Écouter le culte :
— (Blaise) Ah, enfin un culte qui fleure bon les valeurs ancestrales: c'est le Dimanche des Missions, frères et soeurs ! L'occasion rêvée de se remémorer ce bon vieux temps où l'on allait évangéliser à droite et à gauche – en fait, surtout au Sud – et où l'on apportait l'Évangile et la civilisation aux pays sous-développés, plus ou moins arriérés, pour la gloire du Seigneur. Quelle époque ! Peut-être la dernière qui fut vraiment héroïque !
Rappelez-vous: on entendait au culte ou au catéchisme ces histoires édifiantes de missionnaires aventuriers et bienfaiteurs et les plus âgés parmi vous, alors enfants, glissaient encore leur petite offrande avec fierté dans une figurine nègre qui vous rendait la politesse par un balancement du tronc. Que de souvenirs, que de satisfaction du devoir accompli, que de bonheur de savoir qu'à l'autre bout du monde, en même temps qu'un thé préparé avec un sachet déjà bouilli, on allait soulager l'âpreté du quotidien grâce à l'attention bienveillante des grands frères du Nord: on transmettait notre incomparable savoir-faire pour leur bien.
— (Georges) Blaise, mais qu'est-ce que tu racontes ?
— (Blaise) Pardon ?!
— (Georges) Qu'est-ce que tu nous dis là ? Qu'est-ce que tu racontes aux auditeurs et aux gens rassemblés dans ce temple ? Je suis choqué: qu'est-ce qu'ils vont penser et croire des Églises ? Que c'est une fois de plus, soi-disant, le refuge de la ringardise et de l'irrespect d'autrui ?
— (Blaise) Mais... je rappelle ce que fut la manière de vivre et de comprendre la mission il y a encore deux ou trois générations ! Tout n'est pas à jeter...
— (Georges) Et tu crois peut-être que les fidèles de l'Église presbytérienne camerounaise, présents aujourd'hui avec nous et qui, eux aussi, sont familiers de ce lieu de culte, tu crois qu'ils vont t'écouter avec sérieux si tu commences comme cela ?! Et puis, les choses ont changé, une fois pour toutes !
— (Blaise) Mais Georges, tu sais bien que malgré l'image désastreuse qu'on a de nos jours de la mission traditionnelle (et il y a bien sûr quelques raisons à cela, pour le moins...), eh bien, rares sont les Églises du Sud qui, aujourd'hui, ne sont pas reconnaissantes de cette espèce de courage fou de nos ancêtres et prédécesseurs pour annoncer la Bonne Nouvelle, que ce soit en Afrique ou en Asie, par exemple.
— (Georges) Oui, je le sais bien. Mais ça n'autorise pas tous les raccourcis, ni les caricatures ou la mémoire sélective. Les mots, vois-tu, sont devenus délicats, et un regard lucide sur l'expérience nous oblige à quelques précautions. Vraiment.
— (Blaise) Alors, si les mots sont si délicats et les sensibilités à vif, à quoi bon parler encore de Dimanche des Missions ? La plus élémentaire précaution, comme tu dis, serait de trouver un autre terme et...
— (Georges) ...mais on s'y emploie, justement !
— (Blaise) Ah bon ?!
— (Georges) Mais oui: année après année, campagne après campagne, que ce soit à l'automne ou lors de la campagne oecuménique de Carême, les Églises et les œuvres d'entraide s'efforcent d'offrir une compréhension renouvelée de la mission, de réhabiter ce mot avec les enjeux d'aujourd'hui. Et cela, tu ne peux l'ignorer.
— (Blaise) C'est vrai, je l'admets.
— (Georges) Alors bien sûr, on peut déposer son offrande pour soulager sa conscience, mais ce n'est pas encore un don: c'est un prétexte à charité. Le don, c'est ce qu'on dépose dans la confiance que celui ou celle à qui il est destiné aura les compétences pour le faire fructifier au mieux.
Par exemple, pour l'Angola, qui retient notre attention ce dimanche, eh bien eux savent faire: ils ont le savoir-faire, mais pas forcément les moyens de le mettre en œuvre. Nous leur donnons donc les moyens de réaliser leurs projets selon leur expertise et leurs qualifications.
— (Blaise) On est loin de la mission paternaliste et présomptueuse...
— (Georges) Évidemment ! C'est cela, le nouveau visage de la mission. Et c'est ainsi depuis les années 60 avec la création de DM-Echange et mission ! C'est le tournant de la mission. Depuis, la part de développement est confiée à Pain pour le prochain, la part d'entraide à l'EPER (Entraide Protestante Suisse), la part de mission à DM-Echange et mission. Ce sont des accents.
