Le temps s'accélère! Décroissons!

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Écouter le culte :

Dans le culte radio d'il y a 15 jours, je me suis centré sur l'espace. Les migrants, les nomades, les réfugiés se définissent, en effet, d'abord par l'espace. Aujourd'hui je vous propose plutôt de nous intéresser au temps. Selon Emmanuel Kant, il s'agit de l'autre grand a priori de toute connaissance humaine. Or, dans notre perception du temps, un phénomène relativement nouveau s'est fait jour depuis quelques décennies : le sentiment que le temps s'accélère.

De cette accélération, j'aimerais commencer par donner quelques exemples :

1. Il y a 50 ans, en 1968, le conflit entre les anciens et les modernes se déroulait au rythme des générations. On contestait les idées de papa. Aujourd'hui, sociologues et psychologues s'accordent pour nous dire que, pour des jeunes de 16 ans, ceux de 25 sont franchement des vieux quand ce ne sont pas ceux de 30 ans pour ceux de 25. Habitudes sociales, musiques, langages, capacités techniques, etc., diffèrent tous les 5 à 10 ans.

2. Deuxième exemple : Depuis une vingtaine d'années les moyens de communication ont explosé – internet avec mail, Facebook, Twitter, le téléphone cellulaire avec ses SMS, son nombre illimité de conversations... Nous assistons à la multiplication de l'information grâce aux moyens techniques à notre disposition. Ils nous jettent dans un tourbillon qu'il semble impossible de freiner. Nous avons de moins en moins de temps pour réfléchir sereinement. Le temps paraît s'accélérer parce qu'il y a de plus en plus de choses qui se pressent à notre conscience.

3. Un autre exemple : Avant le début de l'époque moderne, chacun ou presque faisait le métier qu'avait fait son père, son grand-père, son arrière-grand-père, etc. On était paysan ou meunier de père en fils, on était mère au foyer ou fermière de mère en fille. On apprenait le métier depuis sa tendre enfance. Depuis une bonne septantaine d'années, chacun et chacune a commencé à pouvoir choisir son métier, un métier qu'on exerçait avec bien des chances jusqu'à sa retraite. Aujourd'hui on désespère les jeunes en leur ressassant que le métier qu'ils apprennent, ils ne l'exerceront pas toute leur vie. Continument il faut se former, se reformer, s'adapter. Et c'est désespérant, car à quoi bon s'investir corps et âme comme on nous demande de le faire dans son travail, si cela ne doit pas porter de fruits à long terme ? Les changements sont beaucoup plus nombreux qu'il y a deux ou cinq générations. L'impression est, ici aussi, qu'on assiste à une accélération du temps vécu.

4. Encore un exemple : Au dix-neuvième siècle, une majorité d'humains se résignait à sa vie répétitive, lassante, où les joies n'étaient qu'éparses. Il y avait les baptêmes, mariages et funérailles ainsi que les fêtes carillonnées pour donner un peu de piment à une vie par ailleurs atone, morose, sans sel. Une grande majorité de la population pensait dès lors qu'on était sur cette terre pour travailler donc pour souffrir et que l'on serait récompensé dans l'au-delà. Aujourd'hui, une grande majorité de la population ne croit plus guère à une récompense dans l'au-delà. La récompense, il la faut tout de suite. Et comme nous savons le temps bien court, il convient de vivre sa vie le plus pleinement possible : il faut avoir tout vu, tout expérimenté, tout goûté. Mais précisément parce que nous savons que le temps est bien court, nous savons aussi que nous ne pourrons pas tout voir, tout visiter, tout expérimenter... Et alors nous désespérons de cette vie menée à 200 à l'heure, mais qui sera de toute manière trop courte pour être vraiment remplie, vécue pleinement.

