Écouter le culte :
Prédicateurs : Pasteurs Jean Chollet et Daniel Fatzer avec Jean-Philippe Ecoffey
Daniel Fatzer : Nous venons de passer trois dimanches avec Moïse donnant ses dernières instructions au peuple d'Israël, juste au bord du Jourdain. Et nous nous sommes arrêtés sur cette phrase : "Je mets devant toi la vie et la mort, choisis la vie."
Et à la lumière d'un tout petit extrait de la première lettre de Paul aux chrétiens de Corinthe, nous nous sommes demandés ce que ça impliquait. Comment se déclinait cette "vie" préconisée par Moïse.
Avec Jean-Baptiste, aujourd’hui, nous sommes à nouveau au bord du Jourdain, mille ans plus tard.
Dans ce passage, il y a une véritable mise en scène et il y a une parole prêchée. Voilà pourquoi j’ai autour de moi ce matin, à ma gauche Jean-Philippe Ecoffey, qui est comédien (est-il besoin de le rappeler), et à ma droite, le pasteur Jean Chollet.
Jean-Philippe Ecoffey, bonjour. J'aurais envie de dire : on ne vous présente plus. Vous avez une carrière impressionnante au cinéma, mais je sais que vous aimez aussi le théâtre.
La dernière fois que vous avez découvert un texte formidable, un texte dont vous vous êtes dit : il faut absolument que j'en fasse quelque chose. Il faut le dire, le monter, le produire… c'était quand et dans quel théâtre ?
Jean-Philippe Ecoffey : Je lis tous les jours des textes formidables. J’ai le privilège d’être obligé de lire pour vivre. Sans doute un chrétien trouve-t-il dans les Ecritures sa nourriture spirituelle au quotidien. Tel autre, et j’en fais partie, trouvera dans la poésie la grandeur de Dieu, Son immanence et Sa force. Je comprends Dieu par la beauté de la poésie. La beauté de la Création, la grandeur immense des petites choses de la vie.
Le sens de la vie s’éclaire dans le choc de quelques vers. Le chemin devient alors lumineux. Le soleil ne fait-il pas briller les étoiles de neige et nos âmes ne scintillent-elles pas ainsi d’espoir ? Je crois en la beauté de la Création, en la beauté du Verbe qui la signifie. Je pense que l’âme est indestructible… Si c’est cela être chrétien…
Daniel Fatzer : Jean Chollet, une réaction à ce que vient de dire Jean-Philippe Ecoffey ?
Jean Chollet : Jean-Philippe Ecoffey dit : « J’aime la poésie, c’est dans la poésie que je trouve une forme de spiritualité ou peut-être quelque chose qui me dépasse. L’Immanence ». S’il parle de la poésie d’une manière très intérieure, très sereine, cela ne ressemble pas vraiment aux « gueulées » de Jean-Baptiste dans le désert.
Jean-Philippe fait quelque chose d’intérieur pour un petit groupe, il rejoint les gens dans une forme de simplicité. Jean-Baptiste fait exactement le contraire : Au lieu d’aller dans les villes, dans les villages, dans les théâtres, de rencontrer les gens là où ils sont, il va au désert comme s’il ne savait pas ce que nous savons tous : c’est que prêcher dans le désert signifie faire quelque chose qui ne sert strictement à rien !
Pourtant, contre toute attente, les gens se pressent auprès du Baptiste. Ils viennent en foule écouter sa prédication.
Daniel Fatzer : Donc la stratégie de Jean-Baptiste était la bonne ?
Jean Chollet : Absolument !
Jean-Philippe Ecoffey : Je peux poser une question ?
Daniel Fatzer : Je vous en prie ! Bien sûr.
Jean-Philippe Ecoffey : Est-ce qu'on sait pourquoi Jean-Baptiste est allé au désert et pas au Temple de Jérusalem, par exemple ?
Jean Chollet : Je ne sais pas exactement pourquoi il a choisi le désert plutôt que le temple. C'est toujours difficile d'analyser le non-dit dans un texte. Ce que je sais en revanche c'est que ce lieu est lourd de sens.
Il y a le désert et il y a le Jourdain.