Mais aujourd'hui, la mission, c'est le partage d'Évangile concret, c'est ce passage d'Évangile d'Église à Église, où nous apprenons les uns des autres.
Aujourd'hui, la mission, ce n'est plus apporter l'Évangile aux sous-développés, comme tu disais avant, mais c'est faire chemin ensemble malgré la distance. Et c'est pour cela que nous accueillons des gens du Sud lors des campagnes: pour sensibiliser, certes, mais aussi pour apprendre de l'autre et souvent de son regard sur notre réalité, si l'on veut bien.
— (Blaise) Et ces temps, c'est la pasteure Luisa Mateus, de l'Église évangélique réformée d'Angola qui sillonne la Suisse romande, avec un agenda bien rempli !
— (Georges) Oui, ou bien en novembre Pedro Quinanga, responsable des programmes et de la communication de cette Église sœur, et dans une quinzaine de jours, ce sera la chorale évangélique Coreval, de Luanda.
C'est tout cela, le chemin de la mission aujourd'hui, du Nord au Sud et du Sud au Nord. C'est un véritable échange entre partenaires.
— (Blaise) Et un partenariat se construit sur des échanges réciproques, même s'ils ne sont pas toujours au même niveau.
— (Georges) Oui, il y a une dissymétrie des échanges et des attentes: pour l'Angola, c'est avec une Église dont la préoccupation n'est pas de remplir des lieux (c'est fait), mais d'être présente avec des centres de santé, active dans la formation des femmes, investie dans la reconstruction et la sortie de guerre, pour un pays profondément marqué par des années de conflit.
Finalement, à chaque campagne, nous acceptons que les pays concernés nous interpellent fraternellement, nous rendent attentifs à leurs besoins réels comme ils découvrent et nous renvoient aussi nos limites et besoins. D'une certaine manière, nous acceptons d'être évangélisés à notre tour par nos frères et sœurs de là-bas.
— (Blaise) Et si nous ne savons pas accueillir cette part-là, c'est nous qui sommes les sous-développés.
— (Georges) Mmmh, on pourrait le dire comme ça, oui... Si nous croyons tout avoir et tout savoir, alors que les autres n'auraient rien et ne sauraient rien, nous entretenons cette illusion de nous-mêmes, ce fantasme que nous serions les seuls propriétaires de la semence et les seuls capables de semer de manière valable, quand les autres, fussent-ils frères et sœurs en Christ, seraient tout juste bons à cultiver et à récolter. Et à en profiter, peut-être. C'est à cela que les œuvres d'entraide nous demandent de renoncer: ce regard suffisant et volontiers paternaliste, parce que quelque part en nous il demeure niché dès que l'on parle mission, entraide et développement.
C'est ainsi, à la faveur de ce changement de regard et de compréhension – de cette conversion, pour tout dire –, dans la rencontre avec le partenaire (du Sud ou de l'Est), dans la curiosité pour ce qu'il est et vit, c'est ainsi que nous nous laissons évangéliser par lui. Et c'est de cette manière que nous pouvons reconnaître les dons de l'autre en faisant chemin de don en soi.
— (Blaise) Reconnaître les dons de l'autre... Faire chemin de don en soi... Au moment d'entrer dans ce temple, vous avez reçu une fleur bleue – certains y auront vu un nuage, peu importe. Vous connaissez l'expression "faire une fleur", pour dire "faire une faveur" ; ça a un peu le sens d'un privilège accordé, c'est vrai, mais on peut aussi rendre compte de cette expression en disant "agir avec une bienveillance plus ou moins désintéressée envers quelqu'un".
— (Georges) Et alors, avec cette fleur, vous allez vous faire une faveur – d'abord à vous-même: vous allez vous considérer avec bienveillance. Avec lucidité, certes, mais avec bienveillance. Et vous allez apprécier en vous-même un don que vous pensez avoir ou que l'on vous reconnaît: ce peut être une qualité morale (la patience, par exemple) ou un talent artistique, administratif, économique (au sens de la gestion de la maisonnée, selon le sens originel), ou pédagogique (la transmission), ou encore pratique, que sais-je. Et vous prenez le temps d'y réfléchir et de noter cela au verso de votre fleur bleue.
— (Blaise) Euh oui, mais Georges, si on leur demande cela, les gens ne vont plus écouter la suite du message. Ça va les distraire...
— (Georges) Ce n'est pas si grave...