5. Dernier exemple : Nous sommes formatés par l'ordinateur multitâches. Mon ordinateur peut jouer de la musique, recevoir des courriels, enregistrer des photos depuis une clé USB pendant que j'écris ce sermon sur son clavier. Or j'ai récemment surpris quelqu'un répondant au téléphone, tout en regardant un soap-opéra à la télévision et en préparant son repas. Autrefois on regardait la TV ou bien on préparait son repas ou on était pendu au téléphone. On se donnait pleinement à chacune de ces activités. Elles étaient rares et précieuses. On avait aussi l'impression d'avoir plus de temps à leur accorder à chacune. Qu'est-ce qui vaut mieux : la lenteur d'alors ou le stress actuel ? Y a-t-il réel progrès dans notre mode de vie ?

Trois enseignements au moins doivent à mon sens être tirés de ces exemples :

1. A chaque fois, le temps vécu se révèle de plus en plus plein de toutes sortes de tâches. C'est ce qui nous donne l'impression qu'il s'accélère. On est alors stressé par tout ce qu'il faut faire et par tout ce qu'on n'arrive pas à faire.

2. Derrière chacun de ces exemples, il y a la foi au progrès : c'est parce qu'on croit que Facebook, Twitter, les mails, l'ordinateur, le téléphone cellulaire, la TV, les SMS, etc., sont de réels progrès qu'on s'en fait les esclaves.

3. L'homme ou la femme du XIXe siècle désespéraient de la répétition des jours et des peines. Ils attendaient le repos et la félicité dans l'au-delà. Ceux du XXIe désespèrent pour beaucoup de ce qu'il n'arriveront pas à jouir de tout ce dont ils pourraient jouir en une vie qui ne s'allonge jamais autant qu'il le faudrait. Au XXIe siècle comme au XXe ou au XIXe, on désespère donc de sa vie soumise au temps.

Dit en une seule phrase : le temps s'accélère parce qu'on croit de plus en plus au progrès et cela nous désespère. Or une telle situation n'est pas acceptable. Alors le christianisme a-t-il une solution à nous proposer ? Nous offre-t-il réellement – comme il le promet – une vie heureuse ?

Je me propose de présenter ce qu'offre le christianisme en partant des deux premiers textes entendus tout à l'heure.

Il y avait d'abord le Qohelet ou l'Ecclésiaste : il y a un temps pour tout. Ce début de son troisième chapitre est en général mal compris. Une de ces mécompréhensions consiste à y voir des paroles de consolation : « Ne vous en faites pas ; il y a un temps pour le malheur, mais il y aura bien un moment où le bonheur reviendra ». Pourquoi cette manière de comprendre ne joue-t-elle pas ? Parce que dans les huit premiers versets, on n'a pas toujours le même schéma : le malheur qui serait suivi du bonheur. Parfois c'est le positif qui est suivi du négatif. L'Ecclésiaste dit, par exemple, qu'il y a un temps pour tuer et un temps pour guérir, mais il dit aussi qu'il y a un temps pour aimer et un autre pour détester.

La prise au sérieux de ces ruptures de rythme dans l'énumération du Qohélet mène à une deuxième interprétation assez courante qui représente elle aussi une mécompréhension. Elle consiste à dire : « Il y a des moments divers dans la vie : tantôt le bonheur, tantôt le malheur. Il faut jouir au maximum du bonheur et se résigner quand le malheur advient. » Si cette interprétation ne joue pas, c'est que l'ensemble de l'oeuvre de l'Ecclésiaste, si elle propose bien de jouir de la vie, ne propose jamais la résignation. Cette référence à l'ensemble de la réflexion de l'Ecclésiaste indique cependant la bonne direction. Le leitmotiv de cet auteur, c'est « Vanité des vanités, tout est vanité » car « il n'y a rien de nouveau sous le soleil ». Alors le début de ce troisième chapitre signifie dans ce contexte : « Les instants se suivent et ne se ressemblent pas. Il n'y a pas de sens à l'histoire que nous vivons. Tantôt on jette des pierres tantôt on en ramasse. Tantôt on vit un temps de paix, tantôt un temps de guerre. Il n'y a pas logique à tout cela. Ne cherchez pas de sens. »

