’est légitime. Je n’ai pas envie de mourir, je ne veux pas mourir, j’ai peur de mourir. C’est légitime, mais ce qui ne l’est pas, c’est de construire une vie uniquement sur la peur. La vie est un risque et en tant que chrétien, lorsque je considère Jésus, je trouve que Jésus est pour moi un exemple sur la façon dont un être humain a assumé le risque qu’était sa vie.
Jésus, à certains moments, n’a pas pris de risque. Il s’est retiré loin des foules par exemple. Il a renoncé à sauter du pinacle du Temple pour prouver au Diviseur qu’il était bel et bien le Messie. Et puis, à certains moments, il a pris des risques, il a vécu ce risque, et il a pu le faire parce qu’il était en permanence en lien avec Dieu dans une proximité si étroite que je peux aujourd’hui encore l’appeler « Fils de Dieu » comme lui appelait Dieu « mon Père ».
Alors aujourd’hui, j’aimerais simplement dire que la peur est peut-être nécessaire, mais que si nous voulons rester fidèles à Jésus, il ne faut pas laisser la peur uniquement gouverner nos vies,
Et puis je voudrais vous parler de la vie, parce que dans le discours médical, nécessaire, utile, important qui envahit tous les médias, il y a aussi un risque, celui de réduire la vie au simple fonctionnement biologique ; or, la vie, c’est plus que de la biologie, la vie c’est de la relation, c’est de l’amour partagé. Que devient tout cela lorsqu’on se réduit à n’être qu’un amas de cellules et que cela régule nos comportements avec les autres ?
Alors la période du Covid aujourd’hui nous enseigne aussi que la vie, c’est plus que de la biologie, que la vie c’est des relations, c’est des gestes, c’est des tendresses, c’est de l’affection, c’est des contacts.
Nous sommes aujourd’hui mis au défi de trouver de nouveaux moyens d’exprimer cela ou de vivre cela. Est-ce que cela sera provisoire ou destiné à durer sur le long terme ? Je n’en sais rien, mais nous sommes aujourd’hui confrontés à ce défi de trouver des moyens simples d’entretenir nos contacts, dans une balance constante avec les risques possibles.
Si nous ne trouvons pas de nouveaux moyens de vivre une vie qui soit plus que de la biologie alors cela va nous ronger jusqu’à nous déshumaniser. « L’homme ne vivra pas de pain seulement, » dit l’Évangile, « mais de toute parole qui sortira de la bouche de Dieu. » Or, la Parole, c’est d’abord de la relation, une mise en relation. N’y renonçons pas, à quoi bon vivre biologiquement si c’est vivre constamment coupé des autres.
Enfin, je constate que toute cette situation met en évidence ce qui m’apparaît être un manque d’espérance flagrant dans notre société. Pour ma part, je sais, oui je vais mourir un jour, oui cela me fait peur, oui je n’ai pas envie que cela arrive maintenant à cause d’un fichu virus que j’aurai négligé. Mais j’ai l’espérance, chevillée au corps et au cœur, que la mort n’est pas le dernier mot sur la vie, sur ma vie. J’ai l’espérance, que par amour, Dieu dira un dernier mot sur ma vie, un mot qui exprime le fait qu’il veut que je vive, peut-être ailleurs, peut-être autrement, mais un mot qui dise que la fin de la biologie n’est pas la fin de la vie. Et c’est justement parce que j’ai cette espérance que je peux chercher à regarder la peur en face et ne pas la laisser dominer ma vie, que je peux entrer en relation avec les autres sans avoir toujours la crainte de me contaminer, que je peux affronter cette période parce que je crois que, quoiqu’il arrive, Dieu a un avenir pour moi qui va bien au-delà de ce que je peux imaginer ou voir.
Oui, être en relation c’est risqué, mais là, le Covid ne révèle rien de neuf, nous le savions depuis longtemps, même si parfois nous l’avions oublié, être en relation les uns avec les autres, c’est prendre des risques. C’est prendre des risques biologiques et viraux, c’est aussi prendre des risques affectifs. Lorsque je dis à quelqu’un « je t’aime », je prends un grand risque, celui qu’il ne dise : « et moi je ne t’aime pas ». Alors prendre des risques dans les relations c’est aussi pour moi l’occasion de proclamer qu’avec l’aide de Dieu, je pourrais vivre des relations épanouissantes, des relations qui me permettent de me déployer dans ma vie.
Oui, nous vivons dans une époque où l’avenir nous paraît sombre, mais j’ai l’espérance que comme le dit le Psaume : « Même si je marche dans la vallée de l’ombre de la mort je ne crains aucun mal car tu es avec moi. » La vie, c’est risqué, mais je ne suis pas seul.
Alors, aujourd’hui je vous le dis, si je devais être sentinelle à la place d’Ézéchiel, je dirais que je ne veux pas laisser la peur dominer ma vie mais je veux dominer ma peur pour continuer à vivre.
Je ne veux pas réduire ma vie à un fonctionnement biologique, mais je veux prendre soin de ce fonctionnement pour continuer à vivre des relations épanouissantes, indispensables.
Je veux continuer à vivre dans la confiance et dans l’espérance.
Et en vous disant tout cela ce matin, j’espère être pour vous un témoin de ce Dieu qui veut que nous vivions, au nom de son amour.
Amen.