— (Blaise) Comment ça, "pas si grave ?!" Il ne manquerait plus qu'on leur demande de fermer les yeux: vous imaginez ceux qui sont en train de conduire en nous écoutant ce matin, hein, ou de faire leur jogging avec le culte dans l'oreille ? Boum ! Dans le décor ! Bravo ! "Pas si grave..." Pffff...
— (Georges) Oh voilà, on est vexé, hein, et tout de suite on exagère ! Mais c'est quand même important que les gens qui sont là et ceux qui nous écoutent puissent aussi penser par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et s'offrir ce temps de bienveillance que nous évoquions...
— (Blaise) A la bonne heure ! On voit bien, Monsieur le Diacre de Terre Nouvelle, que vous avez pu placer l'essentiel de votre témoignage pour ce Dimanche de Missions. Évidemment, il reste à dire deux-trois choses du texte biblique, mais si, à la distraction générale, ça passe à perte et profits, "ce n'est pas si grave", comme vous dites, mmmh ?
— (Georges) Ah, Monsieur le Pasteur, permettez: ce n'est tout de même pas de ma faute si vous avez commencé en disant des choses approximatives sur la mission: vous n'aviez qu'à aller droit au but, pour une fois !
— (Blaise) Allons bon ! Ne me remerciez pas de vous avoir servi la soupe, hein, ce serait dommage ! Au lieu de cela, voilà qu'un diacre voudrait me donner des leçons de prédication, à moi ?! N'importe quoi...
— (Georges) Mais je ne vous permets pas !
— (Blaise) Oh mais peu me chaut, mon cher.
— (Georges) Eh bien on va demander aux gens ce qu'ils veulent, puisque c'est comme ça!
— (Blaise) C'est ça, on va leur demander !
— (Georges) Qui veut écrire sur la fleur un don reçu ?
— (Blaise) C'est pas une fleur, c'est un nuage, il est bleu, d'abord. Bonjour l'interprétation, décidément...
— (Georges) Qui veut écrire sur la fleur, levez la main...
— (Blaise) ...qui préfère apprendre quelque chose sur le texte biblique, parole de Dieu pour nous aujourd'hui...
— (Georges) ...allons, ne soyez pas timides, levez vos crayons !
— (Blaise) Laissez-les baissés ! D'abord ici, tu es chez moi, et on a beau accueillir la Région, c'est moi qui décide !
— (Georges) Allons, crayons en haut !
— (Blaise) Crayons en bas, on se tait, on se concentre, on écoute, c'est tout et c'est comme ça, on jouera après avec les petits crayons et les petites fleurs bleues, sur les merveilleux dons de chacun. Qui est avec moi ? Qui ?
— (Georges) Non, avec moi !
— (Blaise) Avec moi !
— (Georges) Moi !
— (Blaise) Moi !
— (Georges) Ah, je pensais bien, je le savais: majorité de crayons, ça ne m'étonne pas, la liberté triomphe de la tyrannie ! Merci ! Merci ! Vive la Région !
— (Blaise) Bon, alors puisque c'est comme ça, moi, j'arrête là, je vous laisse avec mon collègue et ses petites fleurs, moi, je vais rentrer chez moi peinard, et je reviendrai prêcher quand j'aurai la paix, ou alors j'irai ailleurs dans la Région, puisque maintenant on circule plus volontiers dans les différentes paroisses qui la composent !
— (Georges) Eh mais Blaise !... On est à la radio, arrête ! En direct ! Tu ne peux quand même pas...
— (Blaise) Pas quoi ? Partir ? Ben si, tu vois, je peux et je le fais ! Alors j'enlève mon micro (désolé pour le bruit), et-je-m'en-vais-!
— (Georges) Mais que vont penser les auditeurs ?
— (Blaise) M'en fous ! Pensent ce qu'ils veulent, ils sont libres, c'est toi qui l'a dit, non ? Alors grand bien leur fasse !
Blaise s'en est effectivement allé, il est déjà dans l'assemblée, et c'est à ce moment qu'intervient le président de Région, depuis la chaire
— (Blaise Extermann) Non mais, c'est pas bientôt fini, ces enfantillages ! Comme président de Région, je me dois d'intervenir ! Vous vous rendez compte du message déplorable que vous nous laissez, sans compter les auditeurs ?! ça se chamaille, et au nom de Jésus, en plus ! Misère ! C'est insensé ! Je suis abasourdi ! Effondré ! Choqué ! Confus...
— (Blaise) Eh, Président, mais c'est lui qui a...
