Au désert, la tentation du matérialisme

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Nous commençons aujourd'hui une série de trois méditations consacrées aux tentations de Jésus. Je m'attacherai ce matin à réfléchir avec vous à la première de ces tentations telle que décrite par l'évangile de Matthieu. Juste après son baptême, « Jésus fut emmené par l'Esprit au désert, pour être mis à l'épreuve par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur vint lui dire : Si tu es le Fils de Dieu ordonne que ces pierres deviennent des pains. Il répondit : Il est écrit : L'être humain ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Cette première tentation appelle pour le moins cinq remarques.

1. Une tentation qui est la nôtre

La première remarque concerne la place du lecteur, notre place donc, dans ce texte. Nous avons facilement tendance à tenir ce texte à distance. Il nous présente, en effet, la tentation de Jésus seul au désert. Cela semble aussi d'autant moins nous concerner que Jésus y est interpellé en tant que Fils de Dieu. Dans d'autres textes des évangiles, nous pouvons facilement nous sentir interpellés, car nous nous identifions aux disciples ou encore à la foule qui est prise à partie par Jésus. Ici, on nous montre ce personnage exceptionnel, tenté seul au désert. Et pourtant, c'est bien de nous qu'il s'agit. Si l'évangéliste tient à nous décrire ainsi Jésus tenté, c'est pour nous dire, d'une part, qu'il est venu partager notre sort, et d'autre part, pour nous montrer comment répondre correctement à pareille mise à l'épreuve.

Tout d'abord, Jésus fut pleinement homme. Il est venu partager complètement notre condition. Nous pouvons nous reconnaître en lui. Mais Jésus nous est aussi présenté dans l'évangile comme celui qui vient nous libérer de notre enfermement sur nous-mêmes, de notre péché. A la tentation, en effet, nous cédons régulièrement. Nous ne savons pas quelle réponse lui donner, ou bien nous croyons disposer de la force nécessaire pour lui résister et nous nous apercevons à plus ou moins brève échéance que nous n'en disposons absolument pas. Or, Jésus vient nous enseigner comment résister à la tentation qui est toujours tentation de désespérer de Dieu.

2. La tentation de désespérer de Dieu

Et nous voici amenés à notre deuxième remarque. Nous avons toujours tendance à moraliser notre vie. Nous donnons dès lors une définition morale de la tentation. Être tenté, c'est être tenté de faire ce qui n'est pas bien dans l'horizontalité de ce que nous sommes. Dans l'usage courant du mot tentation, on dira que j'ai été tenté, moi qui voulais maigrir, par cette crème au chocolat. Que n'a-t-on aussi dit des tentations de la chair, mal comprises comme tentations sexuelles ? Or, la tentation dans la Bible est constamment tentation de se détourner de Dieu, de ne pas le prendre au sérieux, de ne pas le mettre au centre, d'écouter notre propre voix et même la voix de la morale humaine plutôt que celle de Dieu... Dans le texte du Deutéronome entendu tout à l'heure, il s'agissait d'être tenté par la prostitution, non pas avec la belle de nuit qui fait le trottoir sur quelque lieu de vacances exotique ou dans la ville d'à côté, mais avec... des dieux étrangers. Dans le premier chapitre de Job, le Satan se propose de mettre Job à l'épreuve pour savoir si ce serviteur admirable de Dieu ne se mettra pas à maudire Dieu au cas où soudainement pour lui les choses n'iraient plus aussi bien que jusqu'ici. Et lorsque dans le Notre Père nous disons: « Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre nous du mal », nous demandons à Dieu de ne pas nous inciter à désespérer de Lui. Et cela nous amène à notre troisième remarque.

3. Jésus est envoyé au désert par l'Esprit

Peut-être avez-vous remarqué que le texte de la tentation chez Matthieu s'ouvre par l'affirmation que « Jésus fut emmené au désert par l'Esprit (de Dieu) afin d'y être mis à l'épreuve par le diable. » C'est l'Esprit de Dieu et non le diable qui l'emmène au désert pour y être tenté ! De même, Jésus nous apprend à ne demander à personne d'autre qu'à Dieu de ne pas nous soumettre à la tentation ! Tout au fond, le tentateur c'est donc Dieu. C'est là une idée qui nous est difficilement supportable. Elle mérite quelques éclaircissements. C'est que, à nos yeux, seul un anti-dieu est susceptible de soumettre à la tentation de pécher contre Dieu. Dieu ne peut pas nous inciter à désespérer de Lui, à nous révolter contre Lui, à faire comme s'Il était sans aucune importance dans notre vie.

Mais c'est quand même l'Esprit de Dieu qui conduisit Jésus au désert pour y être tenté ! Pourquoi Dieu soumet-il Jésus - ou nous soumet-Il - à la tentation ? La réponse à cette question nous est fournie par quelques textes de la Bible. J'en ai choisi deux pour nous éclairer ce matin. C'est qu'il y a deux raisons pour lesquelles Dieu peut nous soumettre à la tentation de désespérer de Lui. Cela dépend si nous sommes de grands croyants ou de grands pécheurs.