Dans l'esprit des Israélites, le désert, on s'en souvient, c'est le lieu d’une expérience décisive. C'est le moment où le peuple, après être sorti d'Egypte, après être sorti de la captivité, va mettre quarante ans pour finalement arriver en Terre Promise. Et ce désert, les prophètes en parleront toujours comme d'une époque forte. Essentielle. Non pas que les prophètes auraient été particulièrement nostalgiques et que, pour eux, le bon vieux temps, c'était naturellement avant… Mais c'est l'époque où le peuple dépendait uniquement de Dieu et, à certains égards, il lui était plus fidèle que quelques siècles plus tard, lorsque ce peuple s'est sédentarisé ou installé.
Le désert, c'est le lieu de la relation idéale entre Dieu et son peuple.
Daniel Fatzer : ça c’est pour le désert. Et le Jourdain ?
Jean Chollet : Le Jourdain, c'est évidemment la rivière qu'il faut passer, traverser pour avoir accès au pays de la promesse. Et c'est dans ce Jourdain que Jean-Baptiste baptise.
Du coup, le signe est très fort.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire qu'il y a une autre "terre promise" dans laquelle il faut entrer aujourd'hui. Il ne suffit pas de dire : « mon arrière, arrière, arrière grand-père … s’appelait Abraham, sous –entendu ça doit suffire ».
Il faut entrer dans une nouvelle Terre Promise qui est celle de l’Esprit avec un grand « E ».
Daniel Fatzer : Mais alors excusez-moi, mais les chemins du cœur sont en général des chemins subtils, délicats non ?
Jean Chollet : Si, bien sûr.
Daniel Fatzer : Ici, le trait est un peu grossier.
Jean Chollet : Vous pensez à quoi ?
Daniel Fatzer : Eh bien… on va demander à Jean-Philippe de relire les versets 4 et 5 :
Jean-Philippe Ecoffey : « Préparez la route du Seigneur ! Faites-Lui des chemin bien droits. On remplira tous les ravins. On aplatira toutes les montagnes et toutes les collines. Les tournants de la route deviendront droits. »
Daniel Fatzer : On a entendu ces paroles tellement souvent qu’elles finissent pas devenir inoffensives, mais elles sont très violentes, non ?
Jean Chollet : Elles sont extrêmement violentes.
C'est un tank israélien qui entre dans Gaza.
C'est un bulldozer qui creuse la forêt vierge d’Amazonie pour faire une autoroute.
Ce sont des quartiers populaires entièrement rasés pour les jeux olympiques de Pékin.
Et surtout ça paraît totalement inadéquat pour annoncer le Jésus qu'on va connaître par la suite.
Parce que si Jésus avait été un chef de guerre, si Jésus avait été un prince de ce monde, assoiffé de pouvoir et d'argent, s’il avait été un patron autoritaire à l'ego surdimensionné… alors les paroles du prophète Esaïe auraient été adéquates.
Mais ce n'est pas le cas !
Le Jésus qui va naître va naître d'une toute jeune fille qui n'est pas mariée.
Il va naître en voyage.
Et il va venir au monde dans des conditions extrêmement modestes !!!
Donc en relisant ces deux scènes, l’une après l’autre, et en les relisant avec un œil un peu neuf, on devrait se dire : « Je n’y comprends rien ».
Daniel Fatzer : Il y a des films parfois où on se dit « là… je suis largué, je ne comprends plus rien ». On a le sentiment que le réalisateur va n’importe où … Jean-Philippe, vous aimez les films où vous vous sentez perdu ou vous préférez les films où vous comprenez tout ?
Jean-Philippe Ecoffey : cher Monsieur, il semblerait que ceux qui écrivent sont des démiurges et trouvent une dramaturgie adéquate au sujet envisagé. Donc, ils vont amener du sens, si tant est qu’ils en aient l’intelligence. Mon métier c’est de regarder si ces gens là sont capables de faire du sens et quand il y en a (du sens), alors je m’engage.
Daniel Fatzer : Revenons à la contradiction qu’évoquait Jean Chollet. Parce qu'on le sait bien, lorsque les pasteurs mettent en évidence une contradiction, c'est toujours que derrière, ils ont une bonne réponse. Alors, Jean Chollet, quelle est votre « réponse » ?
Jean Chollet : Je ne sais pas si j'ai une bonne réponse. Ce que je sais en tout cas, c'est que ce n'est pas au rayon du génie civil qu'il faut chercher.