— (Blaise Extermann) C'est lui qui quoi ?! Vous êtes collègues, oui ou non ?
— (Blaise) Parlons-en...
— (Blaise Extermann) D'accord, parlons-en ! Mais parlons-en bien ! Avec bienveillance ! Ce n'était pas l'invitation adressée il y a quelques instants à peine, avant ce spectacle pitoyable ? Parlons-en, oui ! Vous êtes au service de qui ? De vos petites habitudes, de vos manies, de vos préférences, de vos projets, de vos égos ? Non, vous êtes au service du Christ, devant nos communautés rassemblées.
Oui, vous exercez des responsabilités importantes, et la tâche que vous recevez est lourde, au point parfois de sembler ingérable.
C'est vrai, vous êtes pour la plupart partagés entre des temps partiels qui vous obligent ici, mais aussi là-bas, ailleurs.
Bien sûr, vous êtes habités d'un souci communautaire qui peut parfois être compliqué à gérer, devant des attentes contradictoires de l'institution ou des fidèles, comme des protestants de passage. Et puis, vous êtes pleins d'allant et d'envie de bien faire, nous le savons bien. Et parfois, la coupe déborde, mais le plus souvent, elle est savoureuse à déguster et à partager.
Et nous, nous vous avons reçu comme un don. Chacune et chacun, tous les sept que vous êtes maintenant avec nous. Alors, laissez-vous accueillir: c'est notre prière au nom de Celui qui seul nous unit. à qui seul nous remettons nos ambitions personnelles ou régionales, et devant qui ensemble nous nous tenons.
Voilà l'Évangile que Paul adresse aux Corinthiens:
"Quand l'un déclare «Moi, j'appartiens à Paul», l'autre «Moi à Apollos», n'agissez-vous pas de manière toute humaine ? Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d’eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés. (...) Car nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu, et vous êtes le champ de Dieu, la maison que Dieu construit.
Pendant la lecture, Blaise Menu revient, s'approche de Georges, lui prend les bras (et réciproquement) en signe de réconciliation, de paix retrouvée.
Est-ce que c'est si difficile, de vivre cela ? Est-ce que c'est si difficile, de se penser et de se projeter en Région, avec les dons de chacun ? En Christ, j'ose croire que non.
Je sais que le chemin est ardu, propice à quelques trébuchements encore, mais c'est un beau chemin, car nous le vivons ensemble, dans la confiance envers Dieu qui nous édifie, par le souffle de son Esprit. Sinon... à quoi bon ?
— (Blaise) C'est vrai: nous vivons du don de Dieu.
— (Georges) C'est vrai: nous vivons de la joie de Dieu.
— (Blaise) D'un Dieu qui nous fait confiance !
— (Georges) D'un Dieu qui croit en nous !
— (Blaise) Et lorsque chacun-e se reçoit comme un don du Seigneur, il ou elle devient responsable de ce qui lui est confié, et de ce qu'il peut faire fructifier, de ce qu'il s'efforce de transmettre. L'essentiel du texte biblique se trouve ainsi dit, au-delà des éléments plus factuels ou historiques sur cette communauté de Corinthe toujours si enthousiaste et en même temps si maladroite.
— (Georges) Ca te rappelle quelque chose ?...
— (Blaise) Mhhhoui, et à toi aussi, apparemment.
— (Georges) Oui. Et si je puis me permettre, mon cher collègue, c'est avec bienveillance que nous pourrions prendre nous aussi une petite fleur...
— (Blaise) ...bleue, et un crayon...
— (Georges) ...pour noter le don que nous avons reçu, comme tout un chacun ici. Et puis, pendant la musique qui suivra, voire un peu après, des corbeilles circuleront où vous pourrez mettre votre fleur.
— (Blaise) Oui, et toutes ces fleurs seront redistribuées à la sortie, et vous pourrez être curieux des dons des autres. Sur la fleur, vous pouvez mettre votre prénom, si vous le voulez, mais ce n'est pas obligé. Et vous inscrivez un don, même si vous pensez ne pas en avoir...
— (Georges) Surtout si vous pensez ne pas en avoir !
— (Blaise) Parce que forcément, en cherchant bien, en vous recevant avec bienveillance, vous trouverez. Tiens, tu vas mettre quoi, toi, Georges ?
— (Georges) Je pense que je vais mettre "L’accueil". Et toi ?
— (Blaise) Moi ? (hésitation) Et si j'écrivais "Sens de l'humour" ?
— (Georges) Amen ?
— (Blaise) Amen !
