Alléger ses bagages

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Écouter le culte :

Tout près de l’église St-Germain, en Vieille-Ville de Genève, se trouve la Maison Tavel, où j'ai eu l'occasion récemment de visiter l’exposition « Les Visages de Genève ». Cette exposition, réalisée par le photographe helvético-américain Josh Fassbind, présente 190 photos de personnes qui vivent à Genève, pour montrer la dimension multiculturelle de la ville. Sur chaque photo, on peut lire le prénom de la personne, son pays d’origine, et un mot décrivant son expérience de Genève ; le lieu de la photo est choisi par la personne indiquant aussi un aspect de leur expérience de la vie ici. De ces 190 portraits, 189 sont des personnes qui sont venues à Genève, de l’extérieur de la Suisse, par exemple des gens qui travaillent pour l’ONU ou d’autres ONG - y compris deux de mes collègues au COE – ou encore des étudiants/es ou des refugiés.

Ces 189 personnes, et avec eux des milliards d’autres comme moi, partagent l’expérience d’avoir voyagé depuis leur propre pays pour venir passer quelques mois, quelques années, ou le reste de leur vie à Genève. Ce grand déménagement est toujours une expérience assez « ascétique ». Nous ne pouvons pas emporter toutes nos vies antérieures ici, ni nos réseaux sociaux, même nos affaires ou nos biens. Avant de partir, nous avons été obligés de prendre des décisions difficiles : qu’allons-nous prendre avec nous ? Qu’allons-nous laisser ? Même les déménagements les plus avantageux incluent des pertes et des changements de vie.

Mais ce ne sont pas seulement les personnes qui voyagent à Genève ; il y a aussi celles qui voyagent depuis Genève, vers l’extérieur pour le travail ou des vacances. Il y a des milliards de personnes qui voyagent ici pour de courtes visites, des réunions, des conférences, ou tout simplement, des touristes qui arrivent et qui partent en avion ou par le train tous les jours.

Je suis surpris que parmi les 190 photos de l’exposition il n’y en a que trois qui sont reliées aux lieux de voyages ; deux à l’aéroport et un à la Gare de Cornavin, parce que pour moi, Genève est une ville de voyageurs, toujours en marche. Un des sons que je vais associer à Genève pour la reste de ma vie est le bruit des "valises aux roulettes" très tôt le matin.

Ici à Genève, nous savons comment voyager et comment se préparer pour un voyage. Nous sommes toujours conscient du fait que lorsque l’on voyage en avion, par exemple, il nous faut prendre le minimum, soit moins de 23 kilos. Donc, faire nos valises nous amène à nous poser une question : qu’allons-nous emporter, et qu’allons-nous laisser à la maison. La règle simple est de laisser la moitié des choses que nous voudrions emporter. Il y a un certain « ascétisme » dans nos choix, parce que nous avons toujours la tentation d’emporter beaucoup plus que ce dont nous avons besoin. Et nos choix indiquent quelque chose de nous.

Quand je fais ma valise, par exemple, j’emporte toujours trop. Ma grande peur est de ne pas avoir assez à lire. Est-ce que j’ai vraiment besoin de mon iPad, de trois livres et mon iPhone pour un voyage de trois jours ; pas du tout, mais je deviens anxieux sans ces distractions. Je réalise que ma tendance à surcharger ma valise est une geste de méfiance que la vie ne soit pas assez intéressante.

Prendre le minimum, réduire ne veut pas dire une privation, mais au contraire une ouverture, une chance de pouvoir découvrir le monde autour de nous, de pouvoir découvrir quelque chose de nous-mêmes, comme la présence de Dieu dans nos vies, toujours là mais parfois cachée par notre superflu.

En ce premier dimanche de Carême débute un autre voyage qui n’est fait ni en avion, ni par le train. C’est un voyage intérieur de quarante jours, un type de pèlerinage vers la célébration du mystère pascal, de la mort et de la résurrection du Christ. Depuis l’Antiquité, la communauté chrétienne invite ses membres à voyager « légèrement » en Carême. A ne pas prendre plus de 23 kilos - pas facile. Réduire et simplifier nos bagages pour un voyage, à l’extérieur ou à l’intérieur, est une expérience d’ascétisme. Il nous faut faire des choix.