Le Baptiste ne dit pas "on va poutser la Galilée pour la naissance de Jésus". Il ne dit pas : "On va inviter toutes les entreprises de terrassement de la place pour que les sentiers de la Palestine deviennent des autoroutes à quatre voies".
Jean-Sébastien Bach a écrit une très belle cantate – la cantate BWV 132 "Bereitet die Wege, bereitet die Bahn", "préparez le chemin, préparez la voie" dans laquelle, il part du texte d’Esaïe et très rapidement, il nous fait comprendre que le chemin à aplanir, c'est à l'intérieur de soi. Que les lourdes pierres à passer au rouleau, c'est à l'intérieur de soi. Qu’il faut faire de la place.
Il faut faire de la place comme dans un couple ou dans une famille, on fait de la place pour l’enfant qui naît.
Daniel Fatzer : Faire de la place à l'intérieur de soi. Jean-Philippe, quand vous abordez un nouveau rôle, au cinéma ou au théâtre… vous le nourrissez bien sûr de tout ce que vous êtes, de tout ce que vous savez, de vos expériences de vie personnelle… Mais comment est-ce que vous lui faites de la place ?
Jean-Philippe Ecoffey : L’idée, c’est d’être parfaitement conscient de tout le récit dans lequel on s’inscrit. Il faut savoir magnifiquement ce que veut dire ce que l’on fait, dans quoi notre personnage s’inscrit. Dans quel récit. Le plus qu’on est conscient, le plus que tout d’un coup, par inadvertence et par magie, l’inconscient surgira. Ce sera le moment de création de l’acteur.
Daniel Fatzer : Faire de la place. C'est donc ça, Jean Chollet, cette parole d'Esaïe reprise par Jean le Baptiste?
Jean Chollet : C’est un des sens. Il y en a peut-être un autre : celui de « remettre à plat »
"Remplir les ravins et aplatir les collines".
On pourrait se dire quelle horreur ! C'est transformer le Valais en Belgique ! Est-ce que ce qui fait la richesse de l'image, le charme d'un pays, le rythme d'une construction, ça n'est pas justement l'alternance des collines et des ravins ? Si l'on met tout à plat, ce sera d'un ennui mortel !
Peut-être pas. Peut-être que mettre à plat, c’est enlever tout ce dont on s’est chargé,
Tout ce qu’on croit savoir, tout ce qu’on croit comprendre, Pour repartir avec un œil et un cœur neuf.
Daniel Fatzer : N'est-ce pas ce qu'on fait aussi parfois au théâtre, cher Jean-Philippe ? Quand on a répété une scène pendant des semaines et qu'on se rend compte qu'elle ne fonctionne pas, qu'il faut partir ailleurs, ne remet-on pas à plat ?
Jean-Philippe Ecoffey : On remet à plat, mais on recommencera toujours avec ce qu’on est. On ne créé qu’à partir de soi-même. On ne créé qu’à partir de son âme et de son corps. On ne créé qu’à partir de soi-même et on part peut-être à plat, mais on est toujours avec le potentiel créatif que chacun comporte.
Daniel Fatzer : Dans le cas précis de Jean-Baptiste, qu'est-ce qu'il faut remettre à plat ?
Jean-Chollet : Je crois qu’il faut remettre à plat deux choses.
D’abord, notre rapport à la richesse. Quand les gens demandent … "Qu'est-ce qu'il faut faire", Jean leur répond simplement " Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n'en a pas".
Et puis – et juste avant la naissance de Jésus c'est peut-être l'élément le plus important – remettre à plat mon image de Dieu, ma conception de Dieu. Si pour moi, Dieu n'est que force, puissance, gloire, royauté, Dieu des armées, j'aurai évidemment beaucoup de peine à accueillir un "fils de Dieu" qui naît dans une étable.
Et puis, on pourrait encore s’arrêter sur un troisième sens …
Daniel Fatzer : Non, non ! Bien sûr, on pourrait ! Mais non !
Non parce maintenant, il faut qu’on ait un peu de temps pour digérer.
Traverser le Jourdain pour entrer dans le pays de l’Esprit Saint et Lui faire de la place et remettre à plat certaines de nos idées et de nos convictions… ça suffit largement pour aujourd’hui !
Merci.