— (Blaise) Ah, enfin un culte qui fleure bon les valeurs ancestrales: c'est le Dimanche des Missions, frères et soeurs ! L'occasion rêvée de se remémorer ce bon vieux temps où l'on allait évangéliser à droite et à gauche – en fait, surtout au Sud – et où l'on apportait l'Évangile et la civilisation aux pays sous-développés, plus ou moins arriérés, pour la gloire du Seigneur. Quelle époque ! Peut-être la dernière qui fut vraiment héroïque !
Rappelez-vous: on entendait au culte ou au catéchisme ces histoires édifiantes de missionnaires aventuriers et bienfaiteurs et les plus âgés parmi vous, alors enfants, glissaient encore leur petite offrande avec fierté dans une figurine nègre qui vous rendait la politesse par un balancement du tronc. Que de souvenirs, que de satisfaction du devoir accompli, que de bonheur de savoir qu'à l'autre bout du monde, en même temps qu'un thé préparé avec un sachet déjà bouilli, on allait soulager l'âpreté du quotidien grâce à l'attention bienveillante des grands frères du Nord: on transmettait notre incomparable savoir-faire pour leur bien.
— (Georges) Blaise, mais qu'est-ce que tu racontes ?
— (Blaise) Pardon ?!
— (Georges) Qu'est-ce que tu nous dis là ? Qu'est-ce que tu racontes aux auditeurs et aux gens rassemblés dans ce temple ? Je suis choqué: qu'est-ce qu'ils vont penser et croire des Églises ? Que c'est une fois de plus, soi-disant, le refuge de la ringardise et de l'irrespect d'autrui ?
— (Blaise) Mais... je rappelle ce que fut la manière de vivre et de comprendre la mission il y a encore deux ou trois générations ! Tout n'est pas à jeter...
— (Georges) Et tu crois peut-être que les fidèles de l'Église presbytérienne camerounaise, présents aujourd'hui avec nous et qui, eux aussi, sont familiers de ce lieu de culte, tu crois qu'ils vont t'écouter avec sérieux si tu commences comme cela ?! Et puis, les choses ont changé, une fois pour toutes !
— (Blaise) Mais Georges, tu sais bien que malgré l'image désastreuse qu'on a de nos jours de la mission traditionnelle (et il y a bien sûr quelques raisons à cela, pour le moins...), eh bien, rares sont les Églises du Sud qui, aujourd'hui, ne sont pas reconnaissantes de cette espèce de courage fou de nos ancêtres et prédécesseurs pour annoncer la Bonne Nouvelle, que ce soit en Afrique ou en Asie, par exemple.
— (Georges) Oui, je le sais bien. Mais ça n'autorise pas tous les raccourcis, ni les caricatures ou la mémoire sélective. Les mots, vois-tu, sont devenus délicats, et un regard lucide sur l'expérience nous oblige à quelques précautions. Vraiment.
— (Blaise) Alors, si les mots sont si délicats et les sensibilités à vif, à quoi bon parler encore de Dimanche des Missions ? La plus élémentaire précaution, comme tu dis, serait de trouver un autre terme et...
— (Georges) ...mais on s'y emploie, justement !
— (Blaise) Ah bon ?!
— (Georges) Mais oui: année après année, campagne après campagne, que ce soit à l'automne ou lors de la campagne oecuménique de Carême, les Églises et les œuvres d'entraide s'efforcent d'offrir une compréhension renouvelée de la mission, de réhabiter ce mot avec les enjeux d'aujourd'hui. Et cela, tu ne peux l'ignorer.
— (Blaise) C'est vrai, je l'admets.
— (Georges) Alors bien sûr, on peut déposer son offrande pour soulager sa conscience, mais ce n'est pas encore un don: c'est un prétexte à charité. Le don, c'est ce qu'on dépose dans la confiance que celui ou celle à qui il est destiné aura les compétences pour le faire fructifier au mieux.
Par exemple, pour l'Angola, qui retient notre attention ce dimanche, eh bien eux savent faire: ils ont le savoir-faire, mais pas forcément les moyens de le mettre en œuvre. Nous leur donnons donc les moyens de réaliser leurs projets selon leur expertise et leurs qualifications.
— (Blaise) On est loin de la mission paternaliste et présomptueuse...
— (Georges) Évidemment ! C'est cela, le nouveau visage de la mission. Et c'est ainsi depuis les années 60 avec la création de DM-Echange et mission ! C'est le tournant de la mission. Depuis, la part de développement est confiée à Pain pour le prochain, la part d'entraide à l'EPER (Entraide Protestante Suisse), la part de mission à DM-Echange et mission. Ce sont des accents.