Qu'est-ce que cette réflexion d'un auteur biblique nous apprend sur notre rapport au temps ? Que notre soumission à l'idée de progrès est illusoire, car il n'y a pas de progrès puisqu'il n'y a pas de sens au temps. Avec la remise en question du progrès, voilà donc la grande raison de notre stress et de notre désespoir déclarée contraire à la vie selon Dieu. Il n'est pas question de s'y résigner.

On me rétorquera : « Mais ce n'est là qu'un auteur biblique parmi beaucoup d'autres et, qui plus est, un auteur de l'Ancien Testament ». Certes, mais il est un personnage biblique auquel nous attribuons dans le christianisme une autre importance : c'est Jésus. Or il vient nous dire des choses assez semblables et même plus radicales !

Souvenons-nous du deuxième texte entendu tout à l'heure. « Ne soyez pas en souci du lendemain. A chaque jour suffit sa peine ! » Pourquoi ne doit-on pas être en souci face à l'avenir ? Pourquoi être comme les oiseaux du ciel et les lys des champs ? Parce que, pas plus que les oiseaux ou les lys, nous ne connaissons ni ne pouvons déterminer cet avenir. Dieu seul le connaît. Dieu seul en est maître. Reprenons la place qui est vraiment la nôtre et nous ne serons plus tourmentés par les soucis, en d'autres termes, par le stress et le désespoir. Notre temps, nous dit Jésus, c'est le présent. Chaque jour, il y a une peine, une tâche à accomplir. Contentons-nous de cela.

«Ne vous faites pas les esclaves de l'idée de progrès,» aurait pu dire Jésus s'il avait parlé notre langue, «et vous serez libérés de tous vos soucis. Vous vivrez incomparablement mieux.»

Faut-il alors vivre dans l'instant présent, au jour le jour, en jouissant un maximum ? Jésus fut-il en d'autres termes épicurien ? Nullement, car Jésus parle de « peine » qui suffit à chaque jour ! Il ne s'agit pas de simplement et bêtement de jouir de la vie, mais de prendre ses responsabilités, de faire ce qui doit être fait et cela peut parfois devenir une peine, un fardeau, même s'il est léger.

Mais quel sens y a-t-il dès lors à faire ce qui doit être fait jour après jour sans chercher à réaliser un plan, un projet, sans croire qu'un progrès peut résulter de ce labeur quotidien ? N'est-ce pas encore plus désespérant que ce que nous vivons dans notre civilisation du temps constamment accéléré ? La réponse à cette question, nous pourrions la déduire de la prédication de Jésus. Je vous propose d'aller plutôt voir chez son grand disciple, Paul de Tarse, pour la trouver.

On ne peut donc accélérer sans fin. C'est impossible aussi bien psychiquement que physiquement et c'est contraire au plan de Dieu pour les humains. Il faut dès lors décélérer si l'on veut bien vivre sa vie. Il faut couper dans la masse de choses par lesquelles nous laissons notre vie être submergée. Pour ce faire, il faudrait trouver un critère et donc un sens à sa vie. Un sens nous permettrait de faire les bons choix. Nous pourrions ne garder que ce qui en vaut la peine, que ce qui nous permet d'accéder à une plénitude de vie.

