Écouter le culte :
Le Seigneur est mon garagiste, il assure la sécurité de mes déplacements. Le Seigneur est mon assureur, il prévoit mon avenir. Le Seigneur est mon banquier, il garde mes secrets. Le Seigneur est mon médecin, il me soigne. Vous êtes sans doute d’accord avec moi que ça ne marche pas très bien, mais les exemples sont au moins de nos jours. Essayons quelque chose de plus classique : Le Seigneur est mon berger. Ah, oui ! Ça va tout de suite mieux. Voilà un texte que tout le monde connaît ou connaissait. Sans doute, le plus connu des psaumes. Un psaume rassurant, une image idyllique, pastorale. On peut vraiment s’imaginer dans la verdure au bord du lac.
Mais aujourd’hui nous ne connaissons plus les bergers. De nos jours il n’y en a presque plus, puisqu’il n’y a plus de prédateurs, même si le loup semble revenir dans nos montagnes. Nous ne savons pas très bien ce que c’est un berger, en tout cas, le berger qui accompagne son troupeau en permanence, qui l’amène dans des prés d’herbe fraîche, qui le conduit au calme. Mais nous avons une idée, une image, peut-être dépassée, du berger et cette image est probablement mélangée avec l’image biblique du berger.
Remontons longtemps dans le passé. Quand j’étais à l’école de dimanche, il y avait un tableau du bon berger, Jésus, qui portait un agneau. Ce n’était pas un Jésus très juif. Il avait des traits occidentaux, il était grand, un peu roux, la chevelure ondulante. Manifestement, c’était une image très forte qui m’est restée et je pense que je suis pas le seul d’avoir ce genre de souvenir. C’est presque la même chose pour le Psaume 23. Si l’on demande aux gens de citer un psaume c’est presque certain que ce sera celui-là.
Pourquoi dans une société urbaine, industrialisée cette image du berger reste-t-elle si forte ? Est-ce seulement la nostalgie ? C’est clair que ce psaume est profondément rassurant. On le lit souvent aux services funèbres. Mais il y a beaucoup d’images dans ce psaume qui ne sont pas de notre époque. Et il faut dire qu’il y a un coté plus sombre de ce psaume. Ce psaume est très réaliste. Le poète qui l’a écrit connaît des moments de joie et de sérénité, ainsi que des moments de difficulté, voire de menace et de mort.
Il y a à la fois cette image paisible du début « Il me met au repos dans des prés d’herbe fraîche, il me conduit au calme près de l’eau » et l’image sombre de la vallée de l’ombre de la mort, cet endroit où il doit traverser, comme nous devons le traverser aussi, mais Dieu est toujours là à ses cotés.
Il va de soi que le berger de ce psaume est un bon berger. Parce qu’il ne suffit pas d’être berger en soi. Dans l’Ancien testament, on parle souvent des rois et les dirigeants d’Israël comme les bergers du peuple. Parfois ce sont des bons bergers, mais pas toujours. Par exemple, si vous lisez le livre d’Ézékiel au chapitre 34 vous verrez des bergers véreux qui pillent et massacrent et qui s’en mettent plein les poches. C’est la condamnation de toute une classe dirigeante corrompue sans le moindre respect pour la loi de Dieu. C’est Dieu qui sera un bon berger pour son peuple, alors en exil et qui le guidera à travers le désert.
Le psalmiste se souvient des jours d’allégresse, mais tout n’est pas toujours facile. Il y a des ennemis, face à qui Dieu prépare un banquet. C’est une image un peu bizarre. On imagine l’auteur assis à une table en train de manger face à ceux qui lui veulent du mal. Parfois la Bible parle de la présence de Dieu comme lors d’un banquet. Etre avec Dieu, c’est s’asseoir à table en bonne compagnie, sûr de la protection de Dieu. Cette image du banquet, que nous trouvons aussi dans le Nouveau Testament, peut contrecarrer l’idée très courante que les croyants ne savent pas s’amuser. Les bonnes choses de la vie nous sont données pour qu’on s’en réjouisse.