Mais aujourd'hui, la mission, c'est le partage d'Évangile concret, c'est ce passage d'Évangile d'Église à Église, où nous apprenons les uns des autres.
Aujourd'hui, la mission, ce n'est plus apporter l'Évangile aux sous-développés, comme tu disais avant, mais c'est faire chemin ensemble malgré la distance. Et c'est pour cela que nous accueillons des gens du Sud lors des campagnes: pour sensibiliser, certes, mais aussi pour apprendre de l'autre et souvent de son regard sur notre réalité, si l'on veut bien.
— (Blaise) Et ces temps, c'est la pasteure Luisa Mateus, de l'Église évangélique réformée d'Angola qui sillonne la Suisse romande, avec un agenda bien rempli !
— (Georges) Oui, ou bien en novembre Pedro Quinanga, responsable des programmes et de la communication de cette Église sœur, et dans une quinzaine de jours, ce sera la chorale évangélique Coreval, de Luanda.
C'est tout cela, le chemin de la mission aujourd'hui, du Nord au Sud et du Sud au Nord. C'est un véritable échange entre partenaires.
— (Blaise) Et un partenariat se construit sur des échanges réciproques, même s'ils ne sont pas toujours au même niveau.
— (Georges) Oui, il y a une dissymétrie des échanges et des attentes: pour l'Angola, c'est avec une Église dont la préoccupation n'est pas de remplir des lieux (c'est fait), mais d'être présente avec des centres de santé, active dans la formation des femmes, investie dans la reconstruction et la sortie de guerre, pour un pays profondément marqué par des années de conflit.
Finalement, à chaque campagne, nous acceptons que les pays concernés nous interpellent fraternellement, nous rendent attentifs à leurs besoins réels comme ils découvrent et nous renvoient aussi nos limites et besoins. D'une certaine manière, nous acceptons d'être évangélisés à notre tour par nos frères et sœurs de là-bas.
— (Blaise) Et si nous ne savons pas accueillir cette part-là, c'est nous qui sommes les sous-développés.
— (Georges) Mmmh, on pourrait le dire comme ça, oui... Si nous croyons tout avoir et tout savoir, alors que les autres n'auraient rien et ne sauraient rien, nous entretenons cette illusion de nous-mêmes, ce fantasme que nous serions les seuls propriétaires de la semence et les seuls capables de semer de manière valable, quand les autres, fussent-ils frères et sœurs en Christ, seraient tout juste bons à cultiver et à récolter. Et à en profiter, peut-être. C'est à cela que les œuvres d'entraide nous demandent de renoncer: ce regard suffisant et volontiers paternaliste, parce que quelque part en nous il demeure niché dès que l'on parle mission, entraide et développement.
C'est ainsi, à la faveur de ce changement de regard et de compréhension – de cette conversion, pour tout dire –, dans la rencontre avec le partenaire (du Sud ou de l'Est), dans la curiosité pour ce qu'il est et vit, c'est ainsi que nous nous laissons évangéliser par lui. Et c'est de cette manière que nous pouvons reconnaître les dons de l'autre en faisant chemin de don en soi.
— (Blaise) Reconnaître les dons de l'autre... Faire chemin de don en soi... Au moment d'entrer dans ce temple, vous avez reçu une fleur bleue – certains y auront vu un nuage, peu importe. Vous connaissez l'expression "faire une fleur", pour dire "faire une faveur" ; ça a un peu le sens d'un privilège accordé, c'est vrai, mais on peut aussi rendre compte de cette expression en disant "agir avec une bienveillance plus ou moins désintéressée envers quelqu'un".
— (Georges) Et alors, avec cette fleur, vous allez vous faire une faveur – d'abord à vous-même: vous allez vous considérer avec bienveillance. Avec lucidité, certes, mais avec bienveillance. Et vous allez apprécier en vous-même un don que vous pensez avoir ou que l'on vous reconnaît: ce peut être une qualité morale (la patience, par exemple) ou un talent artistique, administratif, économique (au sens de la gestion de la maisonnée, selon le sens originel), ou pédagogique (la transmission), ou encore pratique, que sais-je. Et vous prenez le temps d'y réfléchir et de noter cela au verso de votre fleur bleue.
— (Blaise) Euh oui, mais Georges, si on leur demande cela, les gens ne vont plus écouter la suite du message. Ça va les distraire...
— (Georges) Ce n'est pas si grave...