Or Paul, écrivant aux Philippiens, offre une réponse à cette quête de sens. La solution de Paul est simple : considérer tout sauf le Christ comme bon à jeter aux ordures ! Mais qu'est-ce que Paul considère comme des ordures ? Tout ce qu'il avait considéré jusque-là comme donnant un sens à sa vie. Tout ce dont il se glorifiait parce que cela lui semblait d'une importance extrême. Son origine dans le peuple d'Israël, son respect scrupuleux de la loi, son application à persécuter la première Église. La réponse à la question du sens de sa vie a complètement changé depuis qu'il a compris une chose : Dieu était du côté de celui qui avait été condamné par cette loi qui donnait sens à sa vie, à lui Paul. A Pâques Jésus avait été déclaré pleinement dans la ligne de ce que Dieu voulait. Dès ce moment-là, sur le chemin de Damas, Saul de Tarse n'a considéré qu'une chose importante pour sa vie : suivre Jésus, mettre en oeuvre ce que Dieu avait donné à connaître en Jésus, vivre, comme Jésus, de l'Esprit de Dieu. Servir Dieu tel que manifesté en Jésus-Christ est devenu sa seule raison d'être.

Mais quel est donc ce sens de la vie humaine proposé par Jésus ? On peut le dire avec les mots utilisés par Jésus dans notre deuxième texte : « Cherchez d'abord le règne de Dieu sur vos vies et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Ce que l'on sait de la vie de Jésus nous indique aussi qu'il a totalement dédié sa vie à la défense de la cause de Dieu et qu'il a accepté d'aller jusqu'à sacrifier sa vie dans ce seul but. Paul, comme Jésus, nous indique donc que le seul sens possible de notre vie consiste à consacrer totalement sa vie au service de Dieu : et lorsqu'on aime ainsi Dieu de tout son coeur, de toute sa vie, de toute son intelligence, de toute sa force, on ne peut aussi qu'aimer son prochain comme soi-même.

Le service de Dieu est le critère nous permettant de faire des choix drastiques face à toutes les sollicitations adressées à notre vie. C'est là ce qui va nous permettre de décroître et de vivre une vie en plénitude.

Permettez-moi de ne vous donner qu'un exemple de ce que cela peut signifier très pratiquement. J'insiste : cet exemple n'en est qu'un parmi beaucoup d'autres possibles. Il n'y a rien là de normatif. A chacun de découvrir comment servir Dieu et le prochain dans la situation qui est la sienne. Mon exemple est celui d'un couple qui décide de vivre avec ses deux enfants dans un quatre pièces plutôt que de se construire une villa comme le faisaient tous leurs collègues et amis. Ils ont aussi assez rapidement pris la décision de ne travailler tous deux qu'à 50% pour pouvoir s'occuper eux-mêmes de leurs enfants. Ils ont choisi de limiter le nombre de leur amis à ceux avec qui ils peuvent avoir de réels, profonds et fructueux échanges, en particulier en matière spirituelle. Ils allèrent même jusqu'à parfois refuser des invitations qui leur étaient adressées. Ils ont aussi opté pour prendre chaque jour du temps pour lire, réfléchir, partager. Dans ce temps mis à part, ils réservent quotidiennement le temps nécessaire à la lecture de la Bible, à son étude, ce qui ne va pas sans partage avec d'autres, mais aussi sans du temps pour la prière. Et ils trouvent encore le temps de s'occuper bénévolement de personnes dépendantes. Certes leur vie est bien remplie, mais, selon leurs dires, presque jamais stressée. Ils savent prendre des heures où leurs téléphones portables sont éteints. Ils ont renoncé à la télévision. Ils tentent de ne pas devenir dépendants de l'internet... Ils ont tout simplement décidé de mettre Dieu et le prochain au centre, recevant leur vie comme un merveilleux cadeau que Dieu leur fait jour après jour, une vie qui a du sel, une vie qui a du sens.

AMEN

Tout s'accélère dans nos vies au point que cela en devient intenable. Les sages bibliques (l'Ecclésiaste comme Jésus) invitent à une prise de distance à l'égard du temps. Celui-ci ne deviendra du temps plein (éternel) que si je lui retrouve un sens.

Détails

Avec la participation de
Annie Guex et Pierre Stadelmann
Orgue
Sylvie Pagano
Musique
Didier Gasser à la trompette piccolo