Commençons par les grands croyants. L'exemple que j'ai retenu est celui de Job. Dans son cas, le Satan, tout d'abord, n'est pas un anti-dieu. Il est le ministre chargé de la mise à l'épreuve des administrés de Dieu. Dieu est le roi et le Satan n'a pas le droit de faire ce que bon lui semble. Il est comme un ministre soumis au bon vouloir du monarque. Il doit lui soumettre ses projets. Le roi-Dieu l'autorise alors à tenter Job jusqu'à tel point, pas plus loin. Au départ, Dieu permet au Satan de toucher à tout ce qui appartient à Job, mais lui interdit de toucher à sa personne. Mais pourquoi Dieu permet-il au Satan de mettre Job à l'épreuve ? Le texte le disait très clairement : pour vérifier que lorsque Job craint Dieu, c'est bien « pour rien ». Est-ce que la foi de Job, en d'autres termes, n'est pas intéressée ? Ne met-il pas sa confiance en Dieu pour qu'en retour Dieu le bénisse de toutes sortes de richesses ? Dieu accepte de procéder à cette vérification. Ce faisant, il ne vérifie pas seulement la foi de Job. Toute la suite du livre le montre : il la met à l'épreuve pour l'empêcher de s'étioler, de devenir routine, de sombrer dans l'habitude. Dieu met le croyant à l'épreuve pour raviver sa foi. Et le croyant est incité par Jésus à demander dans sa prière au père d'user d'autres voies que le mal pour maintenir vive la foi qu'il met en Lui.

Mais il n'y a pas seulement des croyants dans la Bible et dans le monde. Il y a aussi le peuple d'Israël, qui ne cesse de retomber dans la prostitution avec des dieux étrangers. Et il y a aussi ces pécheurs que nous sommes tous. Pourquoi Dieu les soumet-il, nous soumet-il à la tentation ? Dans le texte de Deutéronome 31, lui aussi écouté il y a peu dans ce culte, Dieu se permet d'exercer sa colère contre ce peuple qui se détourne de Lui, de sorte qu'« il sera dévoré et (que) de nombreux malheurs et des détresses l'atteindront » (v.17b). Contrairement à ce que nous pouvons penser, ces malheurs et ces détresses ne sont pas une punition de Dieu. Ce sont les moyens par lesquels Dieu fait désespérer les Israélites de leur... désespoir face à Dieu. C'est le moyen dont il use pour essayer de les faire revenir à Lui. Le pécheur est ainsi invité à relire les épreuves auxquelles il est soumis comme autant d'occasions que Dieu lui offre de se reprendre et de venir ou de revenir à la foi véritable. En demandant à Dieu : « Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal », le pécheur demande à Dieu d'user d'autres moyens que l'épreuve pour le ramener à Lui.

Que ce soit donc pour raviver la foi du croyant ou pour faire venir (ou revenir) le pécheur à la foi, la tentation peut ainsi être comprise comme étant de la responsabilité de Dieu. Il se trouve qu'à la différence de Jésus nous sommes tous à notre manière des pécheurs, des êtres qui ne faisons pas totalement confiance à Dieu. Nous avons, en d'autres termes, toujours déjà cédé à la tentation. Mais, à propos, à quelle tentation ? Eh bien, par exemple, à la première à laquelle Jésus est soumis par Dieu et à laquelle lui ne cède pas. Cela nous amène à faire une quatrième remarque.

4. La tentation matérialiste

Jésus est au désert depuis quarante jours. Il n'a rien mangé. La tentation qui est alors la sienne est tout naturellement de transformer les pierres du désert en pain.

C'est là une tentation à laquelle nous avons toujours déjà cédé. Les deux premières préoccupations des Occidentaux sont, en effet, leur nourriture et leur santé. De fil en aiguille, cela explique la place que nous réservons dans notre vie au travail et au sport. Et voilà notre vie dédiée à la recherche de la nourriture, du confort, de la santé... Nous mettons notre corps et non Dieu au centre. Vous n'en êtes pas convaincus ? Considérez donc les arguments utilisés par ceux qui défendaient, comme par ceux qui attaquaient cette malheureuse initiative de l'UDC sur l'immigration que nous avons acceptée le 9 février dernier. Les seuls arguments avancés – ou presque - étaient d'ordre économique, matérialiste. Les étrangers, s'ils sont trop nombreux, vont nous enlever notre travail, notre prospérité, nos logements, notre place dans les transports publics, bref, nous prendre le pain de la bouche. A l'inverse, l'argumentation affirmait : sans accords bilatéraux avec l'Union Européenne, c'est notre économie qui va péricliter, c'est notre prospérité qui va en pâtir... on va là aussi nous enlever le pain de la bouche. Défenseurs ou opposants usaient d'arguments du même, type parce que ce sont les arguments qui portent dans les mentalités purement matérialistes qui sont les nôtres.