Jésus voyageait légèrement. Il a dit à ses disciples « de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture. » (Marc 6, 8-9). L’évangile de ce premier dimanche de Carême raconte l’histoire de Jésus en voyage. Il a déjà quitté sa maison de Nazareth pour être baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain; il continue son voyage vers Jérusalem, en laissant sa vie de charpentier pour une vie de prédicateur et de guérisseur, signe et messager du royaume de Dieu.

Le début de son voyage est marqué par l’épisode dans le désert. Le désert pour Jésus —et pour ses ancêtres qui ont vécu 40 ans dans le désert — n’est pas un détour ni un vide, mais un lieu de choix, un lieu de découverte. Là, il est tenté par le diable qui lui offre trois possibilités pour l’aider sur sa route : la richesse, le pouvoir, et l’indépendance. Jésus n’est pas tenté par le mal, mais par la bonté. Le diable le force à faire un choix. Jésus suit le chemin de l’ascétisme, il continue son voyage vers Jérusalem avec le moins de bagages possibles, en voyageant légèrement. Les réponses de Jésus au diable ne sont pas pour se priver, mais pour être libre, ouvert à Dieu.

Pendant le Carême, Jésus nous invite à le suivre, à faire un voyage intérieur avec lui vers Jérusalem. Un voyage intérieur, mais un voyage quand même, avec la leçon apprise de nos expériences de voyages, soit en venant à Genève, soit en partant de Genève, en réduisant ce que nous voulons emporter. Selon l’exemple de Jésus dans le désert, la pratique classique de « réduire » pendant le Carême est de jeûner, de réduire ou de changer ce nous mangeons; après tout, on s’attend à un changement de régime quand on voyage.

Mais jeûner en nourriture, réduire ce que nous mangeons habituellement, n’est pas la seule expérience du jeûne. Par exemple, pour l’archevêque anglican de l’Afrique du Sud, Monseigneur Thabo Makgoba, réduire notre « empreinte de carbone » en laissant la voiture à la maison pour marcher, prendre les transports publics, le vélo, sont également des exemples de jeûne. Pour quelques uns de nous, ce peut être aussi de diminuer le plaisir de faire les magasins, y compris par internet. Ce peut-être aussi diminuer les heures devant la télévision ou l’ordinateur. Tout cela ce sont aussi des jeûnes. Vous pouvez identifier bien d’autres possibilités dans vos vies.

Le but n’est ni de nous priver, ni de faire quelque chose pour Dieu ; le but est de faire quelque chose qui nous permette de voyager, de profiter de la liberté d’accompagner Jésus sur sa route. Voici le vrai sens de « l’ascétisme ».

Nous vivons cette expérience de voyager avec le moins possible chaque dimanche quand nous marchons vers l’autel de Dieu pour rencontrer Jésus dans le pain de la vie et la coupe de salut, son corps et sang eucharistique. C’est seulement avec les mains vides que nous somme capables de recevoir ce don de communion avec Dieu, et les uns avec les autres.

Prions: Dieu très bon, tu nous invites, en ce temps de Carême, à repenser les vraies valeurs de la vie. Aide-nous à renoncer à tout ce qui ne nous est pas vraiment nécessaire afin que notre cœur soit libre pour la rencontre de ton Fils, Jésus-Christ, lui qui vit et agit avec toi et le Saint Esprit dans les siècles des siècles.

Amen.

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Détails

Avec la participation de
Jean-Claude Mokry, Danielle Balmer, Hélène Quélen et Jean-Claude Vouillamoz
Orgue
Nicolas Deriaz
Musique
Ensemble vocal de jeunes du Conservatoire Populaire de Genève, sous la direction de Serge Ilg