— (Blaise) Comment ça, "pas si grave ?!" Il ne manquerait plus qu'on leur demande de fermer les yeux: vous imaginez ceux qui sont en train de conduire en nous écoutant ce matin, hein, ou de faire leur jogging avec le culte dans l'oreille ? Boum ! Dans le décor ! Bravo ! "Pas si grave..." Pffff...
— (Georges) Oh voilà, on est vexé, hein, et tout de suite on exagère ! Mais c'est quand même important que les gens qui sont là et ceux qui nous écoutent puissent aussi penser par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et s'offrir ce temps de bienveillance que nous évoquions...
— (Blaise) A la bonne heure ! On voit bien, Monsieur le Diacre de Terre Nouvelle, que vous avez pu placer l'essentiel de votre témoignage pour ce Dimanche de Missions. Évidemment, il reste à dire deux-trois choses du texte biblique, mais si, à la distraction générale, ça passe à perte et profits, "ce n'est pas si grave", comme vous dites, mmmh ?
— (Georges) Ah, Monsieur le Pasteur, permettez: ce n'est tout de même pas de ma faute si vous avez commencé en disant des choses approximatives sur la mission: vous n'aviez qu'à aller droit au but, pour une fois !
— (Blaise) Allons bon ! Ne me remerciez pas de vous avoir servi la soupe, hein, ce serait dommage ! Au lieu de cela, voilà qu'un diacre voudrait me donner des leçons de prédication, à moi ?! N'importe quoi...
— (Georges) Mais je ne vous permets pas !
— (Blaise) Oh mais peu me chaut, mon cher.
— (Georges) Eh bien on va demander aux gens ce qu'ils veulent, puisque c'est comme ça!
— (Blaise) C'est ça, on va leur demander !
— (Georges) Qui veut écrire sur la fleur un don reçu ?
— (Blaise) C'est pas une fleur, c'est un nuage, il est bleu, d'abord. Bonjour l'interprétation, décidément...
— (Georges) Qui veut écrire sur la fleur, levez la main...
— (Blaise) ...qui préfère apprendre quelque chose sur le texte biblique, parole de Dieu pour nous aujourd'hui...
— (Georges) ...allons, ne soyez pas timides, levez vos crayons !
— (Blaise) Laissez-les baissés ! D'abord ici, tu es chez moi, et on a beau accueillir la Région, c'est moi qui décide !
— (Georges) Allons, crayons en haut !
— (Blaise) Crayons en bas, on se tait, on se concentre, on écoute, c'est tout et c'est comme ça, on jouera après avec les petits crayons et les petites fleurs bleues, sur les merveilleux dons de chacun. Qui est avec moi ? Qui ?
— (Georges) Non, avec moi !
— (Blaise) Avec moi !
— (Georges) Moi !
— (Blaise) Moi !
— (Georges) Ah, je pensais bien, je le savais: majorité de crayons, ça ne m'étonne pas, la liberté triomphe de la tyrannie ! Merci ! Merci ! Vive la Région !
— (Blaise) Bon, alors puisque c'est comme ça, moi, j'arrête là, je vous laisse avec mon collègue et ses petites fleurs, moi, je vais rentrer chez moi peinard, et je reviendrai prêcher quand j'aurai la paix, ou alors j'irai ailleurs dans la Région, puisque maintenant on circule plus volontiers dans les différentes paroisses qui la composent !
— (Georges) Eh mais Blaise !... On est à la radio, arrête ! En direct ! Tu ne peux quand même pas...
— (Blaise) Pas quoi ? Partir ? Ben si, tu vois, je peux et je le fais ! Alors j'enlève mon micro (désolé pour le bruit), et-je-m'en-vais-!
— (Georges) Mais que vont penser les auditeurs ?
— (Blaise) M'en fous ! Pensent ce qu'ils veulent, ils sont libres, c'est toi qui l'a dit, non ? Alors grand bien leur fasse !
Blaise s'en est effectivement allé, il est déjà dans l'assemblée, et c'est à ce moment qu'intervient le président de Région, depuis la chaire
— (Blaise Extermann) Non mais, c'est pas bientôt fini, ces enfantillages ! Comme président de Région, je me dois d'intervenir ! Vous vous rendez compte du message déplorable que vous nous laissez, sans compter les auditeurs ?! ça se chamaille, et au nom de Jésus, en plus ! Misère ! C'est insensé ! Je suis abasourdi ! Effondré ! Choqué ! Confus...
— (Blaise) Eh, Président, mais c'est lui qui a...
— (Blaise Extermann) C'est lui qui quoi ?! Vous êtes collègues, oui ou non ?