Que fait un berger ? Le berger est guide – il amène son troupeau vers de bons pâturages. Comme le dit le psalmiste : il me guide sur la bonne voie. Comment est-ce que Dieu nous guide ? Il y a peut-être parfois la petite voix qui parle à notre esprit, mais cela reste subjectif et personnel. A nous tous, Dieu donne la Bible, cette collection d’écrits qui est la base de notre réflexion sur notre manière de vivre et de notre relation avec Dieu. Il nous donne son Église, lieu d’apprentissage de la foi et lieu de la vie communautaire qui nous aide à approfondir notre foi. Surtout il nous donne son Fils – bon berger lui aussi – car nous voyons le visage du berger sur la croix. Il donne sa vie pour ses brebis. Mais nous ne sommes pas toujours d’accord d’accepter d’être guidés. Nous croyons que nous savons mieux que le berger, qu’il y a un brin d’herbe un peu plus vert et un peu plus intéressant juste un peu plus loin. Notre chute ne sera pas la faute de Dieu, mais de notre entêtement.
Le berger protège. Un vrai berger protège ses brebis des bêtes féroces, des chutes, des précipices. Mais parfois nous avons l’impression qu’un vrai bon berger devrait mieux nous protéger des écueils de la vie. Notre expérience nous montre que le fait d’être chrétien ne nous protège pas de toutes les tuiles qui nous tombent dessus. Parfois avec du recul et en cherchant bien, nous voyons que, sans le vouloir, c’est bien nous qui nous sommes mis dans une position de danger. Ce n’est pas toujours le cas et on se demande ce qu’on a fait pour mériter ce qui nous arrive de désagréable.
Je crois surtout qu’il n’y a pas de réponse facile comme « Vous n’avez pas assez cru, vous n’avez pas assez prié, ces choses nous sont envoyées pour nous mettre à l’épreuve. » Il n’y avait pas de réponse facile pour Jésus abandonné sur sa croix un certain vendredi. N’avait-il pas assez prié ? N’avait-il pas assez cru ? Dieu, en Christ, nous accompagne dans notre épreuve et quand nous avons l’impression qu’il nous a lâchés, c’est surtout le moment où il nous porte.
Dans l’évangile, Jésus se trouve en conflit avec les autorités juives – des mauvais bergers – et il dit qu’il est le bon berger, comme celui du psaume 23. Le bon berger se distingue du mercenaire qui, lui, est payé pour s’occuper du troupeau. Quand Jésus fait cette comparaison ses auditeurs savent bien que les bergers n’avaient pas une très bonne réputation. Ils étaient effectivement payés par le propriétaire et devaient rendre compte des naissances et de l’état du troupeau. Mais la tentation était grande de se faire un bon petit rôti de temps en temps. Et on doit aussi entendre une critique des autorités juives qui mènent le peuple de Dieu au désastre. Ces mercenaires dont parle Jésus vit pour l’argent et le pouvoir. C’est leur seule relation au troupeau.
En se distinguant alors des mercenaires, Jésus parle d’un lien qui n’est pas de l’ordre de l’avoir, mais d’une relation à Dieu. Jésus connaît les siens et les siens le connaissent. Et dans la pensée de l’évangéliste Jean, connaître et aimer sont synonymes. Le lien qui nous unit au Christ est l’amour – un engagement de toute notre vie, comme le bon berger est prêt à aimer à l’extrême, à donner sa vie pour les humains. C’est sa parole qui ne cesse de nous appeler à sa suite et à la vie.
Et la parole du Christ est fiable : dans la foi de Pâques, nous savons qu’il est lui-même passé par la vallée de l’ombre de la mort, qu’il a donné sa vie pour ses brebis. A la différence du mercenaire, le bon berger se donne lui-même, il paie de sa personne. Il n’a rien d’autre à donner au monde que ce qu’il est lui-même : le don de l’amour du Père. La vie de ses brebis a plus de prix que sa vie même. Et il n’attend rien en retour : ce que ce Berger fait pour nous est gratuit, de la grâce. Il nous donne sa vie et n’attend de nous que notre confiance.
Aujourd’hui encore, le bon Berger annonce que ses brebis écoutent sa voix, elles ont la vie éternelle et personne ne pourra les arracher de sa main. Nous sommes dans la main de Dieu. Rien ne pourra nous arracher de cette main qui nous guide et nous porte. Parfois c’est auprès des eaux paisibles, parfois c’est dans les lieux moins propices, mais le berger y est toujours.
Amen !