Vous n'êtes toujours pas convaincus ? Prenez le bateau entre Lausanne et Evian et regardez Lausanne étagée sur ses collines depuis le milieu du Léman. Que voyez-vous ? Une masse de constructions surmontées par deux monuments qui s'imposent à la vue : Le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, le CHUV, sur la droite, et le Stade olympique et ses projecteurs, sur la gauche. Ce sont là les deux temples dédiés au Corps par notre société. Et si vous cherchez à distinguer le principal temple dédié au Dieu des chrétiens qui, voilà cent ou deux-cents ans, était encore le monument qui s'imposait à la vue quand on regardait Lausanne du milieu du lac, il est aujourd'hui à peine discernable. En tous les cas, il faut savoir où il se trouve pour l'apercevoir. Oui ! nous avons cédé à la tentation matérialiste. Il faudrait ici montrer tous les effets pervers qu'implique le fait de céder à cette tentation. Nous n'en avons pas le temps ce matin. Venons-en donc à notre cinquième remarque. Elle a trait à la manière dont Jésus nous propose de résister à pareille tentation matérialiste.

5. L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

Jésus répond à cette tentation en citant l'Ancien Testament. Il cite très précisément Deutéronome 8, verset 3, où il est dit : « (Dieu) t'a donc affligé. Il t'a fait souffrir de faim. Il t'a nourri de la manne que tu ne connaissais pas et que tes pères n'avaient pas connue afin de t'apprendre que l'homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. » A la suite du Deutéronome, Jésus ne dit pas qu'il faut mépriser son corps, sa santé, la nourriture, le sport, le travail. Il était du reste réputé pour ne pas imposer à ses disciples de jeûne comme en pratiquaient les disciples de Jean-Baptiste et des pharisiens (Mc 2.18). On le taxa même de glouton et de buveur (Lc 7.34). L'ascèse n'a rien de chrétien. Laissons le mépris du corps aux religions orientales et aux manichéens de tous poils ! Le disciple de Jésus vit AUSSI de pain, mais PAS SEULEMENT de pain.
Si l'on vit seulement de pain, on ne vit, en effet, pas bien. On ne sait pas, en particulier, pour quoi l'on vit. A quoi bon manger à satiété ? à quoi bon manger sainement ? à quoi bon faire tout le sport qu'on veut ? à quoi bon avoir à disposition les meilleures thérapies possibles si l'on ne sait pas quel sens il y a à vivre. Or, le matérialisme ambiant est incapable de me dire pour quoi vivre. La seule réponse qu'il m'offre – mais de quelle pauvreté et même de quelle absurdité est-elle ! – consiste à me dire que je dois vivre pour vivre. En d'autres termes, puisque je suis en vie, il me faut continuer à vivre, et dès lors il me faut vivre le mieux ou le moins mal possible Mais cette réponse n'en est pas une dans la mesure où elle ne me dit pas pourquoi j'aurais tort de me supprimer. Bref, la tentation matérialiste, à laquelle j'ai toujours déjà cédé avec nombre de mes contemporains occidentaux, est incapable de donner un sens à ma vie.

Afin de faire un bon usage de cette vie qui m'est effectivement offerte, il me faut AUSSI vivre d'autre chose que de pain. Or, le christianisme m'offre ici de vivre de la parole que Dieu m'a dite centralement en Jésus de Nazareth. Et quel sens me désigne-t-elle ? Comme Jésus, elle m'invite à consacrer ma vie à la défense de la cause de Dieu. Le sens de ma vie, c'est de servir Dieu de tout mon être. En d'autres termes, je suis invité à remettre Dieu au centre de notre monde de sorte que le mal ne le domine pas complètement. Pourquoi Dieu veut-il, en effet, que ma foi soit ravivée ou que je revienne à Lui ? C'est qu'il estime avoir besoin de moi pour mener son grand combat contre le mal, contre le désespoir, contre la mort.

Amen.

Le pasteur Jean-Denis Kraege médite le récit des tentations de Jésus dans le désert, au début de son ministère. Il propose de s'arrêter sur le fait que c'est l'Esprit qui conduit Jésus au désert pour y être tenté. Dieu est-il le tentateur ? Si oui, pourquoi ?
La première tentation à laquelle Jésus, comme tout humain, est soumis est celle de réduire sa vie à la seule dimension matérielle. Le pasteur Jean-Denis Kraege s'arrête sur une parole de Jésus : "On ne vit pas de pain seulement, mais aussi de la parole de Dieu" qui donne sens à la vie biophysique.

Détails

Avec la participation de
Gilda Morand et Trudy Mieville
Orgue
Claire-Lise Mérillat
Musique
Gospel Angels, sous la direction de Philippe Jaccoud

En collaboration avec