— (Blaise) Parlons-en...
— (Blaise Extermann) D'accord, parlons-en ! Mais parlons-en bien ! Avec bienveillance ! Ce n'était pas l'invitation adressée il y a quelques instants à peine, avant ce spectacle pitoyable ? Parlons-en, oui ! Vous êtes au service de qui ? De vos petites habitudes, de vos manies, de vos préférences, de vos projets, de vos égos ? Non, vous êtes au service du Christ, devant nos communautés rassemblées.
Oui, vous exercez des responsabilités importantes, et la tâche que vous recevez est lourde, au point parfois de sembler ingérable.
C'est vrai, vous êtes pour la plupart partagés entre des temps partiels qui vous obligent ici, mais aussi là-bas, ailleurs.
Bien sûr, vous êtes habités d'un souci communautaire qui peut parfois être compliqué à gérer, devant des attentes contradictoires de l'institution ou des fidèles, comme des protestants de passage. Et puis, vous êtes pleins d'allant et d'envie de bien faire, nous le savons bien. Et parfois, la coupe déborde, mais le plus souvent, elle est savoureuse à déguster et à partager.
Et nous, nous vous avons reçu comme un don. Chacune et chacun, tous les sept que vous êtes maintenant avec nous. Alors, laissez-vous accueillir: c'est notre prière au nom de Celui qui seul nous unit. à qui seul nous remettons nos ambitions personnelles ou régionales, et devant qui ensemble nous nous tenons.
Voilà l'Évangile que Paul adresse aux Corinthiens:
"Quand l'un déclare «Moi, j'appartiens à Paul», l'autre «Moi à Apollos», n'agissez-vous pas de manière toute humaine ? Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez été amenés à la foi ; chacun d’eux a agi selon les dons que le Seigneur lui a accordés. (...) Car nous travaillons ensemble à l’œuvre de Dieu, et vous êtes le champ de Dieu, la maison que Dieu construit.
Pendant la lecture, Blaise Menu revient, s'approche de Georges, lui prend les bras (et réciproquement) en signe de réconciliation, de paix retrouvée.
Est-ce que c'est si difficile, de vivre cela ? Est-ce que c'est si difficile, de se penser et de se projeter en Région, avec les dons de chacun ? En Christ, j'ose croire que non.
Je sais que le chemin est ardu, propice à quelques trébuchements encore, mais c'est un beau chemin, car nous le vivons ensemble, dans la confiance envers Dieu qui nous édifie, par le souffle de son Esprit. Sinon... à quoi bon ?
— (Blaise) C'est vrai: nous vivons du don de Dieu.
— (Georges) C'est vrai: nous vivons de la joie de Dieu.
— (Blaise) D'un Dieu qui nous fait confiance !
— (Georges) D'un Dieu qui croit en nous !
— (Blaise) Et lorsque chacun-e se reçoit comme un don du Seigneur, il ou elle devient responsable de ce qui lui est confié, et de ce qu'il peut faire fructifier, de ce qu'il s'efforce de transmettre. L'essentiel du texte biblique se trouve ainsi dit, au-delà des éléments plus factuels ou historiques sur cette communauté de Corinthe toujours si enthousiaste et en même temps si maladroite.
— (Georges) Ça te rappelle quelque chose ?...
— (Blaise) Mhhhoui, et à toi aussi, apparemment.
— (Georges) Oui. Et si je puis me permettre, mon cher collègue, c'est avec bienveillance que nous pourrions prendre nous aussi une petite fleur...
— (Blaise) ...bleue, et un crayon...
— (Georges) ...pour noter le don que nous avons reçu, comme tout un chacun ici. Et puis, pendant la musique qui suivra, voire un peu après, des corbeilles circuleront où vous pourrez mettre votre fleur.
— (Blaise) Oui, et toutes ces fleurs seront redistribuées à la sortie, et vous pourrez être curieux des dons des autres. Sur la fleur, vous pouvez mettre votre prénom, si vous le voulez, mais ce n'est pas obligé. Et vous inscrivez un don, même si vous pensez ne pas en avoir...
— (Georges) Surtout si vous pensez ne pas en avoir !
— (Blaise) Parce que forcément, en cherchant bien, en vous recevant avec bienveillance, vous trouverez. Tiens, tu vas mettre quoi, toi, Georges ?
— (Georges) Je pense que je vais mettre "L’accueil". Et toi ?
— (Blaise) Moi ? (hésitation) Et si j'écrivais "Sens de l'humour" ?
— (Georges) Amen ?
— (Blaise) Amen !